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Il y a cinq ans, sous les ors de la salle des fêtes de l'Hôtel de Ville de Paris, les maires de quelque 1000 villes dans le monde envoyaient un signal fort : leur role, dans le combat climatique, était clé. En marge de la COP21, ils ont donc pris des engagements ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il était temps de dresser un premier bilan des avancées. Pour ce faire, le 10 décembre, dans le cadre du Forum Zéro Carbone organisé par La Tribune et la Ville de Paris, une table ronde a donné la parole à plusieurs maires et chefs d'entreprise.
Premier constat, « les logiques d'expérimentation ne suffisent plus, a lancé Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole. Le changement de modèle doit s'accompagner d'un changement d'échelle si nous voulons tenir la trajectoire telle qu'elle avait été définie au moment de l'Accord de Paris ». Ainsi, à Nantes, à l'horizon 2030, « nous avons fait le choix de mettre 100 millions d'euros dans la rénovation de l'habitat, avec notamment la priorité donnée à la lutte contre les passoires énergétiques, et 1 milliard d'euros sur le sujet des mobilités. Ce sont des choix structurants qui changent le modèle de la métropole et de la manière d'y vivre », affirme celle qui est aussi présidente de France Urbaine, une association qui regroupe la quasi-totalité des grandes villes et des métropoles françaises. Nantes n'est évidemment pas seule.
La dynamique climatique s'amplifie
A l'autre bout de l'Hexagone, à Nice, entre Mercantour et Méditerranée, « il fallait construire un seul territoire où l'urbain et la ruralité puissent se rejoindre et disposer d'une gestion commune », indique de son côté Christian Estrosi, maire de Nice et président de la Métropole de Nice, composée de 49 communes, dont la création date d'avant 2015. Ce modèle est celui qui a « le plus de sens » pour la lutte contre le réchauffement climatique, car « c'est à cette échelle que la logistique est organisée. De même qu'à travers les plans locaux d'urbanisme métropolitains, nous organisons des règles en matière d'isolation thermique, de géothermie et d'exploitation des ressources naturelles ». Parmi les avancées, « nous avons atteint près de 25 % d'énergie produite chez nous, par nos seules ressources - l'hydroélectrique, le solaire, le compostage, la géothermie... - et nous atteindrons 33 % en 2025 », affirme l'élu, convaincu par ailleurs que « l'intelligence artificielle, le monitoring urbain, la 5G, sont autant d'outils que nous avons le devoir d'utiliser à l'échelle territoriale et qui peuvent nous permettre de faire de l'écologie une contributrice au développement économique, à la croissance et à l'emploi ».
Une centrale photovoltaïque sur l'ancien site d'AZF
De son côté, « Toulouse est la ville qui a la plus forte croissance démographique depuis 20 ans, et en conséquence, des déplacements qui ne cessent d'augmenter et une pollution prégnante, surtout sur le périphérique, relève Jean-Luc Moudenc, maire de la ville. Nous avons donc adopté un nouveau plan de déplacement urbain à hauteur de 4,2 milliards sur la période de 2015 à 2030 », a-t-il indiqué. Autre mesure, la récupération de la combustion des déchets pour réinjecter l'énergie produite dans le système de chauffage. Toulouse a également rattrapé son retard en matière de photovoltaïque, avec l'installation d'une centrale photovoltaïque sur l'ancien site d'AZF, notamment. « L'avantage de l'Accord de Paris, c'est qu'il a provoqué une prise de conscience beaucoup plus large dans nos sociétés, qui vient conforter nos actions, estime ainsi le maire de la Ville rose. L'adhésion s'est transformée en demande express ». Même constat sur cette prise de conscience de la part d'Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris chargé de l'urbanisme, de l'architecture, du Grand Paris, des relations avec les arrondissements et de la transformation des politiques publiques. Mieux, la crise actuelle pourrait servir d'accélérateur... La ville n'a-t-elle pas développé 50 kilomètres de pistes cyclables en deux semaines ? « L'objectif était de proposer une alternative sécurisée » aux transports en commun, face aux inquiétudes liées à la crise sanitaire. Pour l'élu, cependant, s'il y a bien une accélération, « les marches sont encore très hautes pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris - et nous les montons trop lentement », estime-t-il.
Energie, logistique et logement au cœur de la transition
De même, la transition énergétique, pilier de la lutte contre le réchauffement, ne progresse pas assez vite non plus... « Aujourd'hui, les énergies renouvelables couvrent 27 % de la consommation française, ce qui nous a conduit, chez Enedis, à raccorder 10 gigawatts d'énergies renouvelables », affirme pourtant Marianne Laigneau, présidente du directoire du distributeur d'électricité. Par ailleurs, « il y a 90 000 sites d'autoconsommation individuelle, dont nombre d'entre eux dans les métropoles, contre très peu il y a cinq ans », détaille la dirigeante d'Enedis qui accompagne 100 projets d'autoconsommation collective. Autre indicateur, les 30 millions de compteurs Linky installés, permettant de maîtriser la consommation, et « un nombre de bornes électriques multiplié par trois sur la voirie depuis cinq ans ». Il n'en reste pas moins, selon une étude d'Enedis de 2017, que les territoires urbains consomment 30 fois plus d'électricité qu'ils n'en produisent... « Ce qui va changer la donne, c'est la décarbonation des usages par l'électricité : le transport urbain, la rénovation thermique des bâtiments, les véhicules. Nous accompagnons beaucoup de ces projets, comme à Nantes, autour d'un démonstrateur d'usages intelligents, et à Nice, en matière d'autoconsommation collective », assure-t-elle.
Enfin, autre casse-tête, la logistique, responsable de 30 % des émissions polluantes en ville. Un énorme défi pour les territoires, surtout en cette période d'explosion de l'e-commerce. Pour le relever, le groupe La Poste a son rôle à jouer... Son PDG, Philippe Wahl, se dit prêt à accélérer la transition écologique au service de projets portés par les maires, d'autant que La Poste dispose des outils nécessaires pour décarboner le dernier kilomètre (voir l'article « Nous avons les instruments pour décarboner la totalité de la logistique urbaine d'ici 2026 »).
Sans oublier l'immobilier, l'une des sources majeures d'émissions de dioxyde de carbone... « Dès 2015, Icade s'est fixé pour objectif de réduire ses émissions de CO2 de 45 % à horizon 2025. Nous étions à 27 % à fin 2019 », en ligne avec la trajectoire de 1,5 degré de réchauffement et zéro émission en 2050, a affirmé Olivier Wigniolle, directeur général du groupe immobilier Icade, qui s'est doté d'une stratégie consistant à « mesurer, éviter, réduire, compenser ». Mais la route est pentue... Ne serait-ce que pour mesurer les émissions - Icade émet 270 000 tonnes équivalent CO2, ce qui représente un travail et un coût considérables, selon le dirigeant. Quant à la réglementation environnementale, la RE2020, attendue prochainement, et qui vise à diminuer l'impact carbone de bâtiments neufs, « nous allons tous, entreprises comme collectivités, devoir déclarer dans une grande base de données l'état de depart et l'état d'arrivée de nos émissions de carbone », souligne-t-il. Pour le patron d'Icade, l'un des enjeux dans ce domaine sera la formation et la compréhension de ces sujets par toutes les parties prenantes...
La question pressante du financement
Reste enfin le financement de tous ces projets. Pour aider les collectivités à accélérer leur transition écologique, l'Ademe a publié l'an dernier un guide à destination des candidats aux municipales, téléchargé pas moins de 35 000 fois... « Cela montre la réelle appétence des élus et une vraie prise en considération de ce sujet. Pour répondre à cette attente, nous travaillons avec plusieurs réseaux d'élus afin de calibrer des outils historiques d'Ademe en fonction de cette accélération », indique pour sa part Arnaud Leroy, président de l'agence publique. « Nous essaierons de mettre à disposition des méthodologies, une capacité de mesure et des outils simplifiés, notamment pour le secteur économique », assure-t-il.
Certes, mais quid du financement ? « Les villes, les régions et les métropoles qui ont été moteurs dans l'innovation en matière de transition énergétique et écologique sont dans une situation financière extrêmement contrainte - pour ne pas dire catastrophique - en raison de la crise Covid », a martelé Emmanuel Grégoire. « Il n'est pas normal que l'Etat ne prenne pas de mesures destinées à restructurer l'autofinancement des collectivités territoriales », a-t-il ajouté. Ainsi, le risque, pour les élus, c'est « qu'il n'y aura pas de financement du surcoût de la transition énergétique dans le bâtiment et que le montant des investissements dans les mobilités décarbonées s'effondre ». L'Etat, qui met désormais la lutte contre le réchauffement climatique au coeur des débats, est donc prévenu...