Déficit : la Cour des comptes critique le manque d'ambition du gouvernement

Par Grégoire Normand  |   |  1022  mots
L'amélioration des finances publiques est "tardive" et "principalement imputable à la conjoncture", jugent les magistrats financiers, déçus par la "très faible" baisse du déficit programmée en 2018.
"Freinage insuffisant" de la dépense publique, "pas de marges suffisantes pour faire face efficacement à un choc conjoncturel défavorable", les magistrats de la Cour des comptes n'ont pas été tendres avec la politique budgétaire du gouvernement.

Dans sa dernière livraison publiée ce mercredi 7 février, la Cour des comptes critique la faiblesse des objectifs du gouvernement en matière de réduction du déficit et de la dette. L'institution regrette que l'exécutif ne profite pas de la reprise économique pour assainir sérieusement la situation des finances publiques.

"Comme à plusieurs reprises dans le passé, la phase actuelle d'amélioration de la conjoncture n'est pas mise à profit pour réduire vigoureusement le déficit public et engager une baisse durable du ratio de la dette au PIB, celui-ci étant prévu encore en légère augmentation en 2018. Les pouvoirs publics ne disposent ainsi que de peu de marge pour, en 2018, maintenir le déficit public en dessous de trois points de PIB et, à moyen terme, faire face à un ralentissement économique ou un éventuel choc conjoncturel défavorable."

Un retour possible en dessous des 3% en 2017

Selon les sages de la rue Cambon, le déficit public devrait revenir sous le seuil des 3% du Produit intérieur brut (PIB) en 2017. D'après les dernières prévisions de Bercy, le déficit public devrait s'établir à 2,9% du PIB en 2017, passant pour la première fois depuis dix ans sous le seuil des 3% exigé par les traités européens. Cette réduction résulte essentiellement de recettes supérieures aux prévisions. Elles sont liées à une nette amélioration de la conjoncture économique en France et dans la zone euro. Depuis  plusieurs trimestres, la conjoncture s'est en effet améliorée et les prévisions de croissance ont globalement été révisées en hausse : le Gouvernement tablait, au moment du dépôt du PLFR de fin 2017, sur une croissance de 1,7 % au lieu de 1,5 % dans le programme de stabilité d'avril. Au final, la croissance s'est établie à 1,9% l'année dernière.

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Mais "même avec un déficit ramené sous la barre des 3%, la France continue de présenter une situation financière plus dégradée que celle de la quasi-totalité de ses partenaires de la zone euro", a rappelé le président de la Cour, Didier Migaud, lors d'une conférence de presse. De son côté, la dette publique, fruit de l'accumulation des déficits, devrait ainsi augmenter en 2017 à 96,8% du PIB, puis se stabiliser en 2018, à près de 2.250 milliards d'euros, alors qu'elle devrait refluer chez tous les autres membres de l'union monétaire.

Le premier président de la Cour des comptes Didier Migaud. Crédits : Charles Platiau/Reuters.

Une faible réduction pour 2018

Les auteurs du rapport estiment que la baisse du déficit public visée pour 2018 est "atteignable [...] mais serait en tout état de cause très faible, à 0,1 point de PIB, et le déficit atteindrait encore, selon le Gouvernement, 2,8 points de PIB." Pour la juridiction, cet objectif "paraît d'autant plus modeste que la croissance prévue est soutenue par rapport aux dernières années" (+1,7 % en 2018).

Et même si cet objectif est jugé limité, la Cour note que l'objectif affiché pour le déficit public n'est pas gagné d'avance rapporte Reuters. Il suppose en effet, selon la Cour, "un ralentissement de la dépense publique qui n'est pas garanti", particulièrement du côté des collectivités locales, "en l'absence de la pression de la baisse des concours financiers de l'Etat exercée sur elles ces dernières années" d'après l'agence de presse.

Dans ces conditions, l'institution juge que les pouvoirs publics ne disposent "que de peu de marge pour, en 2018, maintenir le déficit public en dessous de trois points de PIB et, à moyen terme, faire face à un ralentissement économique ou un éventuel choc conjoncturel défavorable".

Au-delà de 2018, le rapport note que la loi de programmation des finances publiques votée fin décembre concentre sur la fin du quinquennat l'essentiel des efforts pour parvenir aux objectifs retenus : une baisse de cinq points de PIB de la dette publique et de trois points de la dépense publique à l'horizon 2022.

La réponse du gouvernement

Dans leur réponse à la Cour, les ministres de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire et des Comptes publics Gérald Darmanin indiquent que la stratégie du gouvernement repose d'abord "sur une baisse rapide des prélèvements obligatoires visant à redonner immédiatement du pouvoir d'achat aux ménages et favorisant l'investissement productif."

Les deux ministres font valoir aussi que la faible amélioration du déficit public pour les deux années à venir tient à des phénomènes exceptionnels - coût du contentieux sur la taxe sur les dividendes en 2018 et transformation du CICE en baisse de charges en 2019.

Au-delà, l'effet des mesures qui seront adoptées dans le cadre du processus Action publique 2022 "doit contribuer à l'atteinte des cibles inscrites dans la loi de programmation des finances publiques à partir de 2020". Sur l'antenne de France Inter, ce mercredi, M. Le Maire a exprimé sa détermination à baisser la dette :

"Il faut réduire la dette. Nous devons nous débarrasser de cette dette qui est un poison pour l'économie française. Un poison pour l'argent des Français parce que l'argent dont je vous parle, ces charges de la dette qui augmentent, c'est l'argent des Français. Je vais vous dire mon sentiment profond, c'est de l'argent jeté par les fenêtres."

Il en a profité également pour exprimer sa crainte relative à la remontée des taux d'intérêt. "Lorsque les taux d'intérêt remontent, creuser la dette, c'est jeter de l'argent par les fenêtres. Lorsqu'il y a un point de taux d'intérêt en plus, [...] c'est trois milliards d'euros de dépenses supplémentaires [...] Mon rôle de ministre des Finances, c'est de faire en sorte que les comptes publics de la nation soient bien tenus". Après ces paroles, les magistrats de la Cour des comptes devraient être attentifs à la future trajectoire des dépenses publiques du gouvernement.

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