Deux semaines après avoir dévoilé les grandes lignes des 10 milliards d'euros d'économies supplémentaires en 2024, le gouvernement a fixé le cap budgétaire des prochains mois. Auditionnés par la Commission des finances de l'Assemblée nationale et celle du Sénat ce mercredi 6 mars, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, son ministre du Budget, ont préparé les esprits à de nouvelles coupes sévères dans la dépense publique. Au total, les économies pourraient s'élever à 30 milliards d'euros entre 2024 (10 milliards d'euros) et 2025 (20 milliards d'euros) répartis entre l'Etat et la sécurité sociale.
Pour rappel, le gouvernement s'était fixé pour objectif de réduire le déficit public à 4,9% en 2023 et 4,4% en 2024. Mais Bruno Le Maire a expliqué que le déficit public français « sera significativement au-dessus de 5% en 2023. Il était donc indispensable de réagir vite et fort ». Confronté à une croissance plus faible que prévu en 2023, l'exécutif a dû faire face à des recettes fiscales moindres, de l'ordre de 7,7 milliards d'euros l'année dernière. Les recettes de l'impôt sur les sociétés (4,4 milliards d'euros), sur la TVA (-1,4 milliard) et sur le revenu (-1,4 milliard) ont plombé les ambitions budgétaires du gouvernement.
Plombé par des recettes en berne, le budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale se retrouvent dans le rouge. Et cette situation ne risque guère de s'arranger. La plupart des instituts de prévision ont révisé à la baisse leur croissance pour 2024 autour de 0,8%. De son côté, l'exécutif a également dégradé sa prévision de 1,4% à 1% pour cette année. Mais cette projection demeure au-dessus du consensus des économistes.
Jusqu'à 20 milliards d'euros d'économies supplémentaires en 2025
Après avoir fermé le robinet des aides Covid et réduit les boucliers tarifaires sur l'énergie, le gouvernement a d'abord taillé dans les dépenses de l'Etat (10 milliards d'euros). Pour 2024, le gouvernement ne s'interdit pas de nouvelles économies. « Cela va dépendre des recettes fiscales », a prévenu Bruno Le Maire devant les députés de la Commission des finances. Sur la table, plusieurs pistes ont été évoquées comme le remboursement des transports pour les malades, les journées d'absence autorisées dans les collectivités, l'empilement d'échelons dans les administrations locales. Le gouvernement pourrait passer par un budget rectificatif à l'été.
S'agissant de 2025, le ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave a annoncé un coup de rabot plus élevé. « Compte tenu des résultats 2023 et de la révision de nos prévisions de croissance pour 2024, je dois vous le dire en
transparence : pour construire le budget de l'an prochain et pour tenir notre objectif
de ramener le déficit sous 3% d'ici 2027 [...] nous devons porter notre effort de
12 à 20 milliards d'euros d'économies supplémentaires pour l'année 2025 ».
Actuellement, les services de Bercy passent au scalpel les dépenses des différentes administrations pour préparer le budget 2025. Dans le viseur des comptables du ministère des Finances figurent une longue liste de pistes brûlantes : les aides aux entreprises, les dispositifs en faveur de la jeunesse, les politiques de l'emploi, la formation professionnelle et l'apprentissage, les dispositifs médicaux, les affections de longue durée, les aides au secteur du cinéma, l'absentéisme dans la fonction publique, les mesures de maîtrise de la loi de programmation militaire, ou encore les dépenses immobilières des ministères sous loi de programmation.
Une méthode par décret décriée
L'annonce des 10 milliards d'euros de coupes budgétaires dans les dépenses de l'Etat a provoqué de vifs remous à l'Assemblée nationale. Faute de majorité dans l'Hémicycle, le gouvernement est passé par décret pour faire passer ces économies. Une méthode décriée par les parlementaires mais autorisée par les lois de finances (LOLF) lorsqu'il s'agit de dépenses de l'Etat. « Les économies doivent être ciblées, pesées et votées par le Parlement, pas décidées sur un coin de table à Bercy », a regretté le député (LIOT) Charles de Courson fin février.
« Jamais un gouvernement n'avait imposé une telle baisse sans projet de loi de finances rectificative », (PLFR) a rappelé Eric Coquerel sur X (ex-Twitter). « C'est un problème démocratique l'Assemblée nationale se retrouve quasiment devant un budget refait ». Une vingtaine de députés Les Républicains ont par ailleurs écrit au Premier ministre Gabriel Attal pour dénoncer un « contournement grave du Parlement », allant jusqu'à le qualifier de « scandale démocratique ».
Un budget sous le radar des agences de notation
Sous le radar des agences de notation, la France s'est engagée dans un virage budgétaire restrictif. Comme l'année dernière, l'exécutif redoute un carton rouge des agences financières dans les prochaines semaines. Le verdict de Fitch et Moody's est attendu le 26 avril, celui de S&P Global Ratings le 31 mai, juste avant les élections européennes.
Un avertissement avant le scrutin serait synonyme d'échec pour le gouvernement attaché à donner des gages de sérieux budgétaire aux acteurs de la finance. Au printemps 2023, le gouvernement avait justifié la réforme contestée des retraites sous la menace d'une dégradation des agences de notation. Malgré le passage de cette vaste réforme, l'agence Fitch avait tout même dégradé la note de France. Critiquées pour leur méthode depuis la grave crise financière de 2008, ces agences ont perdu de leur influence. Mais elles restent un moyen pour l'exécutif de maintenir une épée de Damoclès au dessus du budget, au moment où l'Etat doit emprunter un montant colossal en 2024.
L'assurance-chômage dans le collimateur de Bercy
Faute de croissance économique, le marché du travail montre des signes d'essoufflement depuis 2023. Le taux de chômage au sens du bureau international du travail (BIT) est remonté à 7,5% à la fin de l'année 2023 contre 7,1% en janvier. Érigé en objectif prioritaire du quinquennat Macron, le pari du plein emploi semble de plus en plus difficile à tenir. La plupart des instituts de prévision tablent sur une hausse du chômage dans les mois à venir. Dans ce contexte, le gouvernement prévoit de durcir le ton sur l'assurance-chômage.
Après avoir durci les conditions d'accès à l'assurance-chômage et modifié le calcul des indemnités, Bercy planche sur un nouveau tour de vis. Dans un entretien au Monde, le ministre de l'Economie a notamment évoqué la durée d'indemnisation des demandeurs d'emplois fixée actuellement à 18 mois au maximum. Ce qui serait un moyen pour l'exécutif de faire des économies substantielles. Pour rappel, le déficit du régime assurantiel fait partie du déficit public pris en compte par la Commission européenne.
Bruno Le Maire s'est également montré favorable à une reprise en main « définitive » du régime de l'assurance chômage par l'Etat. Sans surprise, cette proposition d'une « étatisation » de l'Unedic figurait déjà dans le programme économique d'Emmanuel Macron en 2017. A l'époque, le candidat à la présidentielle annonçait vouloir passer outre les syndicats, piliers du paritarisme en France. Une telle réforme pourrait faire bondir les syndicats et une grande partie du patronat français fortement attachés à ce système assurantiel.