Taxe sur les superprofits : après le dérapage du déficit public, les énergéticiens de nouveau dans le collimateur de l’Etat

Alors que la taxe sur les superprofits qui vise spécifiquement les électriciens a rapporté dix fois moins que prévu en 2023, le patron de Bercy a fait savoir qu'un durcissement serait étudié. Il pourrait même être rétroactif. Mais selon les observateurs du secteur, les futures recettes de cette taxe, bien que revisitée, devraient rester relativement faibles au regard du déficit public. En ne ciblant que les énergéticiens, le gouvernement pourrait aussi s'exposer à des obstacles juridiques.
Juliette Raynal
Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire a ouvert la porte à un durcissement et une prolongation de la contribution sur les rentes inframarginales (CRIM), une taxe qui vise spécifiquement les électriciens.
Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire a ouvert la porte à un durcissement et une prolongation de la contribution sur les rentes inframarginales (CRIM), une taxe qui vise spécifiquement les électriciens. (Crédits : Reuters)

L'Etat va-t-il ponctionner davantage les énergéticiens pour tenter d'absorber une partie de son déficit public, qui a dérapé à 5,5% du produit intérieur brut, contre les 4,9% initialement prévus ? C'est en tout cas une des pistes qu'entend étudier le gouvernement. Celui-ci pourrait, en effet, taxer davantage les superprofits de ces entreprises en remodelant la Contribution sur les rentes inframarginales (CRIM), instaurée au second semestre 2022 au moment où les producteurs pouvaient vendre des mégawattheures à des prix mirobolants sur le marché de l'électricité.

Interrogé sur RTL ce mardi matin, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire ne s'est pas montré fermé à l'idée d'un élargissement et d'un durcissement de cette taxe, tout en restant résolument opposé à toute autre augmentation d'impôts, y compris sur les entreprises.

« Si on veut combler ce trou sur la base de prélèvements sur une rente, là ça ne me pose pas de difficultés », a-t-il admis, en faisant référence à l'immense gouffre entre les rendements prévisionnels de la CRIM et les recettes fiscales réellement perçues.

Un manque à gagner de 2,7 milliards d'euros

En effet, le gouvernement avait tout d'abord estimé que cette taxe sur les superprofits pourrait rapporter une grosse dizaine de milliards d'euros aux caisses de l'Etat : 12,3 milliards d'euros très précisément. Cette estimation, qui reposait sur l'hypothèse selon laquelle les prix de l'électricité allaient se maintenir à des niveaux extrêmement hauts, était largement erronée. Et pour cause, les prix sur les marchés de gros ont sensiblement chuté grâce à la combinaison de plusieurs facteurs : la plus grande disponibilité du parc atomique tricolore, le bon niveau des stocks de gaz et des réserves d'eau dans les barrages, mais aussi une demande énergétique des ménages et des entreprises en nette baisse. Le rendement de cette taxe avait donc été réévalué à seulement 3 milliards d'euros à l'occasion de la loi de finances de fin de gestion (LFG) 2023.

Mais dans les faits, seuls 300 millions d'euros sont réellement entrés dans les caisses de l'Etat au titre de l'année 2023, soit un montant dix fois inférieur à celui précédemment escompté. « Le manque à gagner s'élève donc à 2,7 milliards d'euros », reconnaît l'entourage de Bruno Le Maire. Et sur les années 2022 et 2023, le rendement total de la CRIM devrait seulement s'élever à 600 millions d'euros. A des années-lumière donc des 12,3 milliards d'euros initialement escomptés.

Une taxe revisitée... avec effet rétroactif ?

Ce décalage « peut être attribué à la baisse des prix de marché », commente sobrement le cabinet du patron de Bercy, lequel précise que le gouvernement à l'intention d'étudier le « rapport de la Cour des comptes » dans l'optique de « renforcer » cette taxe « pour être sûr de bien capter toutes les rentes ».

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Dans le détail, la juridiction financière estime, dans un rapport publié le 15 mars dernier, que les seuils retenus par l'Etat pour la captation des rentes auraient été trop élevés. Le document souligne également le fait que certaines filières soient restées exclues du champ de cette contribution, notamment les réservoirs hydrauliques.

Le gouvernement pourrait donc être amené à revisiter les modalités de calcul et l'assiette de cette contribution dans un prochain véhicule législatif afin d'augmenter son rendement, et ce, même pour les mois passés. « La petite rétroactivité est toujours possible », précise Bercy.

« La probabilité que les prix remontent reste faible »

Reconduite en 2024, cette contribution pourrait également l'être en 2025. Mais pour quelle efficacité ? Car même si elle était remaniée, les rendements attendus devraient demeurer relativement faibles, étant donné la faiblesse des prix de l'électricité sur les marchés.

« Dimanche 24 mars, le prix de gros était égal à zéro de 3 heures du matin jusqu'à 16 heures », pointe Jacques Percebois, économiste et spécialiste des questions énergétiques. « La probabilité que les prix remontent en 2024 est relativement faible. Il ne faut donc pas s'attendre à d'importantes recettes issues de cette contribution. Selon moi, il s'agit ici plutôt d'une annonce politique pour montrer que le gouvernement reste vigilant sur ces questions », poursuit-il.

Lire aussiLes bas prix de l'électricité menacent les superprofits d'EDF en 2024

Possibles obstacles juridiques

Par ailleurs, la prolongation de cette taxe pourrait se heurter à des obstacles juridiques. « Le fait que le gouvernement souhaite prolonger une taxe sur les superprofits, mais uniquement pour les énergéticiens et non pour l'ensemble des entreprises pose question. Le Conseil constitutionnel pourrait estimer que l'égalité devant les impôts n'est pas respectée », pointe Jacques Percebois. « Il y aura certainement des recours », anticipe-t-il.

Selon nos confrères des Echos, plusieurs énergéticiens auraient même déjà saisi le Conseil d'Etat, dénonçant, cette fois-ci, l'illégalité d'un dispositif qui dépasserait largement le cadre du règlement européen dans lequel il était censé s'inscrire. Ce dernier demandait aux Etats membres de plafonner les marges des énergéticiens uniquement du 1er décembre 2022 au 30 juin 2023.

Les professionnels de l'électricité dénoncent une vision court-termiste

« La prolongation de cette taxe nous paraîtrait contraire à son esprit initial : répondre à une situation de crise dans le cadre d'un dispositif exceptionnel. Le règlement européen était très clair sur ce point, et sur la durée de ces mesures. Le secteur énergétique ne fait pas exception par rapport à d'autres secteurs faisant face à des murs d'investissements, et la reconduction de cette taxe impactera nécessairement cette capacité d'investissements », réagit un énergéticien auprès de La Tribune.

L'Union française de l'électricité (UFE) redoute, elle aussi, un impact sur les investissements à venir.

« La réforme du cadre de marché, initialement prévue dans le projet de loi Souveraineté énergétique [qui n'est plus à l'agenda parlementaire, ndlr], doit permettre d'éviter les taxations exceptionnelles comme la contribution sur la rente infra-marginale, qui risque de freiner les investissements dans les énergies bas carbone nécessaires à l'atteinte des objectifs de décarbonation, » commente l'association.

L'UFE rappelle à cette occasion que ces objectifs de décarbonation « sont déjà affectés par l'absence de décision quant à la programmation énergétique ». Elle appelle ainsi le gouvernement à « explorer les pistes structurelles pour réformer [la] politique fiscale (...) plutôt que de prendre des décisions de court terme ».

Qui a payé quoi ?

La contribution sur les rentes inframarginales vise essentiellement les électriciens qui ont pu dégager des profits considérables en vendant sur les marchés des mégawattheures à des prix largement supérieurs à leurs coûts de production. Mais peu d'entre eux communiquent aujourd'hui sur les montants effectivement versés à l'Etat à ce titre.

Selon nos informations, le montant de cette contribution pour Engie serait de l'ordre d'un milliard d'euros à l'échelle de l'Europe, mais la ventilation pays par pays reste inconnue. Pour EDF, le montant de la CRIM au titre de l'année 2023 s'élève à 21 millions d'euros pour ses activités en France. Toutefois, « grâce au mécanisme de report en avant », l'électricien précise ne pas avoir « été contraint de payer cette somme en 2023 ». EDF devra la verser en 2024, mais le montant pourrait être plus élevé selon les nouveaux calculs.

Juliette Raynal

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Commentaires 15
à écrit le 27/03/2024 à 16:04
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On a baissé l'impôt sur les sociétés et supprimé l'ISF : deux erreurs qu'on retrouvera dans les livres d'histoire.

le 27/03/2024 à 17:44
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@Ménon: Ce qui restera dans l'histoire, c'est que les français ont fait la Révolution en 1789 pour avoir la maitrise de l'Impôt et ne l'ont toujours pas. Maudissons Charlemagne d'avoir inventé cette Ecole et demandons nous comment Sully, sous le règn...

à écrit le 27/03/2024 à 11:39
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comment MR LE MAIRE avec ses résultats peut il se permettre de donner des leçons aux énergéticiens surtout qu'il est responsable de la déroute IL IMPOSE à EDF DE Vendre à PERTE AUX CONCURRENTS de même il les oblige à racheter plus CHER le courant...

à écrit le 27/03/2024 à 8:18
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La classe bourgeoise commerçante, qui ne produit rien, achete à bas prix en chine et revend en france et en europe en profitant des ecarts des monnaies et du joug communiste sur sa population un comble !, est responsable de la désindustrialisation et...

le 27/03/2024 à 11:32
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Qu'en est-il de la caste des intellectuels qui ne produisent que du blabla ?

à écrit le 27/03/2024 à 7:59
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Les gars qui ne savent absolument pas comment on fait pour faire payer les riches, ils ne l'ont jamais fait ! Alors ça empeste l'impuissance et l'amateurisme.

à écrit le 27/03/2024 à 6:26
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Il faut rendre aux particuliers et aux entreprises les surprofits dans le TARIF DE L’ÉLECTRICITÉ qui est prohibitif par au coût réel de production actuel

le 27/03/2024 à 9:18
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Privatiser la fixation du prix et confier le marché de l'énergie au cartel de la finance est un moyen de faire monter les profits, et de récolter plus de taxes sur le dos des consommateurs. Mais le tarif de l'énergie plombe considérablement notre ind...

à écrit le 26/03/2024 à 23:16
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Il se moque de nous les petits et malades au regime sec et lui sa clique et ses copains millionnaires et milliardaires exempt de tout.. au fait pourquoi la France est le pays où les financiers / actionnaires à la différence des industriels/ pme ...

le 27/03/2024 à 16:54
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Et en plus les gens on revoté pour lui en 2022 ,sans oublier la plupart des syndicats ,partis politiques pour sauver la démocratie ,ah,ah

à écrit le 26/03/2024 à 23:15
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Il se moque de nous les petits et malades au regime sec et lui sa clique et ses copains millionnaires et milliardaires exempt de tout.. au fait pourquoi la France est le pays où les financiers / actionnaires à la différence des industriels/ pme ...

à écrit le 26/03/2024 à 20:23
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La politique des tous petits pas pour ne pas froisser la grande équipe des p'tits copains d'abord🤢🤮

à écrit le 26/03/2024 à 19:15
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ils jettent l'argent par la fenetre, font n'importe quoi quoi qu'il en coute aux allemands, font des cheques energie des cheques serviettes hygieniques, et des cheques cantines, des cheques paysans, puis cherchent des gens pour payer l'addition, au l...

le 27/03/2024 à 8:17
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C'est tellement gros en effet qu'on peut etre sur qu'ils font exprès ! Pour pouvoir dire : TINA ! Nous sommes au bord du gouffre que nous avons créé nous meme par nos choix de desindustrialisation, d'optimisation fiscale consentis (et bien sentis) ! ...

à écrit le 26/03/2024 à 19:08
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Toujours des taxes mais pourquoi bruno lemaire garde t il autant de consultant, enarques etc.. à Bercy alors qu'ils ne sont pas capable de faire un budget qui tient la route; La récession est présente depuis Septembre, il suffit de prendre les volume...

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