Réformes des retraites : les classes moyennes en première ligne

Les personnes les plus touchées par la réforme sont les catégories intermédiaires, notamment les ouvriers qualifiés et les employés qualifiés, selon une note explosive de l'institut des politiques publiques (IPP). Ces personnes qui ont commencé à l'âge de 20 ans seront les plus pénalisées par le recul de l'âge de départ de 62 ans à 64 ans. Les différentes mobilisations sur le territoire seront un premier test pour Emmanuel Macron attaché à faire passer « la mère des réformes » coûte que coûte.
Grégoire Normand
Tous les syndicats ont lancé un appel à manifester ce jeudi 19 janvier.
Tous les syndicats ont lancé un appel à manifester ce jeudi 19 janvier. (Crédits : Reuters)

La bataille des retraites va monter d'un cran. Entre l'appel des syndicats de tous les horizons à manifester ce jeudi 19 janvier et les partis à gauche qui fourbissent leurs armes, le gouvernement se prépare à un bras de fer tendu. Lors de son discours le 10 janvier dernier, la Première ministre Elisabeth Borne a fortement insisté sur « la justice » de la réforme. « Notre projet, c'est préserver notre système par répartition et de le rendre plus juste pour les actifs d'aujourd'hui, qui seront les retraités de demain, »  a-t-elle déclaré devant les journalistes.

Elisabeth Borne

La première ministre Elisabeth Borne lors de la présentation à la presse de la réforme des retraites le mardi 10 janvier. Crédits : Reuters.

A Bercy, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a distillé les mêmes arguments lors de ses vœux à la presse la semaine dernière. « Nous avons fait le choix de présenter un texte équilibré dès le départ. Nous avons fait le choix de renoncer à la retraite à 65 ans et considérons que les mesures de justice sont significatives. »

Interrogé sur les marges de manœuvre pour négocier la réforme, l'ancien ministre UMP a fermé la porte à d'autres propositions. « La rançon de ce choix est que nous devons nous tenir aux mesures présentées », a-t-il tranché. Interrogé sur la possibilité d'augmenter les cotisations pour garantir l'équilibre du système des retraites, il s'est montré catégorique. « Je suis fermement opposé à une hausse d'impôt sur les classes moyennes. »

Lire aussiRetraites : les 7 raisons des 64 ans

Les classes moyennes en première ligne

Derrière tous ces éléments de langage et cette narration, des millions de Français s'interrogent sur les répercussions d'une telle réforme sur leur parcours, leur durée de cotisation, leur niveau de pension.

En attendant l'étude d'impact qui doit accompagner la présentation du projet de loi en conseil des ministres le lundi 23 janvier prochain, les économistes de l'institut des politiques publiques (IPP) ont dévoilé une note explosive il y a quelques jours qui risque de fragiliser le récit de la majorité gouvernementale et parlementaire. A partir de la présentation de l'exécutif, les statisticiens ont fait tourner leur modèle. Résultat, « les personnes les plus touchées par la réforme ne sont pas les plus modestes mais plutôt les catégories intermédiaires, des ouvriers qualifiés et des employés qualifiés ayant eu une carrière sans accident, ou encore des professions intermédiaires, » résume à La Tribune Patrick Aubert, économiste spécialiste des retraites à IPP et auteur de ce travail documenté.

« Ces catégories intermédiaires ont eu une carrière complète. Elles ont commencé à travailler relativement tôt, juste avant 20 ans ou juste après 20 ans. Ce sont aujourd'hui les personnes qui partent à 62 ans,» poursuit-il. En d'autres termes, les personnes faisant partie de la classe moyenne et ayant commencé à travailler jeune seraient en premier lieu concernées par le décalage de l'âge de départ de 62 ans à 64 ans et l'accélération de la durée de cotisation prévue par la réforme décriée du gouvernement.

Le projet présenté par Elisabeth Borne prévoit en effet que pour obtenir une pension« à taux plein » (sans décote), la durée de cotisation requise passera de 42 ans (168 trimestres) actuellement à 43 ans (172 trimestres) d'ici 2027, au rythme d'un trimestre par an. Cet allongement était prévu par la réforme Touraine de 2014, mais sur un calendrier moins resserré, avec un trimestre supplémentaire tous les trois ans jusqu'en 2035 au lieu de 2030.

Lire aussiRetraites : les 7 raisons des 64 ans

Une partie des classes moyennes exclues des dispositifs carrières longues

Lors de la présentation aux journalistes, le gouvernement a mis l'accent sur le « renforcement » des dispositifs carrières longues. « Les personnes qui remplissent les conditions actuelles du dispositif carrières longues (durée d'assurance cotisée, cinq trimestres avant les 20 ans) continueront de partir deux ans avant l'âge légal, donc à 62 ans quand l'âge légal sera de 64 ans, » explique le dossier de presse.

Mais « une partie de ces classes moyennes ne sera pas concernée par les dispositifs carrières longues de la réforme, » souligne Patrick Aubert. Compte tenu du nombre de critères, beaucoup de personnes pourraient encore être exclues des dispositifs.

Ce phénomène d'exclusion devrait également concerner le minimum de pension de 1.200 euros vanté par la Première ministre. « Les personnes qui seront concernés par les 1.200 euros au maximum sont ceux qui ont une carrière travaillée complète or il y en a peu. Beaucoup de gens qui sont concernés ont eu ou auront des carrières incomplètes. La revalorisation sera faite au prorata, » souligne l'économiste.

Les catégories supérieures moins affectées

Sans surprise, les catégories supérieures sont moins concernées par le décalage de l'âge de départ à la retraite. « Ayant fait des études plus longues, elles ont commencé à travailler plus tard et n'atteignent donc a priori la durée requise qu'après 64 ans, », explique le statisticien. « Les gens qui ont commencé à travailler tard sont ceux qui ont fait des études, poursuit l'économiste, mais aussi ceux qui sont à très bas salaires parce qu'ils ont eu des difficultés à s'insérer sur le marché du travail ou les immigrés par exemple, » nuance-t-il.

Surtout, la réforme de l'exécutif ne prévoit pas de décaler l'âge de l'annulation de la décote à 67 ans contrairement à la réforme « Fillon » de 2010. Ce qui devrait limiter l'impact de la réforme sur les personnes diplômées qui ont commencé à travailler tard.

A l'époque, le gouvernement du Premier ministre François Fillon avait repoussé cet âge de 65 ans à 67 ans. Ce qui signifie que les personnes ayant eu des carrières incomplètes seraient moins touchées par la réforme de 2023 que celle de 2010.  En revanche, elles seraient affectées par l'accélération du calendrier de cotisation.

L'allongement de la durée des études décale l'âge d'acquisition des premiers trimestres

L'autre résultat impressionnant de l'étude de l'IPP est qu'il montre le décalage d'acquisition des premiers trimestres entre les différentes générations. A partir de travaux de la direction statistique du ministère de la santé (Dress), les chercheurs montrent que le nombre de trimestres cotisés avant l'âge de 30 ans a chuté entre la génération de 1950 et celle de 1976 de près de 10 points passant de 43 trimestres pour la première catégorie à 32 trimestres pour la seconde catégorie.

Autant dire que les générations nées après les années 60 sont clairement pénalisées par la réforme du gouvernement. « La génération de 1950 a commencé à travailler très tôt, comparée aux générations plus récentes. L'allongement de la durée des études dans le secondaire et l'enseignement supérieur peuvent expliquer le décalage dans l'acquisition des premiers trimestres entre les générations », explique Patrick Aubert. Les différentes crises économiques des années 70 marquées par une inflation vertigineuse et le début du chômage de masse ont également transformé l'insertion professionnelle des jeunes en parcours du combattant.

Une réforme loin de corriger les inégalités chez les plus modestes

Concernant le bas de la pyramide, le gouvernement a prévu un certain nombre de dispositifs pour tenter d'éteindre la colère sociale. L'exécutif a par exemple prévu de maintenir les départs anticipés pour les personnes invalides ou les handicapés.

Chez les plus modestes, la réforme a prévu plus de filets de sécurité que la réforme de 2010 assure l'économiste de l'IPP, spécialiste de la protection sociale. Mais « elle ne corrige pas toutes les inégalités, » ajoute-t-il. En effet, une partie des travailleurs les plus modestes «  ne partent pas à 62 ans car ils ont eu une carrière hachée et attendent l'âge d'annulation de la décote (67 ans). » Cela signifie que beaucoup de salariés en bas de l'échelle vont continuer de travailler pendant de longues années avant de pouvoir prétendre à leurs droits.

Qui fait partie des classes moyennes ?

Il n'existe pas une définition de la classe moyenne en France. A chaque grande réforme sociale ou fiscale, le débat sur cette catégorie aux contours disparates ressurgit entre les économistes. Le niveau de vie médian des Français se situe à 20.820 euros dans l'Hexagone selon l'Insee. Ce qui signifie que la moitié de la population a un niveau de vie supérieur à cette somme et l'autre moitié vit avec une enveloppe inférieure.  Dans leur ouvrage « Pour une révolution fiscale, » (éditions du Seuil) les économistes Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Camille Landais retiennent une grande classe moyenne qui gagne entre 1.700 euros et 6.900 euros par mois. Ce qui correspond à environ 80% de la population. Les 5% les plus riches ont des revenus supérieurs à 6.900 euros. D'autres économistes et instituts de statistiques ont une approche plus restrictive de la classe moyenne. L'observatoire des inégalités explique par exemple que les classes moyennes se situent entre les 30% les plus pauvres et les 20% les plus riches.

Grégoire Normand
Commentaires 6
à écrit le 20/01/2023 à 6:03
Signaler
@lachose Cadre j'ai obtenu infiniment plus que ce que vous exposez mais pour cela il faut juste expliquer à votre interlocuteur où est son intérêt, bref vous lui présenter un investissement très rentable pour lui comme vous présenteriez n'importe qu...

à écrit le 19/01/2023 à 10:39
Signaler
Actuellement, il faut 42.5 années de cotisation pour avoir une retraite à taux plein sinon décote. On débute à 20 ans soit 42.5 + 20 = 62.5 les jeunes rentrent en moyenne sur le marché du travail vers 24 ans Ils auront une retraite à taux plein à ...

le 19/01/2023 à 11:07
Signaler
cette reforme ne sert qu'a une seul chose eloigne les partenaire sociaus des comptes pour que l'etat puisse pioche a sa convenance dans les caisses et surtout reduire au maximum sa part de cotisation

à écrit le 19/01/2023 à 10:17
Signaler
Vu que les retraités sont 17 millions, qu ils s abstiennent peu et votent massivement macron, il est pas difficile de comprendre que c est pas eux qui vont se faire avoir. Quand on vote pas ou inutile (aka FN, EELV ou LFI partis n arrivant jamais au ...

à écrit le 19/01/2023 à 9:16
Signaler
Allez donc chercher les recettes où elles se trouvent et arrêtez d'endormir la plèbe. On connaît la France pour son niveau farouchement lacunaire en maths, mais l'histoire, tout de même, nos Énarques peuvent faire mieux. Rappel : « L’incapacité de la...

à écrit le 19/01/2023 à 8:39
Signaler
Tous ces gouvernements mentent pour faire avancer leur cause à eux pas celui de la collectivité .. même des organismes comme l ipp qu on peut suspecter de sympathie socialiste ne sont pas d accord sur les raisons et conséquences que vendent mme Borne...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.