C'est le lieu de tous les superlatifs. Premier marché mondial, plus de 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, 3 millions de tonnes de produits frais par an, 1.200 TPE-PME, 12.000 salariés répartis sur 234 hectares... Bienvenue au marché international de Rungis où se trouve « tout ce qui se mange, y compris les fleurs ».
Il est 4h30 ce vendredi 18 décembre et le président du Medef vient visiter les grossistes pénalisés par l'actuelle fermeture des bars et des restaurants. Comme tous ses accompagnateurs, Geoffroy Roux de Bézieux troque son manteau contre une grosse doudoune blanche aux couleurs du lleu.
« Témoigner du soutien à la filière agroalimentaire »
Un quart d'heure s'est déjà écoulé et le patron des patrons est en pleine discussion avec Véronique Gillardeau, de la société Blanc, président du syndicat Agromer. Entre deux verres de blanc sec et deux huitres qui transportent aussitôt au bord de l'océan Atlantique, cette dernière se refuse à faire un bilan de l'année 2020. « Il est trop tôt pour le dire. Des commandes s'ajoutent, d'autres s'annulent, mais ça marche plutôt bien », déclare-t-elle.
Il est 5 heures, pendant que le Grand Paris s'éveille, Rungis est déjà bien réveillé. Dans le car qui mène au pavillon des produits carnés, le porte-parole du Medef explique que Geoffroy Roux de Bézieux vient « témoigner de son soutien à la filière agroalimentaire et à cette profession actuellement entravée ». « Elle est extrêmement importante car elle a un impact sur tous les territoires », insiste Fabrice Le Saché.
« La fin de l'année permet de sourire un peu »
Ce n'est pas Gino, autoproclamé « le roi de la volaille », qui dira le contraire. Tous les ans, il achète et livre 35.000 tonnes de marchandises avec son équipe de 130 personnes pour un chiffre d'affaires annuel de 106 millions d'euros. Pour 2020, « il va me manquer 10% », témoigne-t-il. « C'est compliqué, mais la fin de l'année permet de sourire un peu », dit-il à Geoffroy Roux de Bézieux, en lui faisant sentir une truffe de 208 grammes estimée à 3.500 euros. Et ce avant de lui tendre une belle dinde morte mais bien dodue et toujours plumée.
« Je viens manifester une certaine solidarité avec les fournisseurs de la restauration. Cela représente en moyenne 15% de leurs ventes - le reste compense - mais nous essayons de voir si nous pouvons résoudre les problèmes. Cela fait partie de notre job », confie le président du Medef entre deux pavillons.
L'homme qui le tire par l'épaule s'appelle Stéphane Layani. Il préside et dirige la Semmaris, la société gestionnaire du marché. En 2015, il a lancé un plan de l'investissement de 1 milliard d'euros d'ici à 2025 financé à parts égales avec les grossistes pour rénover et agrandir les espaces dévolus aux PME-TPE. « Nous avons déjà investi 600 millions d'euros. Investir, c'est créer la croissance de demain et les emplois d'après-demain », dit-il.
Démonstration de découpe de la tête de veau
En attendant, il est presque 6 heures et l'heure de voir les viandes qui pendent aux crocs de boucher. Pas de Nicolas Sarkozy à l'horizon voulant réserver ce sort à Dominique de Villepin, mais Francis Fauchère, président de la société Eurodis et président du syndicat de la viande. « On reçoit des bêtes coupées en quatre et après on les découpe », précise ce dernier.
Entre de multiples tâches de sang au sol, Corentin, 34 ans, 5 mois de maison, s'appuie sur un bras articulé pour découper un quart d'animal encore sanguinolent. « Ça me plaît », assure-t-il, malgré la pénibilité de la tâche.
Plus loin, c'est Jean-Jacques Arnoult, président du syndicat de la triperie qui joue les maîtres de cérémonie. Pour le plaisir des yeux, il demande à l'un de ses collaborateurs de découper une tête de veau. D'un geste sûr, ce dernier s'en saisit et, en moins de deux minutes, et emballe la moitié dans un filet, tel un rôti prêt à aller au four.
Au préalable, son collègue Ahmed avait échaudé la tête, c'est-à-dire qu'il l'avait chauffée et nettoyée pour la débarrasser de sa peau. Cyril, vendeur depuis dix ans au marché, en coupe, lui, près de 40 par jour, 200 par semaine, et donc près de 10.000 par an. Chacune pèse 10 à 12 kg et se vend entre 3 et 3,50 euros le kilo.
Outre Jacques Chirac, dont c'était le plat préféré, il se raconte qu'un Russe aurait, un jour, demandé à un restaurateur d'en déguster une entière avec les deux oreilles non-découpées. Sa deuxième requête : y ajouter à la sortie de la cuisine le cadeau pour sa femme : deux boucles d'oreille...
Le premier producteur de fleurs est... la Colombie
Au pavillon horticulture, autre lieu, autre ambiance. Une palette de couleurs a remplacé le rouge de la viande et le gris de la tête de veau. Même si un professionnel y vend des orchidées 100% hyéroises (Var) et un autre des mimosas 100% de la région Sud, les plantes viennent à 80% de l'étranger.
Le mimosas ne tient que deux-trois jours, mais sent si bon.
« Un label France existe, mais manque de portage politique », regrette Laurent Verrecchia, président de la société Green Concept et du syndicat des fleurs coupées. En réalité, ce n'est même pas les Pays-Bas, mais la... Colombie qui reste le premier producteur à l'international.
Le fromage, une valeur refuge
Il est 7 heures et les arômes des produits laitiers ont remplacé le parfum des fleurs dans les narines. « Bienvenue sur le plus grand plateau de fromage du monde ! » s'exclame Bruno Borel, président du Sycopla.
Dans ce pavillon D4 - « on aime jouer à la bataille navale ici » - toutes les spécialités françaises et quelques-unes internationales sont représentées. Même si les restaurants sont fermés, les pertes sont compensées par les commerces de détail, type fromagerie.
« On travaille très bien, on ne peut pas se plaindre. Le fromage demeure une valeur terroir, une valeur refuge. On n'a jamais vendu autant de raclette ! » s'amuse-t-il.
Il est 7 heures 30, et le rayon des fruits et des légumes, qui représente 75% des ventes totales, est rapidement traversé, car il faut se quitter. Le PDG de la Semmaris, Stéphane Layani, philosophe sur l'après-2020 : « En février, c'est le mois où l'on se plaint le moins, car il y a moins deux jours. » En face, Geoffroy Roux de Bézieux éclate de rire.
Kiwis, tomates pas encore mûres et fraises attendent d'être vendues.