"La défiance alimente les différends" Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises

Avec plus de 1.300 saisines en 2018, le médiateur des entreprises Pierre Pelouzet est de plus en plus sollicité par les entrepreneurs. Près de 10 ans après sa création, ce service dépendant du ministère de l'Economie tente, entre autres, de résoudre les conflits entre les entreprises avec des missions toujours plus élargies.
Grégoire Normand
(Crédits : Bercy)

LA TRIBUNE - Quel bilan tirez-vous de l'action du médiateur des entreprises depuis presque 10 ans ?

PIERRE PELOUZET - Au bout de neuf ans, plus de 20.000 acteurs économiques ont été accompagnés avec comme objectif de recréer de la confiance et de mettre en place des outils pour favoriser cette confiance. La médiation passe principalement par la mission des médiateurs qui travaillent au rapprochement d'acteurs économiques dans un cadre confidentiel. Ce rapprochement se fait dans le cadre d'un service public. Il a pour but de trouver une solution à tous les types de différend.

Comment vos actions ont-elles évolué ?

Il y a eu une montée en puissance. Au départ nos services étaient concentrés sur la sous-traitance industrielle, ensuite nous avons travaillé sur les relations entre les entreprises, sur les marchés publics, l'innovation, le crédit impôt recherche (CIR), la propriété intellectuelle. Depuis cette année, nous expérimentons sur quatre régions une médiation sur tous les sujets de relations entre les entreprises et l'administration. On est passé d'une centaine de médiations par an il y a 8 ans à une centaine de médiations par mois actuellement. L'an dernier, nous avons réalisé environ 1.300 médiations.

Constatez-vous toujours autant de défiance entre les entreprises et l'administration ?

Il n'y a pas que de la défiance entre les entreprises et l'administration. Je pense que la défiance est liée à des facteurs structurels et culturels dans notre pays. Je constate le même type de défiance entre petites et grandes entreprises et celles publiques et privées. Il y a des rapports de force et une montée en charge des démarches au niveau des tribunaux, des lettres recommandées. Au final, les différences ne sont pas si fortes que ça lorsque l'on arrive à rassembler les acteurs autour d'une table. La défiance alimente les différends. Or, 75% des médiations aboutissent à un accord entre les deux parties. Ce qui prouve que le rétablissement de la confiance peut permettre de résoudre un grand nombre de conflits.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles les entreprises sont confrontées ?

Dans le cadre des relations commerciales, les difficultés classiques sont le retard de paiement de factures, les ruptures brutales de contrat, les pénalités de fin de chantier. Sur le champ de l'innovation, les médiateurs interviennent beaucoup sur les sujets de propriété intellectuelle. Avec nos nouveaux champs d'action, ils peuvent intervenir sur des sujets fiscaux, l'Urssaf, les crédits d'impôt recherche (CIR). Beaucoup d'entreprises nous sollicitent sur des sujets du quotidien comme les conflits liés à des permis de construire pour des ateliers d'artisans qui veulent s'agrandir par exemple.

Avez-vous adopté une stratégie spécifique pour les territoires ?

Dès le départ, nous avons fait le choix d'avoir des médiateurs dans tous les territoires. Au total, 30 médiateurs sont répartis dans toutes les régions en misant sur la proximité. Il faut un maillage territorial proche des entreprises. Deux entreprises d'une même région ne doivent pas venir à Paris pour nous démarcher. C'est d'abord une approche microéconomique au niveau des territoires et des entreprises. Après une première phase, des outils macroéconomiques sont développés comme la charte des bonnes pratiques par exemple.

Les moyens de votre service ont-ils augmenté en conséquence ?

Il faut rappeler que les médiateurs en région sont des volontaires. Ces personnes sont souvent déjà en poste dans l'administration et sont volontaires pour dégager une part de leur temps pour faire de la médiation. Ce ne sont pas des effectifs supplémentaires. En général, ils travaillent pour les Direccte (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi)À Paris, 30 médiateurs nationaux sont des bénévoles. Ce sont souvent des anciens chefs d'entreprise, d'anciens cadres dirigeants, ou d'anciens juges au tribunal de commerce.

Quelles sont les ambitions du service pour les prochaines années ?

Le but est de développer des médiations individuelles et collectives.On entreprend également des médiations par filière, dans la construction par exemple. Nous avons récemment été missionnés par Bruno Le Maire et Gérald Darmanin sur l'affacturage inversé collaboratif. (L'affacturage inversé collaboratif est un mécanisme par lequel un donneur d'ordre reconnaît une facture auprès d'un "factor" et garantit de la payer à échéance). C'est un outil de trésorerie basé sur la confiance. C'est un accord de confiance entre les PME, les grands comptes et les banques. Cet outil n'est pas assez développé en France. La médiation commence également un travail sur l'accès à l'immobilier pour les startups. Ces sociétés se retrouvent parfois en difficulté quand elles grandissent avec les baux professionnels.

La multiplication des compétences ne risque-t-elle pas de créer de la confusion ?

Nous voulons montrer qu'il y a une cohérence dans nos actions. Nous sommes là avant tout pour recréer de la confiance entre les acteurs économiques.

Le gouvernement a annoncé un assouplissement des règles pour les commandes publiques. Quels sont les objectifs d'une telle réforme ?

C'est de renforcer encore notre savoir-faire pour mettre en confiance un tissu d'entreprises et d'administrations. L'observatoire de la commande publique nous a demandé il y a quelques mois de faire un bilan sur les actions menées en faveur des TPE-PME pour qu'elles aient accès plus facilement à la commande publique. Le constat est que ça n'avait pas vraiment bien marché. Après avoir fait un travail de terrain, nous avons fait des recommandations qui ont été retenues comme la hausse de l'avance de trésorerie pour les PME lorsqu'elle travaille sur les marchés de l'Etat, la baisse de la retenue de garantie de 5 à 3%, la modification des seuils pour les appels d'offre.

Grégoire Normand
Commentaires 3
à écrit le 04/10/2019 à 10:22
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En affaires, la confiance est l'alpha. Sans elle point de business. En France la defiance et sa cadette, la mefiance sont presentes partout, tout le temps. Decidement vivre en Asie est tres reposant.

à écrit le 03/10/2019 à 16:02
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Mais bien sûr, la défiance des entreprises vis-à-vis des acheteurs publics n’est qu’une question d’avances sur paiements et de retenues de garanties ... Allons donc ! Bel exemple de méthode Coué !

à écrit le 03/10/2019 à 14:37
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Et internet alimente la défiance et l'humanité alimente internet. Ok éliminons l'humanité alors tout simplement non ? ^^

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