
Le gouvernement veut passer à la vitesse supérieure. Après l'épisode orageux des retraites, Emmanuel Macron veut reprendre la main sur les réformes mises sur pause depuis la présentation de la réforme décriée en janvier. A la demande du chef de l'Etat, la Première ministre Elisabeth Borne a déroulé un programme épais de lois et mesures à l'issue du conseil des ministres ce mercredi 26 avril. « La feuille de route est particulièrement dense », a affirmé la cheffe du gouvernement dans la salle du compte-rendu des conseils situé dans une rue adjacente au Palais de l'Elysée. « Depuis un mois, j'ai mené des consultations avec les forces politiques, les parlementaires, les élus locaux et partenaires sociaux pour bâtir une feuille de route. Pour les trois prochains mois, je souhaite accélérer les engagements du président », a-t-elle poursuivi.
Mais ces 100 jours pourraient se transformer en parcours d'obstacles. La semaine dernière, Emmanuel Macron et plusieurs ministres sont repartis sur le terrain lors de déplacements chahutés par des concerts de casseroles, des coupures de courant et des interpellations. En outre, les syndicats ont pour l'instant boudé les invitations de l'exécutif à venir négocier sur le partage de la valeur malgré l'appel de la Première ministre à « une période de convalescence ». Retour sur les principaux chantiers économiques et sociaux qui attendent le gouvernement jusqu'à l'été.
Un projet de loi « Plein emploi » présenté en juin
Matignon souhaite refonder Pôle emploi avec la présentation d'un projet de loi France Travail présenté en juin. La Première ministre a annoncé qu'elle souhaitait « un service public de l'emploi plus efficace, au niveau national comme territorial, avec une gouvernance partagée entre l'État, les collectivités et les partenaires sociaux ».
Cette réforme pourrait faire grincer des dents au sein de Pôle emploi. Lors de la dernière réforme sous le mandat de Nicolas Sarkozy, la fusion de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et des Assedic avait provoqué de vifs remous. Elle a également insisté sur la réforme du RSA sans apporter de vraies précisions.
Le gouvernement souhaite conditionner le versement de ce revenu à la réalisation d'heures de travail. Une mesure largement contestée chez les économistes. « Aucune donnée montre que c'est une bonne idée. Ces conditionnalités ne fonctionnent pas. Les études montrent plutôt que lorsque les gens sont suffisamment pauvres pour être éligibles à un dispositif, il faut faciliter l'accès à ce programme et les soutenir pour en sortir », a réagi récemment l'économiste franco-américaine et professeur au MIT, Esther Duflo, dans les colonnes de La Tribune.
Partage de la valeur et nouvel agenda social
Outre cette loi sur« Plein emploi », l'exécutif veut également accélérer les discussions sur le partage de la valeur au sein des entreprises. Après la signature de l'accord national interprofessionnel (ANI) en février dernier par les partenaires sociaux, l'exécutif souhaite transposer ce texte dans la loi. « Sur le partage de la valeur, nous voulons un texte spécifique sur cette cette question délicate », a précisé Elisabeth Borne. Cela signifie que cette transposition ne devrait pas figurer dans la loi « Plein emploi ».
Pour rappel, cet accord prévoit que les entreprises entre 11 et 50 salariés salariés aient l'obligation de présenter un dispositif de partage de la valeur. « Les entreprises de plus de 50 salariés, qui font des résultats exceptionnels, auront l'obligation de négocier la mise en place d'un dispositif de partage de la valeur », a indiqué Elisabeth Borne. Sur la question des « résultats exceptionnels », la première ministre n'a pas apporté de précision. Ce flou risque de faire patiner les négociations entre les partenaires sociaux.
Borne souhaite des négociations sur les grilles salariales
Sur la question brûlante des salaires, Elisabeth Borne a mis la pression sur les entreprises. «Les employeurs doivent prendre leur part, notamment en offrant de vraies progressions de carrière [...] Je souhaite que des négociations sur la revalorisation des grilles salariales s'engagent au plus vite dans les branches », a-t-elle insisté.
Depuis l'envolée de l'inflation, les salaires ont certes augmenté mais moins vite que l'inflation. A l'exception du SMIC indexé sur l'inflation, les salaires négociés sont en deça des niveaux d'inflation selon une note de la Banque de France dévoilée ce mercredi 26 avril. « Dans les entreprises, les hausses négociées pour 2023 sont en moyenne de 4,4% (contre 2,8% en 2022 et 1,4% en 2021) », précisent les économistes. Le versement des primes ont pu compenser une partie de la hausse des prix.
Mais face à la persistance de l'inflation, l'Insee et l'OFCE prévoient un recul du pouvoir d'achat des Français. Pour rappel, la plupart des salaires en France ne sont plus indexés sur l'inflation depuis le début des années 80. Résultat, le salaire réel en tenant compte de l'inflation est en repli dans la plupart des secteurs du privé et des catégories professionnelles selon le service statistique du ministère du Travail. En outre, le versement des primes peut se substituer à des hausses de salaires plus pérennes.
Un projet de loi industrie verte présenté à la mi-mai
Quelques semaines après l'annonce des pistes de travail à Bercy, Elisabeth Borne a précisé la feuille de route du projet de loi industrie verte. Porté par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire et le ministre de l'Industrie Roland Lescure, le texte devrait être présenté en conseil des ministres à la mi-mai et débattu au parlement durant l'été. Ce projet composé d'une quinzaine d'articles vise notamment à simplifier l'implantation de sites industriels dans l'Hexagone et mettre en place des outils de financement pour accélérer le verdissement de l'appareil productif tricolore.
Le Conseil national de la transition écologique doit rendre un avis le 4 mai prochain sur une première ébauche du texte. Il y a quelques semaines, élus et industriels avaient fait une série de propositions à l'exécutif. Reste à savoir ce qui restera dans ce texte de loi très attendu par les chefs d'entreprise pour investir dans des projets de transition nécessaires face à l'urgence du réchauffement climatique.
Risque d'embouteillage législatif et 49-3
Toutes ces annonces risquent de provoquer un embouteillage législatif au Parlement déjà saturé par une première année de quinquennat menée au pas de charge. Le chef de l'Etat n'a pas exclu de passer par voie réglementaire. L'exécutif pourrait ainsi passer par des décrets ou ordonnances pour faire passer des mesures en l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale. Mais cette méthode risque une nouvelle fois de soulever une avalanche de contestations dans les rangs des oppositions.
Après l'usage d'un texte financier et le 49-3 pour faire passer la réforme contestée des retraites, le gouvernement s'expose à de vives critiques alors que la défiance chez les Français est loin d'être retombée. Lors de la présentation de sa feuille de route, la Première ministre s'est montrée déterminée à chercher des majorités pour chaque texte de loi. Mais elle n'a pas caché les difficultés des discussions avec les parlementaires de droite. « Il n'y a pas forcément de positions communes entre les Républicains au Sénat et à l'Assemblée nationale. Nous allons continuer le dialogue pour bâtir des majorités par projet », a-t-elle expliqué. En cas de blocage, le gouvernement pourrait de nouveau brandir l'arme du 49-3 vivement critiquée.