Après de premières échauffourées près des Champs-Elysées, la mobilisation des "gilets jaunes" a donné lieu à une explosion de violence samedi dans plusieurs quartiers de Paris, en proie aux dégradations et à des scènes de chaos.
Vers 17H00, le bilan officiel était d'ores et déjà bien plus lourd que lors de la précédente mobilisation parisienne du 24 novembre: 92 blessés étaient recensés, dont 14 parmi les forces de l'ordre. Une voiture de police a par ailleurs été incendiée. Vers 18H00, 194 personnes avaient été interpellées à Paris.
Véhicules et restaurants incendiés, magasins saccagés et pillés, forces de l'ordre et de secours prises à partie: du quartier de l'Opéra à la prestigieuse avenue Foch en passant par la rue de Rivoli, les scènes de guérilla urbaine se sont répétées dans plusieurs quartiers huppés de la capitale, éclipsant le message porté ailleurs en France par des dizaines de milliers de "gilets jaunes".
"Je suis solidaire avec les +gilets jaunes+, mais j'ai envie de pleurer face à toute cette violence, ce gâchis", résumait Fanny, une infirmière de 47 ans, devant un conteneur à verre incendié boulevard Haussmann. "Ça sent la Révolution".
Au début de cette troisième journée de mobilisation nationale, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner avait mis en cause "1.500 perturbateurs" dans la capitale quand son secrétaire d'Etat Laurent Nunez évoquait quelques instants plus tard la présence de "3.000" casseurs.
Boulevard Haussmann, non loin des grands magasins, des personnes cagoulées ont pris à partie des pompiers venus éteindre poubelles et véhicules incendiées, arrachant des vélos libre-service et érigeant des barricades, ont constaté des journalistes de l'AFP.
A proximité du Louvre et du Jardin des Tuileries, l'air était devenu irrespirable, saturé de gaz lacrymogène et de fumée. Des manifestants se sont également brièvement introduits dans le Palais-Brongniart, ancien siège de la Bourse.
"C'est la guerre", lâche, en pleurs Sélim, un salarié d'une galerie d'art pris dans les échauffourées.
Anne Hidalgo "indignée"
Place de l'Opéra, les camions de pompiers se succédaient sous le regard inquiet des touristes. "What is going on (que se passe-t-il?)", demandait paniquée une touriste.
"J'éprouve une profonde indignation et une grande tristesse face à ces violences au cœur de Paris. Elles sont inacceptables", a déclaré la maire socialiste de Paris Anne Hidalgo sur Twitter.
"Ca fait quinze jours qu'on essaye de se faire entendre et y a rien qui bouge. Il va falloir à un moment que Macron nous entende sinon ça va être de pire en pire", a déclaré Gaetan Kerr, 52 ans, agriculteur venu de l'Yonne, non loin des Champs-Elysées
C'est dans ce quartier, sur le rond-point de l'Étoile, que les premiers heurts de la journée ont éclaté vers 8H45 quand des manifestants ont tenté de forcer un barrage. Les forces de l'ordre ont alors répliqué par des tirs de gaz lacrymogènes.
Edouard Philippe choqué
Les échauffourées se sont d'abord concentrées autour de l'Arc de Triomphe et notamment près de la flamme du soldat inconnu où des manifestants ont entonné une Marseillaise. Plus tard dans la journée, des "gilets jaunes" se sont introduits sur le toit du monument pour brandir un drapeau français.
"Au risque de paraître vieux jeu, je veux dire à quel point j'ai été choqué par la mise en cause de symboles qui sont des symboles de la France", a réagi le Premier ministre Edouard Philippe.
Après ces premiers heurts, les manifestants ont reflué vers d'autres quartiers et dans des avenues adjacentes, notamment la prestigieuse avenue Foch où un tractopelle a été incendié et une remorque de chantier renversée.
Sur l'avenue des Champs-Elysées, sécurisée depuis 6H00 du matin par un quadrillage policier très serré, la situation était plus calme et les manifestants craignaient que leur message soit éclipsé par les heurts.
"Nous sommes un mouvement pacifique, c'est juste que nous sommes désorganisés, c'est le foutoir car nous n'avons pas de leader", déplorait Dan Lodi, retraité de 68 ans.
La ministre de la Santé Agnès Buzyn a, elle aussi, déploré les violences, estimant que cela "discrédite un combat légitime qu'exprimaient beaucoup de +gilets jaunes+".
Plusieurs figures de l'opposition ont accusé le gouvernement de mettre en scène ces violences pour discréditer le mouvement des "gilets jaunes". Le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a ainsi dénoncé un "incroyable acharnement" contre les manifestants estimant que le pouvoir cherche "un grave incident pour jouer sur la peur".
Pour le porte-parole des Républicains (LR) Gilles Platret, "il est impératif" que l'exécutif "fasse un geste significatif en direction des justes réclamations des +gilets jaunes+".
Une mobilisation nettement moins forte
Lancé il y a quinze jours hors de tout cadre politique ou syndical, le mouvement des "gilets jaunes" se poursuivait également en dehors de Paris.
A 17H00, quelque 75.000 manifestants ont été recensés par les autorités sur l'ensemble de la France. La première journée nationale, le 17 novembre, avait réuni 282.000 personnes, et la deuxième 106.000, dont 8.000 à Paris.
La plupart des mobilisations se déroulaient dans le calme mais des échauffourées ou face-à-face tendus entre manifestants et forces de l'ordre ont eu lieu à Bordeaux, Toulouse, Nantes ou Tours.
A Charleville-Mézières, où des dégradations "importantes" ont été commises selon les autorités, des boules de pétanque ont notamment été lancées vers les forces de l'ordre, qui ont procédé à quatre interpellations.
Plusieurs opérations de blocage et de filtrage étaient recensées notamment dans le Var au péage de Bandol sur l'A50 et dans les Bouches-du-Rhône.
A Nantes, une cinquantaine de "gilets jaunes" ont fait irruption à deux reprises samedi matin sur le tarmac de l'aéroport de Nantes Atlantique tandis que de brèves échauffourées ont éclaté à Strasbourg.
"La taxe sur le diesel, c'est une goutte d'eau. Il y a trop d'inégalités, plus ça va plus on s'enfonce, nous et surtout nos enfants", a déclaré Chantal, 68 ans, retraitée du secteur public lors d'un rassemblement à Lyon.
Macron dénonce les violences
"Aucune cause ne justifie que les forces de l'ordre soient attaquées, que des commerces soient pillés, que des passants ou des journalistes soient menacés, que l'Arc de Triomphe soit souillé" a déclaré le président de la République depuis Buenos Aires en Argentine où il participait au sommet du G20. Emmanuel Macron qui a parlé des "colères légitimes" a convoqué une réunion interministérielle pour lundi matin à son retour à Paris. En conséquence, le Premier ministre, qui devait se rendre en Pologne dimanche après-midi et lundi pour la COP24, "restera en France", a fait savoir Matignon. François de Rugy sera chargé de "mener la délégation française". "Les coupables de ces violences ne veulent pas de changement, ne veulent aucune amélioration, ils veulent le chaos : ils trahissent les causes qu'ils prétendent servir et qu'ils manipulent. Ils seront identifiés et tenus responsables de leurs actes devant la justice".
(Avec AFP)