« Improbable » : l'agence de notation Moody's peu optimiste sur les objectifs de déficit public de la France

Par latribune.fr  |   |  1122  mots
L'agence américaine, dont le calendrier prévoit une actualisation de la note française le 26 avril, affirme néanmoins que l'avis publié mercredi n'est pas un avis de notation à proprement parler. (Crédits : Brendan McDermid)
Selon Moody's, il est peu probable que la France tienne ses objectifs de réduction de son déficit. L'année passée, ce dernier s'est creusé à 5,5% du PIB. Pour rappel, l'agence de notation doit rendre son verdict fin avril.

« Improbable ». C'est le terme employé par l'agence de notation Moody's à propos de l'objectif de la France de réduire le déficit public à 2,7% d'ici 2027. Et ce, depuis l'annonce d'un dérapage du déficit à 5,5% du PIB (Produit intérieur brut) en 2023. Aux yeux de l'agence de notation, une telle dégradation du déficit public « rend improbable » la tenue, par le gouvernement, de son objectif de réduction du déficit, « tel qu'il le prévoit dans son plan budgétaire à moyen terme présenté en septembre », précise Moody's dans un communiqué ce mercredi.

L'agence américaine, dont le calendrier prévoit une actualisation de la note française le 26 avril, affirme néanmoins que l'avis publié mercredi n'est pas un avis de notation à proprement parler.

Lire aussiJusqu'à 80 milliards d'euros d'économies : l'effort à faire pour atteindre 3% de déficit en 2027 avec une croissance faible (OFCE)

Un déficit hors des clous

Les chiffres du déficit tombés mardi ne sont pas fameux. Le déficit public de 2023 s'est ainsi établi à « 154,0 milliards d'euros, soit 5,5 % du produit intérieur brut (PIB), après 4,8 % en 2022 et 6,6 % en 2021 ». Bien loin de la prévision du gouvernement qui était de 4,9%, compliquant encore l'objectif de désendettement affiché par le ministre français de l'Economie.

« Ce chiffre marque une dégradation de 15,8 milliards d'euros par rapport aux dernières prévisions », a indiqué sur le réseau X le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave.

Ce n'est cependant pas la première fois qu'il excède les 5% : le déficit avait en effet grimpé à 6,4% en 1993, 7,2% en 2009 et même 9% en 2020. « Le déficit plus important que prévu est quasiment entièrement dû à des recettes plus faibles que prévu », observe Moody's.

Ce déficit plus élevé « souligne les risques inhérents à la stratégie budgétaire à moyen terme du gouvernement, qui se base sur des hypothèses économiques et de recettes optimistes, ainsi que des baisses sans précédent de la dépense », juge l'agence de notation.

Outre les prévisions pour 2027, Moody's juge également « improbable » que le gouvernement tienne son objectif d'un déficit de 4,4% cette année, malgré les économies du budget 2024 et les coupes supplémentaires annoncées. Réduire le déficit d'un point de pourcentage en un an, hors circonstances exceptionnelles liées au Covid, « n'a été fait qu'une seule fois depuis 2000 », rappelle l'agence.

La dette publique française atteint, elle, 110,6% du PIB fin 2023, a précisé l'Institut national de la statistique et des études économiques mardi. C'est moins qu'en 2022, où elle s'affichait à 111,9%, mais presque un point de pourcentage au dessus de la prévision du gouvernement (109,7%).

Lire aussiCETA : la stratégie à haut risque du gouvernement Attal avant les Européennes

Juguler les dépenses

Bruno Le Maire a malgré tout réaffirmé mardi sa « détermination totale » à repasser sous les 3% de déficit public en 2027. Et pour rattraper le déficit, le gouvernement essaye de réduire les dépenses, même si ces dernières ont « un peu » ralenti en 2023, avec une augmentation de 3,7% contre 4% en 2022, selon l'INSEE.

L'exécutif a déjà annoncé 10 milliards de coupes dans les dépenses de l'Etat en 2024 et prévoit 20 milliards d'économies supplémentaires en 2025, en faisant cette fois contribuer à l'effort les administrations de sécurité sociale et les collectivités.

Lire aussiLutte contre le déficit public : les élus locaux ne veulent pas être la variable d'ajustement

L'agence de notation estime que les 10 milliards d'économies supplémentaires en 2024 sont insuffisantes pour « remettre le gouvernement sur la trajectoire » budgétaire prévue. Pire, pour parvenir à ces 3% de déficit public d'ici 2027, la Cour des comptes évoque 50 milliards d'économie d'ici la fin du quinquennat de Macron. L'OFCE évoque, de son côté, un effort de 70 à 80 milliards d'euros.

Le gouvernement martèle, quant à lui, qu'il veut éviter les hausses d'impôts, malgré les demandes de plus en plus insistantes de certains députés de la majorité. La présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet (Renaissance) veut pousser la majorité à « entamer une réflexion » sur les entreprises réalisant des « superprofits » ou versant des « superdividendes ». Le chef de file des députés MoDem, Jean-Paul Mattei, propose, lui, de relever le taux du prélèvement forfaitaire (« flat tax ») sur les revenus du patrimoine, une mesure qui ciblerait les contribuables les plus aisés.

Bruno Le Maire, d'abord fermé à cette idée, et qui assurait vendredi que le gouvernement n'envisageait pas de taxer d'autres superprofits que ceux des énergéticiens, s'est cependant dit « ouvert aux discussions ».

Lire aussiHausse de la fiscalité : première brèche chez « Renaissance », Yaël Braun-Pivet pour taxer les superprofits et les superdividendes

Notes en vue

A tout le moins, il faudra donner des gages avant le couperet des agences de notation : Fitch et Moody's le 26 avril, et surtout S&P le 31 mai. Une dégradation de la note de la France pourrait entraîner une hausse des taux d'intérêt auxquels le gouvernement se refinance sur les marchés et rendre plus difficile la gestion de la dette.

D'autant que Moody's s'attend également à ce que le niveau de la dette publique remonte « lentement » à partir de 2024, exposant le pays à des coûts liés aux intérêts « jamais vus en plus de 20 ans ». Déjà selon le gouvernement, la France devrait dépenser plus de 74 milliards d'euros en 2027 pour rembourser les intérêts de sa dette, contre 38,6 milliards en 2023.

Mardi, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a regretté le dérapage « important » et « très, très rare » du déficit de la France. « Je ne suis plus surpris, on supputait ce chiffre depuis quelques jours, mais c'est tout de même un dérapage dans l'exécution qui est important, pas tout à fait inédit mais très, très rare », a-t-il estimé lors d'une interview accordée à France Inter.

Et alors que s'amorce la campagne pour les élections européennes du 9 juin, les oppositions dénoncent ce dérapage des finances publiques qui, selon elles, ne saurait être imputé qu'à la seule détérioration de la conjoncture économique.

« Jamais on n'a eu des chiffres aussi épouvantables », a affirmé la présidente des députés Rassemblement national, Marine Le Pen, fustigeant les « résultats pitoyables » et « l'incompétence de ce gouvernement dans le domaine financier ».

Mêmes accusations à gauche du député La France insoumise Adrien Quatennens : « Ces gens-là sont de piètres économistes » qui « ont creusé le déficit et la dette pour faire des cadeaux toujours aux mêmes » et « n'ont pas à donner des leçons aux Français », a-t-il fustigé sur CNews et Europe 1.

(Avec AFP)