« Le Grand Est » en quête de sa règle de trois

[ #Regionales 2015 ] La nouvelle grande région de l'est de la France veut profiter de sa situation frontalière et de ses traditions exportatrices pour conforter une activité internationale et renforcer son attractivité. Mais les disparités du développement économique compliquent la tâche, et des échanges à l'intérieur de la région restent à inventer.
L'Hôtel de la Région Alsace, à Strasbourg, qui sera la capital de la future Région "Grand Est".

Le nom de la nouvelle région issue de la fusion de l'Alsace, de la Lorraine et de Champagne-Ardenne reste un mystère. Les services de l'État ont pris soin d'éviter les acronymes et pourtant, de Châlons-en-Champagne à Strasbourg, en passant par Metz et Nancy, les élus sont vent debout contre l'Alca, l'Acal voire l'Arschloch, trait d'humour du député (Républicains) Antoine Herth qui, prononcé dans le dialecte alsacien, désigne sans élégance la partie de l'anatomie parfois atteinte d'hémorroïdes...

Une fusion "artificielle"

Faute de dénomination officielle, et en attendant le choix de l'assemblée qui sera élue le 13 décembre, la région que Philippe Richert, président (Républicains) du conseil régional d'Alsace, appelle sobrement « le Grand Est » présente un profil peu homogène, composé de traditions industrielles fermement ancrées, d'une agriculture et d'un secteur agroalimentaire excédentaires à l'international et de pôles de compétitivité qui pourraient, à terme, s'avérer complémentaires.

« La fusion a été décidée de manière très artificielle. Champagne-Ardenne a été collée à l'ensemble constitué par la Lorraine et l'Alsace, parce que les socialistes de l'Assemblée nationale ne savaient pas quoi en faire », regrette Roger Cayzelle, président du Comité économique, social et environnemental (Cese) de Lorraine.

« L'attractivité est faible. La Lorraine présente un solde migratoire négatif depuis 1968. Champagne-Ardenne connaît le même problème et l'Alsace la rejoint lentement. Il faudra faire en sorte que le Grand Est soit une région où l'on vient, en faisant la promotion de nos aéroports et en développant des liaisons vers la mer », propose Roger Cayzelle.

Manque de soleil, manque d'attractivité ? La pénurie de cadres, qui poussait les chambres de commerce et d'industrie à s'impliquer dans les campagnes de recrutement des entreprises dans les années 1990, est rangée parmi les mauvais souvenirs. La spécialisation des PME et leur dynamisme à l'exportation ont permis de renverser la tendance.

« Je recrute par bouche-à-oreille et je n'ai jamais rencontré de difficultés pour embaucher mes experts et mes ingénieurs-conseils », témoigne Maxime Creux, dirigeant à Wittelsheim (Haut-Rhin) d'Eliteam, bureau d'études (58 salariés) spécialisé dans la maîtrise d'oeuvre de centrales énergétiques en Afrique.

Un frein au dynamisme des acteurs économiques ?

Moins optimiste, Olivier Klotz, président du Medef Alsace, voit la naissance de la grande région comme un frein au dynamisme de ses acteurs économiques.

« L'Alca, c'est comme un bagel. Au milieu, il y a un trou », observe-t-il en référence au « couloir de la mort » que certains patrons alsaciens envisagent déjà avec mépris.

La méconnaissance de la Meuse, de la plaine des Vosges et du département des Ardennes - situés entre les axes métropolitains des vallées du Rhin et de la Moselle, et le pôle économique de la Champagne, autour de Reims et d'Épernay - plomberait l'image de la grande région. Contraint de calquer le découpage géographique du Medef sur celui des nouvelles régions administratives, Olivier Klotz, candidat à une présidence tournante entre les trois régions du Medef Alca, entend organiser ses futures réunions à Paris.

« Qu'est-ce que j'irais f... à Nancy ? », tempête-t-il, provocateur.

« Dans trois ans, si Sarkozy retourne au pouvoir, on démonte tout et on revient à la situation initiale », promet Olivier Klotz.

Tout un programme !

Déjà les pôles de coopération régionale

Dans les structures d'animation des pôles de compétitivité, on n'a pas attendu la réforme territoriale pour regarder chez le voisin. Le pôle fibres, établi à Épinal (Vosges) et spécialisé dans la chimie de la biomasse et les matériaux durables dans le bâtiment, a fusionné en décembre 2014 avec le pôle Alsace Énergivie (bâtiment à énergie positive), en se dotant d'une gouvernance allégée. Dans le tourisme, les comités régionaux d'Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne, rejoints par la Bourgogne et la Franche-Comté, mènent depuis plusieurs années des opérations communes de prospection et de promotion. Dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir (PIA), les trois composantes de la région Alca veulent sans attendre engager un programme commun, pour 20 millions d'euros, autour de l'innovation, du développement des entreprises et de l'usine 4.0. D'aucuns préfèrent regarder vers le Bade-Wurtemberg et ses 6% du PIB consacrés au numérique, ou vers le Luxembourg, locomotive de l'emploi dans le nord de la Lorraine. Mais les pôles de compétitivité transfrontaliers, autour des labels French Tech, restent balbutiants.

« L'agroalimentaire présente 2 milliards d'euros d'excédent commercial dans le Grand Est. Dans le vignoble, l'Alsace a intérêt à travailler avec la Champagne, qui voit plus loin à l'exportation et valorise sa production dans des circuits mondiaux. Le vignoble d'Alsace, bien qu'exportateur, reste focalisé sur des circuits courts de vente à la propriété, et se valorise moins bien », observe Philippe Richert, en campagne pour la présidence de la région Alca.

« Il faudra adapter des outils régionaux de financement de l'investissement, de l'innovation et de l'export, en travaillant par filière », propose Jean-Pierre Masseret, son homologue (PS) lorrain, en campagne lui aussi.

Les structures régionales de capital- développement, comme l'Institut lorrain de participation et Alsace Création, n'ont pas emprunté la voie de la fusion. Comme c'est le cas pour les agences départementales de développement économique, dont la fusion prévue cet automne en Alsace aura des répercussions sur l'ego des conseils départementaux, la visibilité des structures d'accompagnement économique reste trop importante pour que les élus locaux acceptent d'en confier les rênes à leur voisin.


FOCUS : S'INVENTER UN DESTIN COMMUN

Entre la tentation du repli et le statu quo, les politiques peinent à se projeter dans la nouvelle Région.

Fusionner avec la Lorraine, ça passait encore... Y ajouter la région Champagne-Ardenne, en juillet 2014, la coupe était pleine. Pour les autonomistes alsaciens, depuis le parti Unser Land qui se revendique proche des écologistes jusqu'au mouvement Alsace d'Abord, scission du Front National, la région du Grand Est constitue un casus belli face à « Paris ». Dans cette querelle, amplement médiatisée, les acteurs semblent se complaire dans l'amalgame entre l'identité et la politique culturelle régionale. Et l'économie n'a pas, pour l'instant, franchi le seuil du débat. Si Alsace d'abord renonce aux urnes, faute de candidats, dans huit départements sur dix, Unser Land tentera de nouer des alliances en Lorraine et, de façon improbable, en Champagne-Ardenne dans la course pour l'élection des conseillers régionaux, les 6 et 13 décembre 2015.

La colère des autonomistes passée, et sans préjuger la performance du Front National, emmené par Florian Philippot dont la campagne n'a pas commencé, les socialistes et les Républicains tentent de projeter les trois régions fusionnées dans une nouvelle stratégie territoriale.

Pour Jean-Pierre Masseret, président sortant (PS) du conseil régional de Lorraine, « le point central sera la gouvernance, la méthode ». Ses priorités : rattraper le retard dans le numérique, veiller au développement durable, renforcer la formation professionnelle « pour qu'aucun jeune ne sorte du système scolaire sans formation initiale », traiter le vieillissement de la population par la technologie. Philippe Richert, président sortant (Républicains) en Alsace, penche pour une meilleure valorisation des atouts agricoles du Grand Est, l'aménagement d'infrastructures numériques de très haut débit et la création de nouveaux pôles de compétitivité, en renforçant la recherche privée et en confortant les universités et la recherche publique, « distinguée par trois Prix Nobel en activité en Alsace ».

Avant de proposer de nouvelles infrastructures d'intérêt régional, comme le barreau ferroviaire manquant au sud de Nancy vers la vallée du Rhône, les élus commencent par défendre l'existant. « Je continuerai de me battre pour l'aéroport de Vatry, troisième plateforme du Bassin parisien », promet Jean-Paul Bachy, président sortant de la région Champagne-Ardenne, qui s'efface au profit de la tête de liste socialiste Jean-Paul Masseret.

À Strasbourg, le président de l'Eurométropole Robert Herrmann (PS) se réjouit de cumuler les fonctions de capitale de région et de capitale européenne, mais la question de la collaboration des aéroports régionaux touche à la limite de l'indélicatesse.

« Il n'y a qu'un seul aéroport international dans cette région, c'est l'Euroairport de Bâle-Mulhouse », observe pourtant Laurent Hénart, maire (UDI) de Nancy. Le projet de raccordement ferroviaire de l'Euroairport, promesse de campagne non réalisée de Philippe Richert en 2010, pourrait revenir sur les pupitres de l'assemblée et servir de révélateur à la recherche nécessaire de solidarité entre les futurs élus.

À 250 millions d'euros, son bouclage financier complexe (Allemagne, Suisse, France, collectivités locales et Union européenne) ferait passer l'échec du projet de la gare TGV de Vandières, avortée l'hiver dernier pour cause de différends entre les élus lorrains, pour une simple péripétie.


Région grand est

chiffre grand est

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>>> Retrouvez notre série "Régionales 2015" dans le Grand Soir/3 présenté par Patricia Loison chaque jeudi vers 22h30

Extrait du Soir 3 du jeudi 10 septembre 2015

Commentaires 4
à écrit le 12/11/2015 à 16:36
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Région qui être remportée par le FN et disparaitra dès 2017. 67 % des habitants de ce périmètre y sont opposés (dont 80 % en Alsace siège de la capitale et 66 % en Champagne (59 % en Lorraine région elle-même composite)), aucune légitimité démocratiq...

à écrit le 18/09/2015 à 10:41
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Qu'est-ce que vous voulez dire par "capitale" ? Strasbourg est le chef-lieu, c'est-à-dire le lieu de la préfecture de région. Or le conseil régional a de fortes chances de siéger à Metz. Quelle est alors la capitale selon vous ?

à écrit le 14/09/2015 à 11:20
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Le "grand est" est une région inégalitaire, avec Strasbourg et Reims qui regroupent presque toutes les richesses ...La région "Est" souffre surtout de xénophobie et de rejet des gens nouveaux, donc ne va pas attirer des gens pour s'y installer...au c...

le 18/09/2015 à 10:43
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"Strasbourg et Reims qui regroupent toutes les richesses" ? C'est la Lorraine qui a le produit intérieur brut le plus important du nouvel ensemble ! Pour l'attractivité je vous rejoins, il y a du boulot.

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