Présidentielle : l'abstention pourrait dépasser le triste record de 2002

À la veille du premier tour du scrutin pour la présidentielle, une grande partie des Français pourrait bouder les urnes selon la plupart des récents sondages. Si l'élection présidentielle résiste historiquement à l'abstention, beaucoup d'électeurs semblent encore indécis après une campagne critiquée pour son manque de débats.
Grégoire Normand
Certains instituts de sondages tablent sur une abstention à près de 30%.
Certains instituts de sondages tablent sur une abstention à près de 30%. (Crédits : Reuters)

Le 21 avril 2002, l'apparition du visage de Jean-Marie Le Pen sur les écrans de télévision des Français avait provoqué une onde de choc dans tout le pays. Le président sortant Jacques Chirac (UMP) se retrouvait confronté au candidat du Front national (FN) après un premier mandat de cohabitation avec la gauche de Lionel Jospin. Le candidat du Parti socialiste (PS) et ex-Premier ministre est éliminé dès le premier tour et annonce qu'il se "retire définitivement de la vie politique". À l'époque, l'abstention avait atteint un niveau record à 28%. L'extrême droite arrivait au second tour d'une élection présidentielle, une première dans l'histoire de la Vème République avec 16% des suffrages exprimés.

Vingt ans plus tard, le Rassemblement national de Marine Le Pen et Reconquête d'Eric Zemmour cumulent à eux deux plus de 30% des intentions de vote selon les derniers sondages. À la veille du premier tour du scrutin présidentiel, beaucoup d'indicateurs anticipent une abstention vertigineuse. Entre les deux longues années de pandémie et la guerre en Ukraine, les Français vont-ils bouder les urnes après une campagne jugée atone par de nombreux observateurs ? Il faut dire que tous ces événements ont jeté une ombre immense sur la campagne électorale entamée à l'automne 2021.

Lors des scrutins des élections municipales de 2020 et des élections régionales de 2021, l'abstention atteint des niveaux stratosphériques. Moins d'un tiers des électeurs s'est déplacé lors de ces élections intermédiaires. Même si l'élection présidentielle mobilise traditionnellement une plus grande partie des Français, beaucoup d'observateurs redoutent une nouvelle fois une désertion des bureaux de vote. "Tous les indicateurs semblent montrer une abstention élevée [...] L'abstention pourrait approcher le record de 2002, voire même le dépasser. Certains résultats évoquent un chiffre de 30%.  À la présidentielle, la participation est en général autour de 80%", explique Jean-Yves Dormagen, professeur de Sciences-Politiques à l'université de Montpellier interrogé par La Tribune. Lors de la dernière présidentielle en 2017, 22% des électeurs ne s'étaient pas rendus au premier tour de l'élection. Sous la Vème République, il s'agit du troisième record après ceux de 1969 et de 2002. A l'inverse, la participation avait battu un sommet à l'élection de 2007 lorsque Nicolas Sarkozy avait remporté le scrutin.

Le tournant des années 80

L'abstention est loin d'être un phénomène récent. Les chiffres de juin 2021 sont l'aboutissement d'un long processus de délitement entamé dans les années 80. Les différentes enquêtes sociologiques et travaux sur le sujet pointent le tournant des élections législatives de 1986. À l'époque, le président de la République socialiste François Mitterrand confie les rênes de Matignon à Jacques Chirac alors à la tête du RPR, principal parti d'opposition pour une période de cohabitation de deux ans. A l'époque, le chef de l'Etat socialiste met en place des élections législatives basées sur un scrutin proportionnel. 1986 marquera la percée du Front national dans les rangs de l'hémicycle avec 35 élus au Palais Bourbon.

Depuis, les chiffres de l'abstention ne cessent de grimper en flèche pour les élections législatives. Le pourcentage d'abstention est ainsi passé de 30,8% en 1993 à 32% en 1997, puis de 35,6% en 2002 à 39,6% en 2007 souligne un épais rapport de plus de 100 pages de la fondation Jean-Jaurès remis à l'Assemblée nationale à l'automne 2021.

Entre 2012 et 2017, le taux d'abstention aux législatives a bondi passant de 42,8% à 53,1%. Si l'élection présidentielle semble résister, les derniers résultats de l'abstention aux élections locales laissent présager encore une forte démobilisation. "L'enjeu de dimanche prochain est de savoir si la présidentielle va résister à l'abstention", souligne Jean-Yves Dormagen, co-auteur avec Céline Braconnier de l'ouvrage "La démocratie de l'abstention : aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire", (Editions Gallimard).

Lire aussi 9 mn"La démocratie de l'abstention" ou les défis d'Emmanuel Macron

Un long désenchantement

Entre la défiance à l'égard des politiques et la critique des institutions, les facteurs de la démobilisation électorale sont souvent multiples. Sur ce point, les chercheurs préfèrent parler d'abstention au pluriel. "Depuis les années 1980-1990, le politique ne « change plus la vie » (NDLR ; le slogan de la campagne de François Mitterrand en 1981), ne propose plus de vision de société suffisamment claire pour entraîner de large adhésion populaire", expliquent les experts de la Fondation Jean Jaurès missionnés par le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand.

Parmi les événements les plus récents, il semble que la pandémie a accéléré le repli des individus sur eux-mêmes et leur sphère privée après tous les confinements à répétition. "La politique n'intéresse plus les gens, qui ne veulent plus sortir de chez eux. Apathie sociale, apathie démocratique. La crise et la pandémie n'ont fait que renforcer le recentrage sur soi, sur son intérêt particulier", indique le directeur des études à la Fondation Jean Jaurès, Jérémie Peltier.

Alors que le président de la République Emmanuel Macron annonçait le retour des "jours heureux " après la pandémie en référence au programme du Conseil national de la résistance (CNR) élaboré à partir de 1943, les vagues d'infection à répétition et l'éclatement du conflit en Ukraine ont miné le moral des Français selon les dernières enquêtes de l'Insee.

Lire aussi 4 mnLa guerre russe en Ukraine provoque un "choc de confiance" pour les entreprises et les ménages français (Insee)

Le fléau de la non-inscription et de la mauvaise inscription

Au-delà des facteurs conjoncturels, il y existe des raisons plus structurelles comme la non-inscription sur les listes électorales ou la mauvaise inscription. Les sociologues définissent ces mal-inscrits comme les personnes qui ne résident plus dans la même commune que leur dernière inscription électorale. Les étudiants ou les professionnels en mobilité sont régulièrement concernés par ce phénomène. "Malgré la facilitation des procédures de procuration par le numérique, beaucoup voient dans le déplacement dans le bon bureau de vote un coût trop fort par rapport à l'enjeu du vote. D'autres ne sont tout simplement pas conscients du lieu d'inscription et découvrent le dimanche du vote leur erreur, qui est alors irréparable", soulignent les chercheurs.

Au total, ces mal-inscrits seraient entre 6 et 7 millions en France sachant que la France est le dernier pays européen à ne pas proposer de réinscription automatique en cas de déménagement. A cette population s'ajoutent 3 à 4 millions de non-inscrits sur les listes électorales en raison notamment du manque de connaissance du calendrier à respecter pour s'inscrire.

Même si la période pour s'inscrire s'est allongée, le taux de non inscription pourrait rester élevé. Au total, le potentiel de personnes qui sont éloignées des urnes ou qui ne peuvent pas voter culmine à 10 millions en France. Selon le dernier décompte de l'Insee 47,8 millions de personnes étaient inscrites en mars dernier, soit une augmentation de 856.000 par rapport à mai 2021. Ce qui signifie que la marge de progression est immense pour améliorer ce taux d'inscription et donc celui de la participation.

Les jeunes et les catégories populaires, grands absents des bureaux de vote

Élection après élection, les travaux de recherche montrent que les jeunes ont tendance à bouder les élections plus que n'importe quelle autre catégorie. Aux régionales de 2021, seuls 16% des 18-24 ans et 19% des 25-34 ans se sont déplacés lors du premier tour. A l'inverse, même si l'abstention des personnes âgées de plus de 65 ans a été forte (46%), elle est sans commune mesure avec les jeunes. "Ce scrutin met ainsi au grand jour la logique de vote intermittent propre aux jeunes générations. Si celles-ci conservent un fort intérêt pour l'élection présidentielle, elles se démobilisent néanmoins massivement - et de plus en plus - lors des élections intermédiaires", précisent les rapporteurs.

Résultat, les plus âgés sont souvent surreprésentés dans les différentes institutions au regard de leur poids démographique. Les chercheurs en sciences sociales évoquent plusieurs raisons à cette forte abstention chez les jeunes. Il peut s'agir dans bien des cas "d'une abstention protestataire" ou encore d'une "abstention d'indifférence".

L'autre groupe de population qui désertent les urnes sont les catégories populaires. Aux dernières régionales, 43% des cadres ont voté contre seulement 23% des ouvriers. Il existe également un clivage très net en fonction des revenus. Ainsi, 84% des personnes vivant dans un foyer avec moins de 1.000 euros par mois ont déserté les urnes contre 54% chez les personnes vivant dans un foyer avec plus de 3.500 euros par mois. Après une campagne peu mobilisatrice, les Français pourraient à nouveau déserter les urnes malgré les enjeux déterminants de ce scrutin. Face à cette possible désertion, le candidat Macron s'est montré ouvert à un débat sur le vote obligatoire dans les colonnes du Parisien.

Grégoire Normand
Commentaires 30
à écrit le 11/04/2022 à 8:34
Signaler
Et bien malgré tout vos efforts même pas ! Mais bon vous avez conservé l'essentiel, que la FI soit battue !

à écrit le 10/04/2022 à 10:13
Signaler
Il est dommage de voir autant de personne s'abstenir, si seulement ces personnes y allait et votait au hasard leur vote serait écouté contrairement a leur abstention ou vote blanc qui de nos jours sont toujours pas reconnu et ignorés...

le 10/04/2022 à 18:05
Signaler
Les néo-monarques républicains ne reconnaissent que les rapports de force (cf. blocage de routes, usines, gaspillage alimentaire, etc) donc voter est futile.

à écrit le 10/04/2022 à 9:00
Signaler
Il faut convaincre les citoyens à aller voter. C'est impératif. Pour que nos femmes, nos filles, nos petites filles,, puissent prendre le bus en jupe courte, allaiter leur bébé dans la rue, un parc, s'assoir en haut de marches d'escaliers en jupe cou...

à écrit le 10/04/2022 à 1:49
Signaler
Le véritable fléau démocratique c'est plutôt la sur-inscription à l'insu de la jeunesse qui ne s'intéresse pas à la politique car exclue de plus en plus du monde du travail par l'allongement de la durée des études pour se battre pour les restes de...

à écrit le 09/04/2022 à 22:14
Signaler
Tiens ,un QR Code sur la nouvelle carte électorale et pour toujours en plus qui renvoi des infos "pratiques" sur... le ministère de l’intérieur.L’ère des QR code est en marche.Le Modem qui a aussi déposer aussi un projet de loi fin janvier pour remet...

à écrit le 09/04/2022 à 19:32
Signaler
La Guadeloupe et la Corse ont tout intérêt à boycotter la succession de l'empire français quelque soit les promesses des candidats...

le 10/04/2022 à 10:19
Signaler
L'abstention et votes blancs font parti de leur statistique en revanche aller voter pour n'importe qui ne sert a rien seul mais avec les 40 millions qui veulent aucun d'entre eux cela pourrait faire du bien. Une preuve simple et la politique écologiq...

à écrit le 09/04/2022 à 15:08
Signaler
On nous prépare a la disparition d'un nombre conséquent d'électeurs qui auraient émargés?

à écrit le 09/04/2022 à 14:39
Signaler
Surtout que les marcheurs profitent du beau temps dimanche, pour aller pécher. On se chargera d'aller voter.

à écrit le 09/04/2022 à 12:41
Signaler
Cette élection tourne au grotesque; comment s'en étonner: nos "élus" se moquent ouvertement des électeurs; si le retour du Général aux affaires a été accepté si facilement, c'est qu'il avait montré une hauteur de vues qu'on a trouvée rarement chez s...

à écrit le 09/04/2022 à 11:27
Signaler
Il faut en vouloir pour voter pour des politiques qui depuis des années gèrent si mal le pays. Rien ne va, l’école ne forme plus , l’hôpital est en situation de coma avancé, notre armée est sous équipée et ne parlons pas de la fiscalité , locale ou n...

à écrit le 09/04/2022 à 9:21
Signaler
Avant chaque présidentielle c'est le même scénario. Une grosse campagne médiatique pour prévenir de l'abstention exposant ainsi qu'on donne l'impression de se rendre compte des conséquences alors que pas du tout c'est seulement pour appeler à l'abste...

à écrit le 09/04/2022 à 8:54
Signaler
Pour que notre voix compte, il faudrait pouvoir voter aux élections américaines puisque ce sont les USA qui dirigent l'Europe.

le 09/04/2022 à 19:36
Signaler
Aux USA ils font voter les prisonniers vous pouvez toujours essayer d'y obtenir gratuitement un titre de séjour...

à écrit le 09/04/2022 à 8:45
Signaler
Un triste record imputable EXCLUSIVEMENT a la médiocrité de notre représentation politique , tous bords confondus , qui a réussi a écoeurer la moitié de l'électorat d'aller voter , mais qui , courageusement comme a son h...

à écrit le 09/04/2022 à 8:34
Signaler
Oui le prti des abstentionistes peut jouer un grand rôle. 55% d'abstention et une participation record; Il faut faire son devoir electorale et laisser la liberté aux français d'aller voter. Nous devons faire un choix et dire au monde ce que nous somm...

à écrit le 09/04/2022 à 8:07
Signaler
Je viens de survoler les programmes en 3 minutes chrono, c'est vrai que ça motive pas. Comme un petit manque de crédibilité dans la liste des ""promesses"" quand c'est pas carrément un programme repoussoir. Je souhaite bien du plaisir a l'heureux/se ...

le 09/04/2022 à 11:27
Signaler
D'ailleurs je viens de m'apercevoir que la tribune avait oublié de mettre le programme d'asselineau. (rien que pour énerver gedeon) Yark yark yark

à écrit le 09/04/2022 à 7:36
Signaler
Déception j ai écrit 3 fois au président pour sue tous les handicapés ai taux de 80 points puissent avoir droit au LEP a ma troisième fois réponse ' le président trop occupe pour gérer ce sujet" on voit le peu malgré LR blabla de ma prise en compte d...

à écrit le 09/04/2022 à 0:15
Signaler
Pourquoi celui ou celle qui vote Macron devrait s’enquiquiner à aller dans un bureau de vote, avec toujours ce COVID qui rode, si la réélection de Macron est assuré comme démontré dans 100% des sondages depuis 9 mois ? Qu'il gagne sans moi, ça ira bi...

le 09/04/2022 à 19:43
Signaler
En effet, pour beaucoup de français assignés à résidence pendant 6 mois, une seconde dose de Macron c'est l'overdose...

à écrit le 08/04/2022 à 22:51
Signaler
Encore un constat mais rien de tangible ne sera fait! A part... un prochain article dans la presse!

à écrit le 08/04/2022 à 22:06
Signaler
Le résultat du lamentable niveau du cheptel politique de ce pays mais bien sur sans jamais se mettre en cause .....!

à écrit le 08/04/2022 à 21:51
Signaler
C’est une bonne nouvelle très peu de français s’intéresse à la politique ,c’est mieux qu’ils ne votent pas quand on voit le resultat depuis 40 ans Combien sont capables le nom de 5 ministres et leurs fonctions......

le 09/04/2022 à 14:39
Signaler
J'avoue ! Moi en tête ! J'en connais que 3 !! A part castête, varan et lemaire j'ignore totalement qui d'autres occupe un poste ni même le " naming " de ses ministères.. et ce depuis au moins Chirac.. comme quoi ils ne servent à rien et/ou on vit p...

à écrit le 08/04/2022 à 21:47
Signaler
La vraie raison c’est qu’il y a beaucoup en France de nationalité français et peu de francais! Beaucoup se servent de la france mais la servent 70 ans sans guerre à fait perdre tout attachement à la nation,comme le prouve l’ukraine

à écrit le 08/04/2022 à 20:01
Signaler
L'abstention a toujours conservé le pouvoir en place, voir les dernières élections régionales ou quelque soit le camp réélu, il l'a été avec 20% des votants exprimés, ils ont tous trouvé ça normal, se gargarisant de leur réélection ! Le TSM devrait c...

à écrit le 08/04/2022 à 19:31
Signaler
Bonjour je Ils faut bien voir que la démocratie fonctionne pas correctement dans notre pays... Mr Macron organisé depuis 4 ans une confrontation contre Mme le Pen , espérant être automatiquement être réélue... Ensuite, l'offres de droite est loins...

à écrit le 08/04/2022 à 19:05
Signaler
Fabien Roussel a globalement fait une très bonne campagne. Mais il y a 2 points où je pense qu'il a été trompé par son staff droitier : 1) La relance du nucléaire aurait dû être affirmé sans nuance en affirmant même son opposition rationaliste aux é...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.