En ce temps d'épidémie mondiale, les conférences de presse, et autres prises de paroles, se suivent et... se ressemblent. Certes, Emmanuel Macron a fixé une date de dé-confinement. Mais c'est désormais au gouvernement de trouver les ressources pour engager au mieux ce processus périlleux. « Ce n'est pas le retour à une vie normale », a tenu à prévenir Edouard Philippe. « Nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus ». Pour le chef du gouvernement, l'équation semble impossible à concrétiser en si peu de jours : comment faire repartir la machine économique, et donc les flux de transport, tout en assurant un minimum de « distanciation sociale » ? « Tout commence le 11 mai », appréhende un conseiller du gouvernement. Car comment assurer la sécurité des Français sans disposer suffisamment de masques et de tests ?
Tout cela aurait pu être différent si l'Etat avait suivi les préconisations des experts qu'il a lui-même mandatés par le passé. Datant de mai 2019, un rapport commandé par Santé Publique France, et intitulé « avis d'experts relatif à la stratégie de constitution d'un stock de contre-mesures médicales face à une pandémie grippale », avait très clairement alerté plusieurs mois en amont de l'épidémie de Covid-19 de la nécessité de constituer des stocks de masques et de médicaments : « Le risque doit être considéré comme important, mais sa survenue ne peut être datée. En conséquence, un stock peut arriver à péremption sans qu'il y ait eu besoin de l'utiliser. Cela ne remet pas en cause la nécessité d'une préparation au risque. La constitution d'un stock ne devrait être considérée comme le paiement d'une assurance, que l'on souhaite, malgré la dépense, ne jamais avoir besoin d'utiliser. Sa constitution ne saurait ainsi être assimilée à une dépense indue ».
L'efficacité du port du masque démontrée
Au sujet des masques, le rapport annonçait la couleur : « En cas de pandémie, le besoin en masques est d'une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d'atteinte de 30 % de la population ». Parmi les recommandations, les experts estimaient ainsi que le stock devait être « positionné au plus près des utilisateurs, avec un processus de distribution simple et lisible dans la communauté », mais également qu'il devait être « renouvelé pour éviter d'atteindre la date de préemption des masques ». Enfin, ils préconisaient que « certaines associations en charge de patients particulièrement défavorisés devraient être dotées d'un stock de masques à distribuer ». Ce rapport, axé principalement sur le risque d'une pandémie grippale relativement classique, rappelait toutefois que les études avaient démontré que « l'efficacité du port du masque chirurgical serait de 68 % pour la diminution de la transmission du SRAS. Son efficacité serait de 91 % avec un APR [appareils de protection respiratoire, ndlr] ». Par APR, comprendre les masques filtrant de type FFP2 ou FFP3.
Temps perdu par les pouvoirs publics
Ce rapport a été remis il y a tout juste un an. On mesure aujourd'hui le temps perdu par des pouvoirs publics désormais obligés de réagir dans la plus totale urgence. D'autant qu'à l'international, les marchés des masques, tests, et autres médicaments se sont vite transformés en véritable far west : « Par exemple, dans le domaine des respirateurs, les prix explosent ! nous rapporte ainsi un intermédiaire travaillant avec l'Asie. Il en existe deux types : les légers et les lourds qui sont les seuls qui peuvent pour assurer les intubations. Ces derniers coûtaient début mars sur le marché international 32.000 dollars, aujourd'hui, on les négocie autour de 90.000 dollars. »
Face au virus, la logistique de protection et de soin est bien le nerf de la guerre. Si le président a annoncé la semaine dernière la livraison prochaine de « 10.000 respirateurs » grâce à la société Air Liquide, il s'est bien gardé de préciser d'autres éléments logistiques. Quelques jours plus tard, son Premier ministre nous apprenait que le port des masques allait devenir obligatoire dans les transports publics... sans nous garantir pour autant que tout sera prêt à temps. Ces derniers jours, la France produisait ainsi chaque semaine environ 8 millions de masques (soit près de trois fois moins que le Maroc...). Le gouvernement prévoit d'en augmenter la production à 17 millions par semaine. Même chose pour les tests : si la France serait désormais capable de proposer 150.000 tests par semaine, l'objectif du gouvernement est de pouvoir en faire 500.000 par semaine d'ici le 11 mai...
De tels effets d'annonce ne suffiront pas à calmer les Français. Ceux-ci commencent à perdre patience, toutes les enquêtes d'opinion montrent une défiance accrue envers le gouvernement en particulier, et les pouvoirs publics en général. L'impréparation de l'Etat à une telle crise, son « désarmement » y est pour beaucoup. Surtout, la population ne comprend guère comment le dé-confinement va pouvoir se dérouler concrètement alors qu'il manque encore une quantité phénoménale de tests et de masques.
Le challenge de la remise en route des transports publics
À la tête de l'Etat, c'est Jean Castex, maire de Prades, et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, qui se retrouve à avoir la lourde tâche de coordonner le travail du gouvernement sur les stratégies de dé-confinement. « Il a l'avantage d'être un élu de terrain », remarque un cadre d'une association d'élus. « Matignon n'arrête d'ailleurs pas de parler du tandem maire-préfet ». Mais le plus gros challenge reste la remise en route des transports publics : « Si on nous impose de mettre un mètre ou un mètre et demi entre chaque passager, avec 100 % des trains, on ne transporte que 20 % de ce qu'on transporte d'habitude, a ainsi expliqué Jean-Pierre Farandou, le président de la SNCF, le 15 avril, lors d'une audition au Sénat. Donc ça ne marche pas ! » Pour assurer cette « distanciation sociale », la région Ile-de-France a annoncé de son côté la création de nouvelle pistes cyclables. Mais au-delà de la question des salariés, comment assurer le retour du transport scolaire ? « Et dans ce domaine, l'Education Nationale reste complètement dans sa bulle », nous assure un spécialiste des réseaux de transport. Bref, à défaut d'avoir su anticiper, l'Etat n'a pas fini de devoir se réinventer.