Le revenu de base (2/3) : comment l'appliquer ?

Par Mégane Chiecchi  |   |  1040  mots
Malgré un taux de non recours très élevé, l'Etat recensait 2,44 millions de foyers bénéficiaires du RSA fin mars 2015.
Au mois de juillet 2015, le hashtag #revenudebase était étonnamment présent sur les réseaux sociaux, tout en étant associé à l'actualité européenne. Car le constat est sans appel : l'idée progresse dans les pays du Vieux continent qui cherchent à s'approprier le concept de façon pragmatique.

Le revenu de base n'est pas seulement une utopie, c'est aussi un projet économique, fondé sur des calculs rigoureux qui respectent deux principes chers au mouvement : l'universalité et l'inconditionnalité. Et pour répondre à ces deux exigences, les partisans du revenu de base n'hésitent pas à travailler sur des mesures préexistantes.

Avant le revenu de base, le RSA

A cet égard, la France fait figure d'exemple. Si l'affaire a été assez peu médiatisée, c'est qu'elle est encore au stade embryonnaire : en Aquitaine, le conseil régional a voté un budget pour réaliser une étude sur la viabilité d'un "RSA inconditionnel". Une façon de se différencier de la terminologie des partisans du revenu de base, tout en reprenant ses principes.

Car s'il est bien un dispositif qui inspire les militants du revenu de base, c'est le revenu de solidarité active (RSA). Dénonçant ses dysfonctionnements, de nombreux militants n'hésitent pas à l'utiliser pour justifier la nécessité d'une nouvelle allocation. Destiné aux individus dont les revenus sont très faibles, le RSA ne s'obtient qu'après de lourdes démarches administratives, jugées souvent intrusives et stigmatisantes. Pour bénéficier du dispositif, il faut pouvoir prouver la fragilité et la pauvreté de sa situation à la Caisse d'allocation familiale (CAF), une démarche qui est souvent perçue comme humiliante.

Pour résoudre ce problème et étudier les comportements des individus face aux allocations, la ville d'Utrecht, aux Pays-Bas, a d'ailleurs annoncé qu'elle mènerait un test du revenu de base sur un échantillon de 50 personnes, dans un groupe de 200 chômeurs bénéficiant d'indemnités traditionnelles. Une façon d'observer les réactions des individus, lorsqu'ils touchent automatiquement un revenu, ou lorsqu'ils doivent en faire la demande.

Revenu minimum: en France, 68% des éligibles ne le touchent pas

En place depuis 1988 sous différents noms, le revenu minimum en France est complexe et souvent malmené, car méconnu. En politique, il est régulièrement l'objet de campagnes populistes qui dénoncent un concept favorisant "l'assistanat". Pourtant, 68% des travailleurs pauvres qui pourraient en bénéficier ne font aucune démarche. Malgré un taux de non recours très élevé, l'Etat recensait 2,44 millions de foyers bénéficiaires du RSA fin mars 2015.

A hauteur de 513 euros pour les personnes seules sans enfant, le RSA peut atteindre jusqu'à 1.000 euros en fonction du type de foyer des individus. Des conditions que dénoncent Jean Eric Hyafil, doctorant en économie et partisan du revenu de base :

"Ce n'est pas normal qu'un couple touche 1,5 fois plus de RSA qu'une personne par exemple. Rien ne justifie non plus les quotients familiaux qui s'immiscent trop dans la vie des individus. Nous devons avoir un revenu de base qui soit individualisé."

La bataille du montant du revenu de base

Derrière l'apparent consensus de plusieurs mouvements politiques en faveur du revenu de base, d'importantes dissensions persistent au sein de chaque État. En Finlande, malgré l'annonce d'une expérimentation du revenu de base dans les zones les plus touchées par le chômage du pays, le nouveau gouvernement de droite ne parvient pas à s'accorder sur le montant à verser.

En effet, la question du chiffre est primordiale, et sujette à bien des interprétations idéologique. Car proposer un revenu de base de 400 euros ou de 2.000 euros, ce n'est pas souhaiter un changement macro-économique de même nature. En fait, plus la somme avancée est élevée, plus elle se rapproche d'une vision libérale du revenu de base qui révolutionnerait le système redistributif des Etats-providence. Pour les plus libéraux, l'idéal serait une baisse et une simplification de l'impôt, pour financer une somme fixe allouée universellement et remplacer toutes les formes d'allocations préexistantes. D'où la nécessité d'un revenu de base très élevé.

Une vision que conteste largement Marc de Basquiat, économiste en faveur du revenu de base, qui propose un revenu de base plus faible et donc, selon ses mots, plus "réaliste" :

"C'est du grand n'importe quoi, il y a des propositions tout simplement ahurissantes qui circulent. En Suisse, par exemple, à l'annonce du référendum d'initiative populaire pour statuer sur le revenu de base, les médias ont relayé l'idée que le montant serait de 2.500 francs (environ 2.500 euros) alors que la proposition ne précisait aucun montant !"

Un financement qui rebute

Le grand défi du revenu de base, c'est aussi de convaincre une population des bénéfices d'un tel système, alors même qu'il laisse présager une augmentation d'impôt ou de la TVA. Pour Marc de Basquiat, qui travaille conjointement avec des économistes de l'AIRE (l'Association pour l'instauration d'un revenu d'existence), un prélèvement de 23% des revenus de l'ensemble de la population suffirait à financer un revenu de base de 450 euros.

Plutôt que de parler d'une augmentation des impôts, l'économiste évoque donc une différence de niveau de cotisation, à partir du moment où l'individu gagne plus de 2.000 euros. C'est, selon lui, la "frontière". Une frontière qui, par ailleurs, existe déjà avec l'impôt sur le revenu.

Concrètement, cela voudrait dire qu'un individu qui gagne 2.000 euros par mois serait prélevé de 460 euros tout en touchant les 450 euros de revenu de base. La personne cotiserait donc 10 euros de plus qu'un salarié qui gagne 1.350 euros, par exemple. A l'inverse, pour lui, le revenu de base serait supérieur à sa cotisation, puisqu'il toucherait toujours 450 euros mais serait prélevé à hauteur de 310 euros, si on se tient au prélèvement fixe à 23% des revenus.

En Espagne, malgré les engagements du parti Podemos en faveur du revenu de base, la formation politique a dû reculer face au chantier que constitue un tel projet. Finalement, Podemos a opté pour la mise en place d'une allocation proche du RSA français.

Malgré l'utopie portée par le mouvement, l'idée est loin de faire l'unanimité. Pour des raisons pratiques et économiques, le revenu de base semble donc difficilement applicable, tant il continue à diviser, au sein même des formations politiques les plus novatrices.

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SOMMAIRE

Le revenu de base (1/3) : les fondements
Le revenu de base (2/3) : comment l'appliquer ?
Le revenu de base (3/3) : une utopie réaliste ?