La France va prendre un sacré coup de vieux dans les années à venir. À horizon 2050, l'Hexagone comptera 4,8 millions de plus de 85 ans, contre 2 millions aujourd'hui. Parmi les nombreux défis à relever, celui de l'habitat. Les Ehpad devront accueillir pas moins de 108 000 résidents de plus d'ici 2030, selon la Drees, le service statistique des ministères sociaux. Mais le scandale provoqué par le livre-enquête Les Fossoyeurs de Victor Castanet, a remis en question le fonctionnement de ces établissements. Et les Français aspirent de plus en plus à rester chez eux pour leurs vieux jours.
Pascal Champvert est président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) :
« D'une façon générale, il faut tout changer dans les établissements pour les personnes âgées. Ce modèle est à bout de souffle, il était déjà mal conçu au départ et a révélé tous ses dysfonctionnements. Le système est à la fois sous-doté en budget et en personnel, il ne fonctionne pas bien du point de vue de la relation aux personnes âgées et également du financement ».
À 70 euros par jour, le tarif moyen peut paraître raisonnable pour une chambre, quatre repas et l'accompagnement des résidents, mais le coût mensuel de 2 000 euros dépasse largement la pension de retraite moyenne (1.400 euros).
« Ces établissements ne sont pas chers mais ils sont mal remboursés. Une journée à l'hôpital ou en clinique coûte dix fois plus. Or, les Français ne le perçoivent pas car c'est l'Assurance maladie qui paye, donc l'ensemble de la population », poursuit Pascal Champvert.
Moyens insuffisants
Qu'elles soient publiques, privées, à but lucratif ou non, toutes les structures ont le même mode de financement. Le forfait relatif aux soins est versé par l'Assurance maladie via les agences régionales de santé (ARS), les départements assument en partie le volet dépendance et le restant revient aux résidents qui règlent également les frais d'hébergement.
Ilona Delouette, chercheuse à l'IMT Nord Europe et autrice d'une thèse sur le financement de la prise en charge de la dépendance, analyse :
« Les moyens sont accordés aux Ehpad en fonction d'indicateurs appuyés sur les niveaux moyens de dépendance des résidents et de soins requis. Un temps en minutes est ensuite établi pour chaque tâche, par exemple pour la toilette, puis divisé par le nombre de résidents.
Ce système vise à rendre productives des activités qui ne sont pas faites pour l'être et conduit à nier l'humanité de la personne accompagnée mais aussi des soignants ».
Selon la Cour des comptes, la dépense publique consacrée aux soins et à la dépendance en Ehpad a bondi de 30% entre 2011 et 2019, atteignant 11,24 milliards d'euros. Pourtant, cette progression « n'a pas suffi à répondre aux besoins d'une population de plus en plus fragile », observent les sages de la rue Cambon relevant également le manque de soignants. La création d'une cinquième branche de la Sécurité sociale pour la perte d'autonomie n'a pas amélioré le financement, et les nouvelles ressources (plus de 2 milliards d'euros par an) attendues dès 2024 ne couvriront pas l'ensemble des besoins.
« Nous demandons à l'Etat de faire ce qu'ont promis les quatre derniers présidents. D'une part de faire baisser les coûts pour les personnes âgées et leurs familles, comme s'y est engagé Emmanuel Macron, et avant lui Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Et d'autre part, d'arriver à un taux de 8 professionnels pour 10 résidents, comme annoncé en 2006 par Jacques Chirac et son Premier ministre, Dominique de Villepin à horizon 2012. Onze ans après, nous n'y sommes pas avec une moyenne de 6 pour 10 », martèle Pascal Champvert.
200.000 personnes à recruter d'ici 2030
La proposition de loi « Bien vieillir » des députés Renaissance - dont l'examen à l'Assemblée nationale devait reprendre le 20 juillet mais a été reporté sans nouvelle date - ne répond pas aux attentes des professionnels. Pour sa réforme du grand âge, le gouvernement a également annoncé un « plan d'action » interministériel, qui n'a toujours pas été dévoilé malgré une présentation prévue avant l'été. Le reste à charge en Ehpad pourrait notamment être abordé et une mission sur le modèle économique de ces établissements a été lancée. Sur le plan financier, des mesures devraient être intégrées dans le prochain budget de la Sécurité sociale et dans une future loi de programmation pluriannuelle.
Alors que les premiers baby-boomers approchent des 80 ans, le temps presse. Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpa (représentant les principaux établissements et services privés), observe :
« L'enjeu pour le secteur est de trouver des solutions pour dépasser l'effet ciseaux qui résultera d'une part du vieillissement de la population et d'autre part du manque de personnel qualifié. Le manque de moyens humains est structurel, majeur et pèse sur beaucoup de structures que nous représentons.
D'ici à 2030, 200.000 personnes devront être recrutées en Ehpad et 150 000 dans le secteur de l'aide à domicile. Nous avançons avec les pouvoirs publics pour créer une vraie filière du grand âge ».
Mais pas question de maintenir le modèle actuel face à de nouvelles attentes et, demain, des besoins accrus. Le secteur doit opérer sa mue.
« Les Ehpad sont destinés à évoluer. D'ailleurs, un certain nombre d'acteurs privés du grand âge sont déjà engagés dans des démarches d'offres de services territoriales de type plateforme de répit pour les aidants, Ehpad hors les murs (permettant d'accompagner des personnes âgées dépendantes à leur domicile ndlr), etc, en lien avec les ARS et les conseils départementaux.
Les établissements doivent également mieux intégrer les résidents, les familles et les différentes parties prenantes extérieures dans leur gouvernance, comme le prévoit la Charte d'engagements des acteurs privés du grand âge », ajoute Jean-Christophe Amarantinis.
Avec ce texte, qui vise à restaurer la confiance envers le secteur, les 1 825 signataires (soit la moitié des adhérents, l'objectif étant d'atteindre la totalité d'ici 2025) affichent un objectif commun d'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées et de travail des collaborateurs.
Un accompagnement à diversifier
Certains groupes se sont lancés dans des changements d'ampleur depuis déjà plusieurs années, comme SOS Seniors, deuxième gestionnaire d'Ehpad associatifs de France. Loïc Rumeau, son directeur général, explique :
« Notre objectif est de répondre aux enjeux sociétaux et donc diversifier nos modes d'accompagnement en établissement, comme à domicile en facilitant le lien social vers les seniors autonomes comme les plus fragiles.
Cela ne passe pas forcément par un hébergement au long cours mais par des accompagnements sur des courtes périodes, des activités collectives ou encore l'organisation de bilans de prévention.
Tout ceci est possible grâce au rôle de plateforme aujourd'hui reconnu aux Ehpad. Nous l'avions déjà pressenti en lançant notre dispositif Seniors Connect pour des personnes âgées qui n'avaient pas toutes les clés pour organiser leur maintien à domicile ».
En miroir, SOS Seniors veut également transformer ses Ehpad en « nouveau chez soi » pour les résidents. Et sur le plan des ressources, un système de surloyer solidaire, appuyé sur les revenus des pensionnaires, permet aux établissement de bénéficier de moyens supplémentaires (environ 50 000 euros par an en moyenne), réaffectés dans le fonctionnement.
« Par le passé, nos établissements ont peut-être été trop axés sur la gestion des risques. Depuis quelque temps, nous essayons d'avancer sur la façon de s'ouvrir vers l'extérieur et d'apporter une réponse innovante au territoire, de faire participer à la vie quotidienne les résidents et leur famille. Ce sujet est absolument essentiel pour les Ehpad », conclut Loïc Rumeau.
Tout l'enjeu est aussi de rendre ces structures plus attractives pour les nouvelles « têtes blanches ». Mais les papy-boomers n'iront pas tous en Ehpad : à côté de ces établissements ou du domicile toute une palette de solutions variées existe pour le grand âge. Tour d'horizon dans le deuxième épisode de cette série.