D'habitude, notre pays est plutôt pointé du doigt pour le niveau de ses dépenses sociales, sa rigidité, sa dette, etc. Cette fois, Paul Krugman souligne notre formidable résilience. Dans un tribune publiée par le New York Times, le célèbre économiste néokeynesien tresse les lauriers de notre gestion de la crise. Il fait de la France, pourtant souvent moquée outre-Atlantique, le pays « vedette », « star » dans l'appréhension de la pandémie.
Le fameux « quoi qu'il en coûte », une stratégie gagnante
Et de vanter les mérites des aides distribuées par l'État dans cette période, et notamment la panoplie de mesures de soutien du fameux « quoi qu'il en coûte »: exonération des cotisations, fonds de solidarité, prêts garantis par l'État...
Selon lui, la France a réussi la prouesse d'éviter une chute massive de l'emploi. Il est vrai que, contre toute attente, le niveau de chômage est plus bas en ce moment qu'avant la pandémie : en un an, il y a eu 500.000 chômeurs de moins inscrits à Pôle Emploi, un taux de chômage autour de 8% de la population active, bien meilleur qu'avant crise. La reprise a encouragé les embauches. Et c'est sans compter les créations d'entreprises qui se sont envolées - près de 1 million, l'an dernier, un record !
Pour Paul Krugman, il faut donc saluer la stratégie du gouvernement dans son soutien aux entreprises. Cela a évité les faillites en cascade: preuve en est, le nombre de défaillances de sociétés n'a jamais été aussi bas depuis 35 ans : 28.000 enregistrées l'an dernier, alors que, depuis 10 ans, la France en comptabilisait plutôt 50.000 en moyenne annuelle.
Grâce aux aides d'État, les sociétés même les plus fragiles, dans des secteurs très exposés à la crise comme l'hôtellerie, la restauration et le tourisme, ont pu conserver leur appareil de production, leur trésorerie mais aussi leurs équipes.
La tactique coûteuse mais payante du chômage partiel
D'ailleurs, parmi les dispositifs déployés par l'exécutif pendant cette période, Paul Krugman vante tout particulièrement la mise en place massive du chômage partiel. Au plus fort de la crise, au printemps 2020, près de 9 millions de salariés étaient concernés par ce dispositif. Cette mesure, bien que coûteuse pour les finances publiques, a permis de garder la relation, le lien entre employeurs et salariés.
La France a ainsi évité le mouvement de "grande démission", comme aux États-Unis où le gouvernement a distribué des chèques de soutien aux employés, mais où près de 4 millions d'Américains actifs sont sortis du marché du travail après avoir rompu leur contrat avec leur patron.
Selon Paul Krugman, la France est bien armée pour profiter à plein de la reprise. Elle affiche d'ailleurs une des meilleures croissances européennes de 2021, au-delà de 6,5%, et bien au-delà de la moyenne européenne, qui tourne plutôt autour de 5%.
Le pari gagnant des écoles maintenues ouvertes pendant la pandémie
Autre satisfecit pour la France, la politique du maintien des écoles ouvertes. Selon Paul Krugman, cela fut déterminant pour que les parents, et surtout les mères, puissent reprendre leur poste, et faire tourner l'économie.
Au passage, l'économiste souligne le système de garde d'enfants, très développé dans l'Hexagone comparé à d'autres voisins européens.
Une stratégie vaccinale qui s'est révélée efficace
Enfin, dernier bon point distribué, la campagne de vaccination qui, malgré ses débuts poussifs, s'est finalement déployée dans le pays de façon efficace. Une stratégie là encore qui a permis à la France de préserver sa population, moins violemment affectée par les variants. Et donc de maintenir un niveau d'activité élevé. Et, même si l'hexagone compte ses mouvements antivax, "ils n'ont pas autant de poids politique que leurs homologues américains", note-t-il.
Travailler moins, un choix de société, plus qu'un problème
Quant aux grincheux, qui souligneraient les dépenses françaises qui dérapent, la dette qui se creuse, et les rigidités de notre système productif, l'économiste leur répond : oui, le PIB par tête français est inférieur de 25% par rapport à celui des Etats-Unis, mais c'est parce que les Français travaillent moins. Ils partent à la retraite plus tôt et s'accordent aussi beaucoup plus de jours de vacances.
Ce sujet du temps de travail des Français promet d'être au coeur des programmes de certains candidats à l'élection présidentielle. Et si Emmanuel Macron postule à sa réélection, nul doute qu'il proposera de décaler l'âge de départ à la retraite. Le chef de l'État, qui regrette de ne pas avoir fait la réforme des retraites durant ce quinquennat, a souvent jugé que ses compatriotes ne travaillent pas assez.
Reste que, pour Paul Krugman, il ne faut pas y voir un problème mais un CHOIX de société. L'économiste dit ne pas vouloir idéaliser la France, mais la regarder comme un modèle. Sous-entendu, pour lui, qui aux États-Unis est classé à gauche, c'est un modèle dont devraient s'inspirer les démocrates américains.
En attendant, il évite dans sa tribune de pointer ce qui sera le plus délicat : sortir du « quoi qu'il en coûte », retrouver une forme de normalité, et se pencher sur la réduction des déficits et le remboursement de la dette qui atteint les 115% du PIB.
Il n'empêche, dans cette période de morosité, ce satisfecit venu d'outre-Atlantique fait du bien. Il nous invite, sans naïveté béate, à considérer peut-être un peu plus nos atouts et nos forces plutôt que de ressasser nos faiblesses. De quoi illustrer aussi le fameux proverbe "quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console ! ".