"Gilets jaunes" : un impact économique "sévère et continu" selon Le Maire

Par Grégoire Normand  |   |  1230  mots
Bruno Le Maire a assuré une réunion ce lundi matin avec notamment des organisations patronales, des fédérations de commerçants et d'artisans, d'assureurs et de banques, d'hôteliers et de restaurateurs. (Crédits : Gonzalo Fuentes)
Bruno Le Maire a estimé ce lundi 3 décembre que les perturbations liées au mouvement des "Gilets jaunes" exerçaient un "impact sévère" et "continu" sur l'activité économique à l'échelle de tout le territoire, avec des pertes de chiffre d'affaires significatives dans différents secteurs, dont la grande distribution, la restauration, ou encore chez certains artisans et commerçants de proximité.

Après un week-end de violences et d'affrontements sur tout le territoire, l'heure est au bilan. S'il est encore trop tôt pour avoir des estimations précises de l'impact économique, tous les professionnels appellent le gouvernement à un retour à la normale. Lors d'une réunion de crise ce lundi 3 décembre au matin, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a dressé un premier état des lieux des conséquences pour l'économie française. Et le tableau est loin d'être rassurant pour cette période de fin d'année.

"Les atteintes aux personnes aux biens, les pillages, les destructions des véhicules [...] Les dégradations des commerces et des banques sont inacceptables" a insisté le locataire de Bercy. " Il a également indiqué "qu'il ne fallait pas sous-estimer l'impact psychologique de tous les Français. Le rétablissement de l'ordre est la priorité absolue".

Au plus bas dans les sondages, l'exécutif doit faire face à une situation d'urgence sur le plan économique. Ce lundi matin, onze dépôts de carburant exploités par Total étaient bloqués et 75 stations-service sur les 2.200 appartenant au groupe pétrolier étaient à sec.

Lire aussi : "Gilets jaunes" : "les conséquences pourraient être catastrophiques" (CCI France)

Conséquences "sévères et continues"

À la suite d'une réunion avec une vingtaine de représentants d'organisations professionnelles, le ministre a livré quelques chiffres sur les pertes de certains secteurs et ils se révèlent faramineux.

"La baisse du chiffre d'affaires est de l'ordre de 15% à 25%  dans la grande distribution, 20% à 40% dans le commerce de détail de 20% à 50% dans la restauration," a énuméré M. Le Maire.

L'industrie a également été frappée par les mobilisations de ces dernières semaines. Le secteur de l'automobile serait particulièrement touché chez "Renault et Peugeot, avec des baisses de commandes et des baisses encore plus importantes dans l'industrie agroalimentaire."

Selon la dernière enquête de Markit publiée ce lundi matin, l'industrie manufacturière française a connu sa plus faible croissance depuis deux ans. Les résultats mettent en évidence "une conjoncture difficile dans le secteur manufacturier français, les entreprises interrogées signalant une baisse du volume des nouvelles commandes, des suppressions d'emplois ainsi qu'une forte inflation de leurs coûts."

Mesures de soutien

Bruno Le Maire a profité de cette réunion pour annoncer quelques mesures afin de soutenir les entreprises en difficulté. "Depuis le 29 novembre dernier, les entreprises qui le souhaitent peuvent avoir recours au chômage partiel. S'agissant des ouvertures dérogatoires le dimanche, les commerces qui le souhaitent peuvent demander des dérogations. " De son côté, "la fédération bancaire française examine l'ensemble des situations de tous les artisans et commerçants des entreprises touchées" a précisé M. Le Maire.

Bercy devrait également adopter des mesures de souplesse fiscale "pour les entreprises défaillantes, soit sous forme de délai de paiement, soit sous forme de remise de pénalité. Seront également concernées les échéances de CFE ( cotisation foncière des entreprises) et les acomptes d'impôt sur les sociétés exigibles au 15 décembre. La direction générale des finances publiques fera preuve de toute la compréhension."

Baisses d'impôt

"Cette crise est le produit de déchirements territoriaux qui menace notre unité nationale." Face à cette crise, Bruno Le Maire a jugé nécessaire "d'accélérer la baisse des impôts" mais aussi celle de la "dépense publique" pour répondre au plus vite au mouvement des "gilets jaunes".

"Cette crise est d'abord le résultat de déchirements territoriaux" liés à des "choix économiques" qui "depuis trois décennies ne nous ont pas permis de développer des emplois pour tous", de "redresser notre industrie" et de "nous engager dans la voie d'une économie décarbonée", a assuré le ministre. "Ceux qui ont dirigé la France et qui nous font la leçon aujourd'hui devraient mesurer leur part de responsabilité dans la situation actuelle", a-t-il estimé, en pointant notamment la hausse de la dette publique depuis dix ans."

Sur ce dernier point, le ministre a omis de préciser qu'il avait été aux responsabilités en tant que ministre de l'Agriculture sous Nicolas Sarkozy.

Le commerce en berne

Les conséquences pour le commerce semblent également sévères. Selon un communiqué de la fédération du commerce, les blocages "ont eu des conséquences extrêmement négatives pour le commerce : magasins bloqués ou fermés, baisse de la fréquentation par les clients qui ne peuvent plus circuler, livraisons impossibles du fait du blocage des entrepôts, rupture sur de nombreux produits, sabotage des pompes à essence."

De son côté, le directeur général de l'alliance du commerce, Yohan Petiot, a indiqué "que le bilan est considérable voire irréversible pour certaines enseignes" . À Paris, "certains magasins ont enregistré une perte de 50% ce week-end avec plusieurs dizaines de millions d'euros en moins". Chez les salariés, il a constaté un impact psychologique fort. "Certaines enseignes ont mis en place des cellules de soutien psychologique à leurs salariés." Il espère un retour de "la libre-circulation des biens et des personnes."

Par ailleurs, toutes ces dégradations de magasins pourraient être bénéfiques pour d'autres supports. Comme l'a évoqué Jacques Creyssel, délégué général de la fédération du commerce et de la distribution, "qui va profiter de tout cela ? Ce sont les Gafa. Toutes les plateformes comme Amazon ou d'autres ne paient ni TVA ni impôt sur le chiffre d'affaires qui est généré en France. Ce sont des milliards qui échappent à l'État et aux contribuables."

Craintes sur l'hôtellerie et la restauration

Le secteur de l'hôtellerie est confronté à une baisse des réservations atteignant 15% à 20%. Selon la fédération professionnelle UMIH, le taux d'annulation varie entre 20% et 50% dans certains hôtels parisiens, tandis que le volume de réservations prévisionnelles est en chute de 10% à 15%. Présent lors de la réunion, le président du syndicat national des hôteliers-restaurateurs, Didier Chenet, a déclaré que l'impact "est moins fort en région qu'à Paris.

Au gouvernement, il réclame avant tout "la garantie de la sécurité des biens et des personnes." Il demande également à l'exécutif d'avancer l'exonération des cotisations sur les heures supplémentaires prévue au premier septembre 2019 pour la mettre en place au premier janvier. "Cette mesure peut avoir un coût mais elle aura un impact immédiat sur le pouvoir d'achat des Français." Pour son secteur, il veut demander "un moratoire sur la taxe de séjour régionale."

Au niveau de l'emploi, M.Chenet n'a pas avancé de chiffres mais a précisé que tous ces événements "pourraient avoir un très gros impact [....] avec vraisemblablement des mesures de chômage technique et des embauches qui pourraient être reculées ou annulées." Pour les jours à venir, il espère "qu'il n'y aura pas de week-end noir."

Si le gouvernement ne réussit pas à calmer la colère et l'exaspération de milliers de Français dans les jours à venir, les conséquences pourraient encore s'aggraver pour de nombreux secteurs économiques déjà en proie à de sérieuses difficultés.

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