Nicole Belloubet  : « On peut avoir confiance dans la justice française car elle est digne »

Invitée le 5 novembre dernier des Mardis de l'ESSEC - dont La Tribune est le partenaire média -, la Garde des sceaux, Nicole Belloubet a parlé aux étudiants de ses actualités : projet de loi bioéthique, état des prisons, retour des combattants djihadistes français et réforme de la justice des mineurs. Retrouvez ici la vidéo de cette soirée.
De g à d, Nicole Belloubet, Clémence des Mazery and Axel Nys.
De g à d, Nicole Belloubet, Clémence des Mazery and Axel Nys. (Crédits : Noir/Blanc)

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"Un certain nombre de personnes sont en prison 
alors qu'elles n'ont rien à y faire"

Interrogée sur les difficultés du système carcéral français et sur les réponses que prévoit d'apporter le plan prison (présenté en septembre dernier à l'Assemblée nationale), la ministre a tenu dans un premier temps à partager une observation quant au rapport qu'entretiennent les Français avec les prisons.

Depuis son arrivée au gouvernement, celle-ci constate un refus inédit des centres de détention comme éléments constitutifs du paysage urbain. « On ne trouve plus une ville où la population accepte un établissement pénitentiaire » a-t-elle ainsi déploré. Elle voit dans ce refus le symptôme d'un malaise plus profond, « comme si tout ce qui symbolisait les moments d'égarement dans la vie d'êtres humains devait être caché, rejeté ». Pour celle dont la prison de la Santé occupait une large place de son paysage d'enfance, cette volonté croissante d'exclusion « n'en finit pas de la frapper. » Sans verser dans la complainte pour autant, elle regrette que cet état d'esprit entrave son travail. Car lorsque s'ajoute à la difficulté de trouver un lieu adéquat pour la construction de nouvel établissement une opposition ferme des citoyens relayée par leurs élus, le désengorgement des prisons apparaît comme un objectif fuyant. Pourquoi ne pas « déplacer les constructions dans le Larzac » ? Celle-ci l'aurait déjà fait s'il n'était pas si difficile de faire venir travailler le personnel de ces établissements dans les zones reculées, personnel dont la présence est indispensable pour travailler à la réinsertion des détenus.

Car c'est bien de cela dont il s'agit : « la prison n'a de sens que si sa finalité est la réinsertion de ceux qui sont un temps mis à l'écart de la société » a-t-elle rappelé avec conviction. Aussi, face à cette insuffisance de moyens dont pâtit le milieu carcéral, la priorité de la ministre est de « prendre le problème de la surpopulation à la racine ». Au moment de la décision des peines donc. Il ne fait aucun doute à ses yeux qu'« un certain nombre de personnes sont en prison alors qu'elles n'ont rien à y faire ». Elle pense que la définition de la nouvelle politique pénale, visant à encourager et faciliter le recours aux peines alternatives (placement sous bracelet électronique, travail d'intérêt général, sursis probatoire) tout en garantissant en parallèle un suivi renforcé des intéressés, est une solution efficace pour régler le problème.

C'est ensuite à la question brûlante de la radicalisation que s'est efforcée de répondre la ministre. Sans nier les liens les unissant, elle a tenu à distinguer la gestion de la radicalisation dans les prisons françaises de celle du retour des combattants français partis en Syrie ou en Irak faire le djihad. Si « la France a toujours considéré que ces personnes [...] devaient être jugées là où elles avaient commis leur forfait » (moyennant la possibilité de la protection consulaire, d'un avocat et avec l'assurance que la peine de mort ne soit pas mise en œuvre), la ministre a concédé que le retrait des États-Unis de Syrie et la nouvelle donne géopolitique qui s'en suit oblige les États européens à repenser leur politique. Pour la Garde des sceaux, il ne fait aucun doute que « nous sommes en capacité de prendre en charge les combattants et leurs familles qui sont revenus, [...] nous l'avons déjà fait ». Pas d'inquiétude à avoir puisqu'à leur retour, ces individus seront « immédiatement judiciarisés, placés en détention provisoire en attendant un jugement en bonne et due forme ».

« Je ne vois pas en quoi la suite logique
de la PMA est d'aller vers la GPA »

Nicole Belloubet a dans un second temps été interrogée sur le modèle de société que vise à instaurer la mise en œuvre du projet de loi relatif à la bioéthique adopté par l'Assemblée nationale le 15 octobre 2019. Elle a commencé par rassurer ceux qui voient là un glissement progressif vers un monde où le corps ne serait plus qu'une marchandise parmi d'autres. À l'évocation des pratiques en matière de don de gamètes en vigueur en Ukraine, la ministre a répondu avec insistance : « Ce n'est pas du tout vers ce modèle qu'on vent tendre. » Si la Garde des sceaux a concédé qu'un risque de dérive mercantiliste perdure, elle a rappelé à son auditoire les principes fondamentaux encadrant le don des gamètes énoncés dans le projet de loi. Celui-ci, obligatoirement « gratuit et anonyme », est ainsi censé tenir à distance le spectre eugénique.

Quant aux inquiétudes suscitées par le contenu et les circonstances d'adoption de l'amendement Touraine (permettant la reconnaissance de la filiation d'enfants conçus par gestation pour autrui (GPA) dans un pays étranger), la ministre a expliqué que celui-ci n'introduisait en rien la GPA de « manière immédiate ».  Mieux, la GPA ne saurait à ses yeux découler « logiquement » des dispositions adoptées dans le projet de loi. Les interviewers ont alors demandé à la ministre ce qui justifierait le refus d'accorder à leur tour aux couples homosexuels hommes la satisfaction - par la GPA - d'un désir d'enfant. Celle-ci s'est contentée de répondre qu'il est « impossible juridiquement d'invoquer le principe d'égalité parce que face à la procréation, les couples de femmes ne sont pas dans la même situation que les couples d'hommes et les hétérosexuels ». Ineptie juridique, sûrement, à ceci près que la particularité du droit est qu'il se fait et se défait sans cesse. Mais parlons-nous seulement de concepts juridiques évolutifs ? N'est-il pas ultimement question dans ce débat de la condition humaine et de ses innombrables limitations ? Et alors que nous organisons son affranchissement au motif de la satisfaction de désirs seule, que répondre à ceux qui comme Hannah Arendt nous ont mis en garde sur son extrême fragilité ? Derrière leurs airs graves, ce sont pourtant de telles questions qui ont rythmé les débats parlementaires de cet automne. Questions dont on était en droit d'attendre de l'une des trois porteuses du projet de loi bioéthique un éclairage un peu moins blafard. Absence de « lien logique » donc ou refus de le penser ? La ministre, décrite comme une excellente technicienne au moment de sa prise de fonction, ne s'est guère aventurée au-delà de l'explication du seul volet juridique de cette réforme majeure.

S'agissant du projet de réforme de la justice, la ministre a évoqué la question centrale du seuil de responsabilité pénale des mineurs. Jusqu'à aujourd'hui, ce seuil n'était pas fixe mais laissé à la libre appréciation du juge. Celui-ci, évaluant le discernement et le degré de maturité du mineur mis en cause, statuait alors sur sa responsabilité pénale. La réforme portée par la Garde des sceaux fixe désormais ce seuil à 13 ans, remplissant ainsi les exigences des conventions internationales en la matière. Une mesure lourde de conséquences ? Rien de moins sûr puisque cet âge correspondait globalement à la pratique des dernières années. En revanche, la réforme entérine l'impossibilité d'infliger une sanction pénale à un jeune en-deçà de 13 ans. « Ça ne veut pas dire qu'on ne fait rien » s'est sentie obligée d'ajouter la ministre avant de poursuivre « l'important, c'est que le gamin soit pris en charge ». Peu d'indications ont été données sur les modalités de cette prise en charge, la Garde des sceaux s'étant contentée de conclure par une formule des plus convenues : « Je suis désolée, je ne prétends pas qu'il faille mettre tous les gamins de 13 ans en prison. »

« Si on veut être très exact, l'organisation des juridictions
n'a rien à voir avec l'indépendance de la justice »

Vu la polémique - les échanges mail entre la Chancellerie et Matignon révélés par le quotidien satirique Le Canard enchaîné -, la ministre a ensuite été interrogée sur le sujet sensible de l'indépendance de la justice française. L'échange en question indiquait que la future réforme de la carte judiciaire serait appliquée en fonction de critères partisans : les annonces résultant de la réforme dans chaque commune dépendrait du score de LREM aux élections municipales et pourraient être ainsi différés afin de ne pas perdre des intentions de vote dans les « villes cibles ». « Ce mail, tel qu'il est écrit, n'est pas acceptable. », a commencé par répondre la ministre. Coupant elle-même court à cette minute d'aveu, l'excellente juriste, initialement professeur de droit public, s'est empressée de rétablir le rapport de force en entamant l'explicitation d'une nuance juridique : « Si on veut être très exact, l'organisation des juridictions n'a rien à voir avec l'indépendance de la justice. »

Devant un auditoire intrigué, Madame Belloubet a ainsi distingué l'indépendance de la justice qu'elle définit comme la possibilité pour les juges de pouvoir « rendre des décisions en toute indépendance » de l'organisation des juridictions. Une organisation au sujet de laquelle elle estime « qu'il serait naïf de penser qu'une décision ne soit pas prise, aussi, avec des paramètres politiques ». Moins réticente cette fois à en appeler au bagage philosophique, elle a précisé que « politique » était ici à entendre au sens de « polis », vie de la cité et non au sens péjoratif de jeux de pouvoirs.

Après ce rappel étymologique, la Garde des sceaux a jugé bon d'asséner aux étudiants cette formule (probablement née des mêmes brillants esprits à l'origine du mail adressé à Matignon) : « Je réfute l'analyse partisane, je revendique l'analyse politique. » Un élément de langage qui semble avoir laissé plus d'un auditeur sceptique, et d'autant plus agaçant que la reçue deuxième à l'agrégation de droit public joue les mauvais élèves en confessant avoir « du mal à voir comment implanter un juge à Béthune ou à Perpignan pourrait influer sur la carte électorale. »

La ministre a dû se sentir soulagée que la discussion ne se prolonge pas au-delà de cette réponse à risque. Les lecteurs du Canard enchaîné présents dans le public auront pour leur part probablement regretté qu'il ne soit pas rappelé à la Garde des sceaux que les questions posées par le projet de réorganisation judiciaire concernent moins des implantations de juges que la suppression pure et simple de plusieurs d'entre eux (pour cause de nombre insuffisant de dossiers traités (moins de 50 dossiers par an). Et nul besoin de grande « analyse politique » pour comprendre les implications électorales sur les villes cibles de la majorité que les annonces de suppression de poste sont susceptibles d'entraîner à l'approche des municipales de mars 2020. Pour rappel, dans son article « Une réforme arbitrée par les résultats électoraux de LRM » du 23 octobre, Le Canard enchaîné écrit :

 « Voilà pourquoi la Chancellerie veut supprimer ces oisifs et expédier leurs affaires dans les grands tribunaux d'à côté. Une chouette idée, non ? Pas sûr. Car les magistrats mais aussi les élus sont allergiques à toute diminution de leurs « acquis ». Quant aux électeurs, ils vouent un certain attachement au juge d'instruction, symbole du « petit juge » seul contre les puissants. »

Cette tentative d'explication donnée, Madame Belloubet a ensuite été interrogée sur les mesures prises en faveur du renforcement de cette indépendance de la justice sur le volet des liens unissant les magistrats au pouvoir exécutif. Elle a fait part à ce propos des avancées prévues par le projet de révision constitutionnelle récemment adopté en Conseil des ministres. Il y serait notamment prévu un « renforcement statutaire » du parquet, via la subordination des nominations de membres du parquet à « l'avis conforme du Conseil supérieur de la Magistrature ». Une mesure encore une fois assez peu révolutionnaire puisque les gouvernements successifs depuis 2013 s'accordaient à respecter cette procédure. Relancée sur les exemples de mesures concrètes avancés par les représentants de la profession tels que le Syndicat de la Magistrature ou le Conseil de l'Ordre (comme l'interdiction des remontées d'informations sur les affaires individuelles, le rattachement fonctionnel de la police judiciaire à l'autorité judiciaire), la Garde des sceaux a préféré, à leur examen séparé, se livrer à un plaidoyer pour le « parquet à la française » qui à ses yeux « est un modèle qui a sa légitimité et son efficacité ». Celui-ci, caractérisé par des liens forts unissant le pouvoir exécutif et les magistrats du parquet, ne saurait donc souffrir pour le moment de profonde remise en question. Et ce, même si la question du respect d'un des principes démocratiques par excellence qu'est la séparation des pouvoirs est régulièrement posée par quelques mauvais esprits.

Parvenue à son terme, un sondage du public est venu clore la soirée. La question posée était la suivante : « Avez-vous confiance dans la justice française ? » Verdict : 60% des auditeurs ont déclaré accorder cette confiance au pouvoir judiciaire actuellement incarné par Nicole Belloubet. À ce chiffre plus qu'encourageant, la ministre a réagi en rappelant la singularité de son rôle qui la place « presque comme une observatrice » de la justice. « La Justice française, je ne la fais pas. Je l'organise. », a-t-elle ainsi déclaré. Profitant de l'occasion, la Garde des sceaux a tenu à exprimer son admiration pour le travail « exceptionnel » des magistrats dont elle sait qu'il se fait parfois « dans des conditions difficiles. » Et si elle reconnaît que des critiques sont à faire, celles-ci devraient à ses yeux davantage se concentrer sur la question des délais, de l'accès à la justice. Ce sont ces sujets qu'elle considère être son véritable « boulot ». Pour le reste, si certains se montrent insatisfaits d'une décision, la « possibilité de faire appel » et les voies de recours sont à ses yeux les meilleurs gages de la dignité de cette justice souvent attaquée. Pour cette raison a minima, elle a appelé de ses vœux à ce qu'on accorde à cette justice « une confiance forte ».

Commentaires 9
à écrit le 01/12/2019 à 12:58
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La cerise sur le gâteau : Au sein des Hôpitaux publiques : Si vous voulez savoir comment votre proche est mort et étudier son dossier médical Procédure : Écrire au responsable de l’hôpital par recommandé , on vous propose un rendez vous et ça doit...

à écrit le 28/11/2019 à 13:23
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Voir les jugements dans les 16 affaires de spoliation des inventeurs independants et certains courriers envoyés récemment à Mme Belloubet. Voir le site :inventerpasrever.

à écrit le 27/11/2019 à 12:56
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Juste histoire d'en faire constat : "La France pourrait bientôt ne plus avoir le droit de délivrer des mandats d’arrêt européens "L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne estime que les garanties d’indépendance du procureur f...

à écrit le 27/11/2019 à 11:10
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Avoir confiance en une justice qui condamne une femme battue à 1500 € de dommage et intérêt à son marie pour l'avoir mordu.... Alors que lui n'est condamné qu'à 3 mois de sursis... Ah oui, j'ai oublié, ce marie est Maire... Condamner un policier p...

à écrit le 27/11/2019 à 2:44
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Hummm ! Pas Madame Belloubet, qui avait "oublié" de déclarer une bonne moitié de son patrimoine ! La Justice n'a jamais été indépendante en France, ce n'est pas sain !! Quant aux prisons, elles n'ont jamais été autant remplies qu'avec le régim...

à écrit le 26/11/2019 à 21:13
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La justice devrait être impartiale ,autonome , indépendante, au dessus et valable pour tous et toutes et «  surtout apolitique«  et «  laïque «  L’est elle ?

à écrit le 26/11/2019 à 20:06
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Bref, ont ils seulement pensé que cette dictature judiciaire pouvait tomber en de mauvaises mains? Mais non, je deocnne et en plus moi je m'en fout, c'est pour ça que j'ai decidé de faire lapin. Vivement le deluge

à écrit le 26/11/2019 à 19:53
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Il se passe la même chose dans la justice comme dans l'économie.... Alors sans doute, mais si l'on assiste en ce moment au retour de bâton de non choix politiques fait pour l'égalité homme femme, c'est bien que l'on ne peut pas pérorer ainsi !!! ...

à écrit le 26/11/2019 à 19:14
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Entendu dans GOT, Thyrion je pense::" La justice est toujours celle des vainqueurs". Pas mieux ensuite bien entendu il y a des nuances, Napoléon ayant pas trop fait mal les choses. "cette volonté croissante d'exclusion" Ce n'est pas parce qu...

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