Patatras ! Le tribunal a condamné Alexandre Benalla, fidèle parmi les fidèles du président de la République, à trois ans de prison, dont un an de prison ferme. Décidément, pour Emmanuel Macron, l'effet de la place de la Contrescarpe n'a décidément pas fini de faire des dégâts. En septembre pourtant, le procès de l'ancien chargé de mission de l'Elysée était passé plutôt inaperçu. Les médias s'étaient davantage intéressés au procès des attentats du 13 novembre, et puis, la crise des sous-marins australiens avait occupé l'espace également. Lorsque le parquet avait requis seulement 18 mois de prison avec sursis, aucune polémique n'avait alors surgi. Comme si une tablette magique était passée par là.
Et ce n'est pas la première fois que la macronie espère de tout son poids pour passer entre les gouttes du scandale. Souvenez-vous, à l'été 2018, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les « événements » du 1er mai avait fini par interrompre ses travaux. Sa présidente avait décidé de jeter l'éponge, déclarant forfait, se justifiant au nom de la « séparation des pouvoirs » (sic), des éléments de langage un peu lourdauds. Et à l'Elysée, certains avaient crié victoire un peu trop vite... Car le Sénat avait finalement décidé de prendre le relais de l'Assemblée nationale, et avait mis sur pied en quelques jours sa propre commission d'enquête.
Tribunal populaire
Le « taf » de contrôle de l'exécutif par le pouvoir parlementaire avait finalement été fait par les sénateurs. Avec à la manoeuvre un vieux sénateur socialiste en vedette, Jean-Pierre Sueur, l'ancien maire d'Orléans, et un chiraquien canal historique, Philippe Bas, ancien Secrétaire général adjoint de l'Elysée. Cette commission se donne alors de faux airs de Watergate et d'impeachment à l'américaine. Et ça marche : les chaines d'info spectacle ont alors réalisé des scores d'audience spectaculaires. Comme si Benalla était passé devant un tribunal populaire. C'est qu'au fond, en France, un profond désir de justice sociale (certains diront de revanche sociale) n'est toujours pas mort, malgré de multiples injonctions à s'adapter à la globalisation financière.
Cet « égalitarisme » singé par les experts des plateaux télés, abreuvés de fiches de prêt-à-penser façon Sciences Po est peut-être finalement ce qui sauve la France de l'explosion sociale. Il ne faut jamais l'oublier, en politique, le temps long prédomine. Il n'y a qu'à voir l'inertie de la sociologie électorale dans nos territoires, ou le succès apparent d'un Éric Zemmour qui ne cesse dans ses analyses de revenir à Waterloo, 1815, chute de l'Empire, et le déclin, depuis, forcément... Comme toute pensée réactionnaire, la priorité est alors donnée au rétroviseur. On ne prépare pas l'avenir, on se fabrique une petite nostalgie bien pratique, au risque de disparaitre du monde, vraiment.
Un sentiment d'impunité et de toute-puissance
C'est tout l'anachronisme d'un Emmanuel Macron depuis 2017, expliquant aux Français qu'ils leur manquent un Roi dans leur démocratie. Lui aussi ne cesse de regarder dans le rétroviseur, à sa façon. En bon acteur de théâtre, il mime d'ailleurs un pays puissance qui n'a peut être plus les moyens de sa puissance. En tout cas, si peu est fait pour changer la sortie de route d'un pays qui a connu il y a encore peu une certaine « grandeur ».
Lors de sa victoire, Bild, le journal populaire allemand, avait titré « kitsch » au sujet de la photo officielle d'Emmanuel Macron, surchargée de symboles à clé, et de « citations » de toutes les anciennes photos des présidents de la Vème. Comme si « représenter » les Français dans la tête de ce jeune président passait forcément par rassembler dans une sorte de patchwork les marottes des uns et des autres. En démocratie, cette fragmentation si chère à nos GAFAM n'a jamais fonctionné en réalité. Le ciment d'un pays est affaire de transcendance certes, mais également de compréhension de ses véritables sensibilités, de ses évolutions, et ne peut se résumer aux fantasmes de quelques uns. Justement, avec son prêt à penser façon Sciences Po ENA, une forme d'aristocratisme continue de caractériser la noblesse d'État passé au tout marché. Et cette impression de compter plus que les autres, ce passeport d'immunité, n'a jamais été bien clairvoyante.
Les Français n'aiment pas l'arbitraire, ni celle des grands chefs, ni celle des petits chefs. Et la juge Isabelle Prévost-Desprez a justement décidé d'aller à l'encontre des trop clémentes réquisitions du parquet, dénonçant le « sentiment d'impunité et de toute-puissance » d'Alexandre Benalla. Une forme d'avertissement pour un président de la République qui adore dire qu'il a gagné par « effraction » ? Cette semaine, lors d'un JT de France 2 délocalisé en région, le public rassemblé autour du présentateur avait décidé de ne pas respecter le storytelling télévisuel : certains commencèrent à scander « Macron démission », « Benalla en prison ! ». C'est aussi ça la France. Une certaine idée de la démocratie : le pouvoir du peuple. Loin des dérivations faciles et autres impasses à l'encontre de bouc émissaires qui arrangent finalement beaucoup de monde...