La France aime-t-elle assez ses entreprises familiales ?

Les entreprises familiales, dont la gouvernance est détenue par une ou plusieurs familles, sont un peu le parent pauvre de l'économie française dans un pays qui privilégie les grands groupes et peine à reconnaître la réussite entrepreneuriale. Pourtant, ces ETI peuvent jouer chez nous le rôle du Mittelstand allemand, principal moteur de la prospérité germanique. Pour en parler, La Tribune organise ce mardi de 13h00 à 18h00 le Family & Business Forum, en partenariat avec Family and Co et le FBN France.
(Crédits : JIM YOUNG)

En 1974, Claude François se plaignait d'être "le mal aimé". Un titre que pourraient reprendre en chœur les patrons des ETI familiales françaises. En Allemagne, le Mittelstand - composé d'une entreprise de plus de 1.000 salariée fortement ancrée sur son territoire - est célébré et constitue un des moteurs principaux de la prospérité du pays. Chaque grande ville à "son" entreprise, considérée comme un "trésor".

En France, l'économie est centrée sur les champions nationaux qui ont su atteindre une taille critique pour s'imposer dans leur secteur d'activité. Aéronautique, agro-alimentaire, publicité, luxe, automobile : Airbus, Danone, Publicis ou Renault sont mises en lumière. Ce sont pourtant des multinationales qui n'hésitent pas à délocaliser leurs activités industrielles et à installer leur siège social aux Pays-Bas ou au Luxembourg, territoires à la fiscalité attractive. A l'autre extrémité du spectre, la startup nation met sur le devant de la scène les pépites de la tech qui forment chaque année le plus gros contingent étranger du CES de Las Vegas.

Les ETI, générateurs d'emplois pour l'économie française

Au milieu, les PME et ETI familiales peinent à se faire reconnaître. Ce sont pourtant elles qui créent les emplois. Selon l'Insee, entre 2009 et 2015, les ETI en ont créé 337.500 tandis que les grandes sociétés en détruisaient 80.000 en délocalisant leur production. Le contrôle et la gestion par les membres de la famille, ainsi qu'une transmission de génération en génération sont les caractéristiques du family business.

D'après la cartographie des ETI familiales en France de juin 2021 réalisée par le Meti (Mouvement des Entreprise de taille Intermédiaire) et Mawenzi Partners pour le Family Business Network (FBN France), 52% des ETI françaises sont majoritairement familiales. Elles sont 2.600 et représentent 1,8 million de salariés (moyenne de 680 par entreprise) et pèsent près de 420 milliard d'euros de chiffre d'affaires (avec une moyenne de 160 millions par entreprise). On les trouve principalement dans l'industrie (34 %), les services (28 %) et le commerce (25 %). Une bonne partie des 150.000 PME ayant plus de 50 salariés ont elles-aussi un actionnariat familial.

Parmi les family business les plus connus, on peut citer Yves Rocher, Bonduelle, Seb, Lactalis, mais aussi des groupes comme la galaxie Mulliez (Auchan, Décathlon, Leroy Merlin, etc.). À l'étranger, les géants de la distribution Walmart (Etats-Unis) ou Ikea (Suède) appartiennent aux familles fondatrices.

Le family business, avant-garde du capitalisme citoyen

« Selon l'institut Montaigne, 83% des entreprises ont aujourd'hui une dimension familiale. Un chiffre plus important que dans le reste de l'Europe, autour de 70 %. Or, ce Mittelstand à la française n'est pas assez connu », reconnaît Olivia Grégoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable, interrogée par La Tribune. De plus, elles sont « moins sensibles à la pression de la rentabilité à très court terme ».

Par ailleurs, ces ETI sont ancrées dans les territoires avec 70% des sièges sociaux situés hors de l'Île-de-France. Des family business souvent porteurs de valeurs comme la stabilité de l'effectif et le respect des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance). Un souci des bonnes pratiques RSE salué par l'étude mondiale du Crédit Suisse « Family 1000 : Post the Pandemic » et étudié dans le récent rapport Rocher dirigé par Bris Rocher, PDG du groupe éponyme.

Ce rapport propose un bilan de la loi Pacte de 2019 qui a introduit la notion d'entreprises à mission. Les entreprises familiales peuvent devenir le fer de lance de ce capitalisme du futur, soucieux d'égalité, d'inclusion et plus respectueux de l'environnement évoqué dans l'ouvrage d'Olivia Grégoire « Et après ? Pour un capitalisme citoyen » (Impact). « Les entreprises familiales possèdent par nature cet ADN de la raison d'être et de la mission » pense la ministre.

Inscrites dans la durée, fortes d'un enracinement local, soucieuses d'un engagement solidaire et favorisant l'actionnariat salarié : les family business cochent beaucoup de cases des sociétés à mission. Reste à régler le sujet délicat de la transmission.

Une transmission difficile

D'après le baromètre de la transmission des PME réalisé par Epsilon Research pour La Compagnie nationale des conseils en fusions et acquisitions (CNCFA), la spécificité de la PME familiale hexagonale est son faible taux de transmission, qui s'élève à seulement 25%. Et ce ne sont pas les fils et filles des dirigeants qui les rachètent mais plutôt d'autres entreprises, dont une bonne partie sont étrangères (38%).

D'après l'Institut Montaigne, le taux de transmissions intrafamiliales toutes tailles d'entreprises confondues s'établit à 17 % dans l'Hexagone, contre 56% en Allemagne ou 69% en Italie. Et ce malgré les dispositifs fiscaux en leur faveur : le Pacte Dutreil permet, sous certaines conditions, de faire bénéficier la transmission d'une entreprise familiale d'une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois-quarts de sa valeur. Lorsqu'elle était encore députée LREM, Olivia Grégoire avait proposé des amendements pour simplifier ce texte, mais, selon elle, « il reste du travail à faire », en particulier en matière d'accompagnement.

Le rapport de Bris Rocher soulève aussi la question des fonds de pérennité créés par la loi Pacte, un nouveau statut de fondation destiné à assurer un actionnariat stable. Un dispositif inspiré des fondations actionnaires expérimentées avec succès dans plusieurs pays européens, notamment en Europe du Nord.

Last but not least, les entreprises familiales font preuve d'une résilience supérieure à celle des sociétés classiques, comme cela a été le cas durant la crise sanitaire.  « Le modèle financier habituellement plus conservateur des entreprises familiales, fondé sur un endettement moindre et une forte génération de flux de trésorerie, s'est avéré un atout durant la pandémie, estime Eugène Klerk, responsable Global ESG Research Product au Crédit Suisse. Elles ont notamment eu moins recours aux aides publiques à l'emploi pour licencier leur main-d'œuvre, ce qui reflète implicitement leurs propres responsabilités sociales ».


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La Tribune, Family&Co et le FBN organisent mardi 14 décembre une conférence sur les entreprises familiales, antidote à la crise ».

LIVE. Retrouvez ici les interventions en vidéo.

Commentaires 8
à écrit le 15/12/2021 à 12:33
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commentaire sans commentaire " Je propose d’exonérer purement et simplement de droits de donation et de succession les transmissions d’entreprises familiales entre générations Eric Zemmour"

à écrit le 14/12/2021 à 11:47
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Les Français n’aiment pas les entreprises familiales sauf dans l’agriculture où ils ne voudraient voir que cela ! LREM fait voter une loi pour empêcher les sociétés d’investissement d’acheter des terres pour en faire de grandes exploitations……

à écrit le 14/12/2021 à 9:59
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j'adore quand les francais parlent du Mittelstand allemand qu'ils ne connaissent pas, mais qui fait saliver par tous ces bons emplois!!! he, en Allemagne, personne, ni un employe, ni un syndicaliste, ni un politicien de Die Linke ne traitera de patro...

à écrit le 14/12/2021 à 9:58
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Les entreprises familiales disparaissent parce que la plupart des héritiers sont obligés de vendre pour payer les exorbitants droits de succession sur les actifs industriels et commerciaux. Pas plus compliqué que ça. Si la génération N+1 n'a pas el...

le 14/12/2021 à 13:47
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C'est une absurdité. Il existe plusieurs mécanismes fiscaux permettant de transmettre sa société à ses héritiers en report ou en quasi-franchise d'imposition. Un chef d'entreprise qui ne les utilise pas est très mal conseillé, ou n'anticipe rien.

le 14/12/2021 à 14:14
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Quand on connait l'appétence de l'état français pour les successsions (on est pas aux USA) faire croire qu'on peut éviter des droits de succession à 40% au dela du montant maximal d'abattement est une douce plaisanterie.

le 14/12/2021 à 21:09
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Vrai!! mais allez le faire comprendre a ces financiers de Bercy qui ne savent pas ce qu'est le travail .Pauvre France dirigée par des nuls.

à écrit le 14/12/2021 à 9:14
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Parce que comme partout il y a a boire et à manger comme L'échec total Lagardère. Par ailleurs les GAFAM elles ne sont pas des entreprises familiales. Le talent ne s'hérite pas, pire il s’effrite avec le temps et l'argent qui s'entasse, même les GAFA...

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