Le déficit public s’élève à 5,5 % du PIB, Bruno Le Maire maintient son objectif de repasser sous 3% de PIB en 2027

Par latribune.fr  |   |  1960  mots
La semaine passée, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avait préparé les esprits, indiquant que le déficit public serait supérieur à 5%. (Crédits : POOL)
En 2023, le déficit public français atteint 5,5% du PIB à 154 milliards d'euros, indique l'Insee ce mardi. La dette publique française atteint, elle, 110,6% du PIB fin 2023.

[Article publié le mardi 26 mars 2024 à 07h33 et mis à jour à 12h25] La facture est salée. Comme attendu, l'Insee a dévoilé ce mardi matin l'ampleur du déficit public en 2023. « Le déficit public pour 2023 s'établit à 154,0 milliards d'euros, soit 5,5 % du produit intérieur brut (PIB), après 4,8 % en 2022 et 6,6 % en 2021 », indique l'institut ce mardi matin. Pour rappel, ce n'est pas la première fois qu'il excède les 5% : le déficit avait en effet grimpé à 6,4% en 1993, 7,2% en 2009 et même 9% en 2020.

« Ce chiffre marque une dégradation de 15,8 milliards d'euros par rapport aux dernières prévisions », a indiqué sur le réseau X le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave.

 « Les recettes ralentissent nettement en 2023 : elles progressent de 2,0 % après +7,4 % en 2022, complète l'Insee. Le taux de prélèvements obligatoires diminue et s'établit à 43,5 % du PIB après 45,2 % en 2022, à un niveau proche de l'avant Covid (43,9 % en 2019). »

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Le Maire maintient l'objectif de 3%

Les dépenses ont elles aussi « un peu » ralenti : « Elles augmentent de 3,7% après +4,0% en 2022 », indique l'Insee. « En proportion du PIB, les dépenses continuent de reculer et s'établissent à 57,3% du PIB après 58,8% en 2022 », précise-t-il, mais elles restent cependant « sensiblement supérieures à l'avant Covid (55,2% du PIB en 2019) ».

Les dépenses de fonctionnement (+6,0%) et les prestations sociales « accélèrent » (+3,3%, après +1,2% en 2022), portées « par la revalorisation des prestations indexées sur l'inflation », indique l'institution.

La dette publique française atteint, elle, 110,6% du PIB fin 2023, a précisé l'Institut national de la statistique et des études économiques. C'est moins qu'en 2022, où elle s'affichait à 111,9%, mais presque un point de pourcentage au dessus de la prévision du gouvernement (109,7%).

« À la fin du quatrième trimestre 2023, la dette publique au sens de Maastricht s'établit à 3 101,2 milliards d'euros, soit une augmentation de 8,1 milliards d'euros, après +41,4 milliards d'euros au trimestre précédent », détaille l'Insee.

« Les finances publiques de l'Etat doivent être rétablies. Ma détermination (...) est intacte : je maintiens l'objectif de 3%. Cela demandera beaucoup de détermination et de méthode », a réagi Bruno Le Maire au micro de RTL, dans la foulée de cette publication.

« Ca ne peut plus être open bar »

Le locataire de Bercy a reconnu une « situation exceptionnelle, où les recettes fiscales ne suivent pas ». Interrogé sur les pistes d'économies, Bruno Le Maire appelle à une « prise de conscience collective ».

« On peut parfaitement faire des économies sur la dépense publique sans aller piocher dans les poches des Français et je reste totalement opposé à toute augmentation d'impôts sur nos compatriotes », a déclaré le ministre, en relevant que les entreprises aussi « payent des impôts ». Il s'est uniquement montré ouvert à une hausse de la contribution sur la rente inframarginale des énergéticiens, gonflée ces dernières années par la hausse des prix de l'énergie.

Cette taxe n'a rapporté en 2023 « que 300 millions (d'euros) soit dix fois moins que ce qui était prévu et anticipé par la CRE », la Commission de régulation de l'énergie, ce qui n'est « pas acceptable », a déploré Bruno Le Maire lors d'un point avec la presse, y voyant « un problème de justice et d'efficacité fiscale ».

Ces déclarations interviennent une dizaine de jours après un rapport de la Cour des comptes soulignant que ce dispositif ne génère pas de recettes « à la hauteur de ce qui serait équitable pour les consommateurs » et suggérant au gouvernement de « proposer au Parlement de faire évoluer le champ et les modalités de calcul de la CRI au titre de 2024, afin d'en augmenter le rendement ».

« Mais pour le reste, je refuse cette solution de facilité qu'on a depuis 30 ou 40 ans en France [dire] les Français vont payer, dès que ça va mal sur les comptes publics », a insisté Bruno Le Maire.

L'opposition tire à boulets rouges

Ce mardi matin, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a regretté mardi le dérapage « important » et « très, très rare » du déficit de la France.

« Je ne suis plus surpris, on supputait ce chiffre depuis quelques jours, mais c'est tout de même un dérapage dans l'exécution qui est important, pas tout à fait inédit mais très, très rare », a-t-il estimé sur France Inter.

« Monsieur Macron est comptable de ce bilan désastreux ! », a réagi de son côté sur X le patron des Républicains Eric Ciotti, évoquant un « chant du cygne » des finances publiques.

« La politique du gouvernement est en situation d'échec », a renchéri sur Public Sénat le rapporteur du Budget au Sénat, Jean-François Husson (LR), pour qui le ministre de l'Economie et des Finances « Bruno Le Maire est discrédité et décrédibilisé, sa responsabilité est engagée ». « C'est un effondrement de l'autorité de la France en Europe », a-t-il jugé.

Cela présage d'une « saignée sans précédent sur les finances publiques », a regretté sur France 2 Manuel Bompard (LFI), voyant dans le chiffre de l'Insee un « désaveu cinglant », qui serait « d'abord le bilan d'Emmanuel Macron ».

La publication de l'Insee intervient à un mois du prochain verdict des agences de notation. Le 26 avril, Fitch et Moody's donneront une nouvelle appréciation de la capacité de la France à rembourser sa dette. La décision de l'agence S&P, la plus redoutée, est, elle, annoncée pour le 31 mai. Une dégradation de la note française pourrait renchérir le coût de ses emprunts et grever encore un peu plus les finances publiques.

Déjà, la semaine passée, l'exécutif avait préparé les esprits. Le déficit public français « sera au-dessus des 5% » du Produit intérieur brut (PIB) en 2023, avait ainsi réaffirmé lundi le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, au micro de RMC. Il avait précédemment prévenu que ce chiffre serait « significativement » plus élevé que les 4,9% initialement prévus.

50 milliards d'euros d'économies

La semaine passée, le chiffre de 5,6% du PIB avait été avancé, corroboré lors d'une visite jeudi à Bercy du rapporteur général de la commission des Finances du Sénat Jean-François Husson. Ce dernier avait alors fustigé la « gestion budgétaire calamiteuse » du gouvernement, « incapable de suivre la trajectoire budgétaire qu'il a lui-même fait adopter ».

Le chiffre de l'Insee était d'autant plus attendu que chaque décimale a un impact sur les finances publiques. « Pour faire simple, chaque 0,1 point » de PIB de déficit supplémentaire en 2023 « représente environ 3 milliards » d'euros manquant dans les caisses de l'Etat, a expliqué à l'AFP l'économiste Mathieu Plane.

Au troisième rang des pays les plus endettés de la zone euro, la France a promis à ses partenaires européens de revenir sous les 3% de PIB de déficit en 2027. Cela équivaut à 50 milliards d'économies minimum, selon la Cour des comptes.

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Le retard accumulé en 2023 risque toutefois de peser très fortement en 2024 et les années suivantes. Dans les notes techniques de Bercy consultées par le Sénat, le gouvernement envisageait que, sans mesure corrective, le déficit public grimperait à 5,7% en 2024 (contre une baisse à 4,4% actuellement prévue) et à 5,9% en 2025 (contre 3,7%).

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Une hausse d'impôts inévitable ?

Pour ce faire, le gouvernement devra inévitablement effectuer un nouveau tour de vis budgétaire, a concédé vendredi le président Emmanuel Macron, alors qu'est aussi attendue mardi la publication par l'Insee de la dette publique pour l'année 2023 (initialement prévue à 109,7% du PIB).

Depuis la fin de la semaine dernière fleurit une autre idée pour renflouer les caisses, qui divise la majorité : une hausse ciblée des impôts, alors que le gouvernement s'y est presque toujours refusé depuis 2017. La présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet (Renaissance) veut pousser la majorité à « entamer une réflexion » sur les entreprises réalisant des « superprofits » ou versant des « superdividendes ». Elle a reçu l'appui lundi de François Bayrou, président du MoDem. Le chef de file des députés MoDem, Jean-Paul Mattei, propose, lui, de relever le taux du prélèvement forfaitaire (« flat tax ») sur les revenus du patrimoine, une mesure qui ciblerait les contribuables les plus aisés.

Selon le gestionnaire d'actifs Janus Henderson, 63,2 milliards d'euros ont été reversés par 40 des plus grosses entreprises françaises à leurs actionnaires en 2023, un montant record.

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Des débats parlementaires agités en perspective

Bruno Le Maire, d'abord fermé à cette idée, et qui assurait vendredi que le gouvernement n'envisageait pas de taxer d'autres superprofits que ceux des énergéticiens, s'est cependant dit « ouvert aux discussions ». En revanche, Bruno Le Maire s'est dit « prêt à mettre en place une imposition minimale au niveau international sur les plus hauts revenus », « pour éviter que certains des plus fortunés en Europe puissent échapper à leur juste part d'impôt », une idée qu'il avait déjà développée fin février en marge d'un G20 des ministres des Finances au Brésil.

« C'est normal que dans une majorité, il puisse y avoir des débats », a-t-il concédé lundi. « Après je vous donne ma conviction (...): pour moi, la vraie solution est plus la baisse des dépenses publiques, puisque c'est là qu'on a le niveau le plus élevé, plutôt que de continuer à augmenter les impôts », a-t-il ajouté.

Pour rappel, dix milliards d'euros de coupes ont déjà été actées mi-février sur le budget de l'Etat 2024. Mais il faudra compléter l'ajustement « dans toutes les actions utiles de la dépense publique », a-t-il indiqué, visant notamment les dépenses sociales ou des collectivités locales.

Mi-mars, le ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave avait estimé qu'il faudrait trouver « au moins 20 milliards » d'euros d'économies dans le budget 2025, et annoncé de nouveaux thèmes de revues des dépenses publiques, concernant notamment celles liées aux affections de longue durée (ALD), les aides au cinéma ou encore l'absentéisme dans la fonction publique.

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Bruno Le Maire plaide aussi pour durcir à nouveau les règles d'indemnisation des chômeurs, une mesure également portée par Les Républicains dans leur « contre-budget » présenté à l'automne 2023.

(Avec AFP)