Coronavirus : des ordonnances en rafale, les syndicats sur le qui-vive

Par Grégoire Normand  |   |  1406  mots
Vingt-cinq ordonnances sur les 43 prévues par la loi d'urgence adoptée dimanche vont être présentées mercredi en conseil des ministres dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de coronavirus qui a mis la France à l'arrêt, bouleversant le fonctionnement des services publics et l'économie. (Crédits : Reuters)
Soutien aux entreprises, assouplissements du droit du travail, protection des droits sociaux... Le gouvernement a adopté un arsenal de 25 ordonnances pour tenter de faire face à la crise. Un record, « historique depuis 1958 », selon les mots d'Edouard Philippe. Mais côté syndicats, les craintes se multiplient.

Le gouvernement a décidé de passer à la vitesse supérieure. Après avoir pris des mesures pour renforcer le confinement des Français en début de semaine, l'exécutif a adopté à l'issue du conseil des ministres ce mercredi 25 mars, un arsenal d'ordonnances destinées à soutenir les entreprises dans cette période d'effondrement de l'Economie. Lors d'une allocution, le Premier ministre est venu présenter les grandes lignes des ces ordonnances en multipliant les métaphores guerrières.

"Le nombre d'ordonnances adopté en conseil des ministres est historique. Il faut remonter à 1958 pour y voir, un équivalent, c'est bien le signe que l'urgence dicte sa loi. [...] Grâce à ces ordonnances, notre pays est juridiquement armé pour organiser l'Etat d'urgence sanitaire que la situation impose. L'objectif de ce régime provisoire est de protéger nos citoyens à commencer par nos soignants qui se battent en première ligne. [...] Le second objectif est de limiter les graves dommages économiques et sociaux que provoque inévitablement le confinement"

Mardi 24 mars, lors d'un point presse, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a déclaré que la projection de croissance de -1% pour 2020 qui figurait dans le projet de loi de finances rectificative serait sans doute révisée à la baisse. Les indices PMI du mois de mars pour la France et la zone euro montrent un effondrement de l'activité dans les services et l'industrie. Aussi, les ordonnances adoptées par l'exécutif prévoient d'amples assouplissements du code du travail. De quoi susciter des craintes chez les syndicats et salariés qui continuent à se rendre sur leur lieu de travail pendant cette période de confinement renforcée. Surtout, la cacophonie au sommet de l'Etat risque de brouiller le message auprès des Français.

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Des ordonnances pour soutenir les entreprises

La propagation du virus sur le Vieux continent a mis à l'arrêt beaucoup d'entreprises. "La première série d'ordonnances vise à maintenir à flots les entreprises les plus vulnérables", a expliqué Matignon. Pour tenter de limiter la casse, l'exécutif prévoit une ordonnance permettant la mise en place d'un fonds de solidarité à destination des entreprises les plus en difficulté.

Cette enveloppe vise particulièrement les indépendants, les très petites entreprises et les microentreprises ayant un chiffre d'affaires inférieur à 1 million d'euros. Elle est financée par l'Etat et les régions. Le ministère de l'Economie précise que les intercommunalités et les grandes entreprises pourront contribuer à financer ce fonds. Il devrait permettre aux entreprises au bord de l'asphyxie de bénéficier d'une aide de 1.500 euros sous certaines conditions. Les établissements doivent notamment subir une fermeture administrative ou avoir connu une perte de chiffre d'affaires de plus de 70% au mois de mars par rapport à mars 2019. Le gouvernement précise "qu'un soutien complémentaire pourra être octroyé pour éviter la faillite au cas par cas. L'instruction des dossiers associera les services des régions et de l'Etat au niveau régional."

Toujours concernant les entreprises, une autre ordonnance prévoit un assouplissement des règles relatives à "l'établissement, l'arrêté, l'audit, la revue, l'approbation et la publication des comptes et des autres documents et informations que les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé sont tenues de déposer ou publier dans le contexte de l'épidémie de Covid-19". En d'autres termes, la procédure du gouvernement envisage de simplifier les règles relatives aux réunions et délibérations des assemblées dans les grandes entreprises.

De même, les principes de commande publique sont également simplifiés.

Ensuite, les mesures adoptées à l'issue du conseil des ministres ce mercredi permettent une suspension du paiement des loyers des factures d'eau, de gaz et d'électricité pour les locaux professionnels et commerciaux. Il sera par ailleurs interdit pendant la période de l'état d'urgence sanitaire "et pour les deux mois qui suivront" d'imposer des pénalités de retard ou d'activer des garanties et des cautions en cas d'impayés de loyer pour les locaux professionnels.

Enfin, le texte prévoit une simplification dans les autorisations délivrées aux opérateurs télécom quant aux interventions sur la voirie et les toitures.

Un assouplissement du droit du travail

Sur le front social, le gouvernement a également prévu une panoplie d'ordonnances visant à assouplir le code du travail. "Le droit du travail est aménagé temporairement pour permettre l'organisation d'une véritable économie de guerre" a expliqué Edouard Philippe. L'une des mesures vise à revoir les règles notamment en matière de congés payés, de durée du travail et de jour de repos. Interrogé par La Tribune il y a quelques jours, le député et rapporteur général du projet de loi de finances rectificative, Laurent Saint-Martin, assurait que la volonté du gouvernement n'était pas de détricoter le code du travail. "Il n'y a pas de volonté de modifier durablement le code du travail dans ce texte de loi. Tout ce qui est présenté sur le plan législatif est fait pour permettre aux entreprises de survivre. La flexibilité et toutes les mesures de trésorerie ont été décidées pour que les entreprises puissent survivre".

Une ordonnance va permettre, sous réserve toutefois d'un accord d'entreprise ou de branche, à un employeur de modifier les dates de congé de ses salariés, dans la limite de six jours ouvrables. Dans certains secteurs, des dérogations seront par ailleurs possibles en matière de durée du travail, de repos hebdomadaire et de repos dominical. Interrogé par La Tribune, Michel Beaugas, secrétaire confédéral à Force ouvrière (FO) en charge de l'emploi et des retraites, a fait part de ses craintes :

"Nous avons un regard mitigé sur ces ordonnances. Si on peut se satisfaire de l'ordonnance sur l'assurance-chômage qui prolonge les fins de droit, l'extension de l'activité partielle sur les intérimaires, les intermittents du spectacle, le reste des ordonnances déroge grandement au droit du travail [...] Il pourra y avoir des semaines de travail jusqu'à 60 heures dans certains secteurs qui ne sont pas définis. Pour les RTT, les crédits d'heures, l'employeur pourra de manière unilatérale imposer aux salariés de les prendre avant de démarrer une activité partielle par exemple".

Par ailleurs, le syndicat rappelle que la construction du texte est passée outre l'avis des organisations professionnelles et syndicales. "La loi votée dimanche dernier prévoit que le gouvernement ne passe pas par les consultations syndicales des salariés et employeurs. C'est le texte de loi qui prévaut. Pour les ordonnances relatives au droit du travail, elles bénéficient, d'habitude grâce à un article du code du travail, d'une consultation. Les syndicats n'ont pas rendu d'avis. C'est purement dérogatoire".

Enfin, si Edouard Philippe a insisté à plusieurs reprises que ces ordonnances avaient un caractère temporaire, les syndicats s'inquiètent du flou sur la durée d'application. Michel Beaugas a fait part de pressions reçues par certains salariés dans certaines régions. Pour FO, "il y a un véritable risque sanitaire pour les salariés. Si on les fait travailler 60 heures par semaine ou avec des amplitudes horaires plus grandes, les travailleurs vont également être plus vulnérables au virus. Les gens sont confrontés à des injonctions contradictoires. Le gouvernement affirme qu'il faut rester chez nous et, en fait, il faut aller travailler".

Un prolongement des droits sociaux

Les ordonnances prévoient enfin la prolongation des droits ouverts pour plusieurs minimas sociaux, et celle de la trêve hivernale, prorogée jusqu'au 31 mai, y compris quant à la fourniture d'énergie, qui ne peut être interrompue en raison de non-paiement. "Ce prolongement concerne le revenu de solidarité active, la complémentaire santé solidaire, l'allocation aux adultes handicapés, l'allocation d'éducation pour les enfants handicapés. Là encore il s'agit de faire en sorte que les droits soient préservés et poursuivis pendant toute la période de confinement. C'est la même logique qui nous anime s'agissant des droits des demandeurs d'emplois qui viendraient à expiration. Ils vont être prolongés le temps de l'état d'urgence", a déclaré Edouard Philippe.

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