Alexandria Ocasio-Cortez : Yes, she can !

PORTRAIT. Proche de Bernie Sanders, la benjamine du Congrès, élue à 29 ans, veut taxer les riches. Elle incarne le renouveau du « socialisme démocratique » aux États-Unis.
François Manens
Avec 78% des suffrages exprimés, Alexandria Ocasio-Cortez est devenue à 29 ans députée à la Chambre des représentants.
Avec 78% des suffrages exprimés, Alexandria Ocasio-Cortez est devenue à 29 ans députée à la Chambre des représentants. (Crédits : Reuters)

« Tu as été élue au Congrès, et maintenant ? » s'interroge Alexandria Ocasio-Cortez, en introduction d'une longue story Instagram postée en novembre. La benjamine (29 ans) du Congrès américain filme au smartphone la semaine d'orientation pour les nouveaux membres de la chambre. Quarante-quatre nouvelles têtes, toutes démocrates, découvrent leurs futurs bureaux. Alexandria Ocasio-Cortez apparaît comme la figure de proue de ce groupe de nouveaux élus, en tant que plus jeune femme qui ait jamais siégé au Congrès.

D'autres pionnières ont pris le même navire. Ilhan Omar et Rashida Tlaib sont les premières femmes musulmanes, l'une d'origine soudanaise, l'autre palestinienne, à devenir députées. Autre première, deux femmes amérindiennes ont remporté le scrutin, au Kansas et au Nouveau Mexique. Avec ce renouvellement des effectifs, les élections de mi-mandat ont fait chuter l'âge moyen des membres du Congrès de 61 à 51 ans.

Si « AOC » est si populaire, ce n'est pas tant grâce à sa victoire aux élections qu'à sa prise de pouvoir aux primaires démocrates, en juin. La débutante en politique a réussi à déloger Joseph Crowley, député démocrate du 14e district de New York depuis 1999, alors en course pour son 11e mandat. Dans ce district « bleu foncé », à cheval entre le Bronx et le Queens, aucun démocrate ne s'était opposé au politicien en quatorze ans. Figure du parti, l'homme de 56 ans était même pressenti pour devenir président de la Chambre des représentants. Le baron, sûr de sa victoire, a esquivé deux débats avec sa cadette. Erreur. Quelques semaines plus tard, elle l'a emporté avec 56,7% des voix. La photo de sa surprise à l'annonce des résultats a fait le tour des médias.

Démocrate un peu, socialiste beaucoup

La diplômée en économie a défendu un programme de « démocrate socialiste ». Dès son clip de campagne, la native du Bronx a commencé à marteler ses revendications : assurance maladie universelle, université gratuite, lutte contre la crise climatique, combat contre la spéculation immobilière. « Nous avons le peuple, ils ont l'argent », clame-t-elle. Sa prédiction s'est révélée vraie.

Elle n'a levé « que » 194.000 dollars, 17 fois moins que son adversaire, car elle a refusé d'accepter les fonds des grandes industries. Mais son discours nouveau a convaincu des électeurs jeunes et issus des minorités, habituellement abstentionnistes. Dans les médias new-yorkais, elle gagne le surnom de « la nouvelle Obama », elle qui a fait du démarchage téléphonique pendant la campagne du premier président noir des États-Unis, en 2008.

Au micro de Now This, Ocasio-Cortez vante sa différence :

« Travailler 18 heures par jour m'a montré de façon viscérale ce que ça fait d'être un Américain, d'une façon que la majorité des hauts fonctionnaires ne peuvent pas comprendre. »

Avant le torrent médiatique autour de la primaire newyorkaise, la jeune femme servait dans un restaurant de tacos proche de chez elle, dans le Bronx. Sa mère, portoricaine, doit jongler entre des emplois de femme de ménage et de conductrice de bus. Son père, originaire du coin, était architecte et gagnait suffisamment pour envoyer Alexandria dans un lycée réputé, puis à l'université. Mais il est mort d'un cancer en 2008, peu après le début de la crise. Sa fille a continué ses études à Boston University, mais a décidé de se spécialiser en économie et relations internationales, alors qu'elle voulait jusque-là devenir gynécologue-obstétricienne. L'été, elle travaillait pour le sénateur Ted Kennedy le jour et dans un bar le soir.

Après avoir obtenu son diplôme avec mention en 2011, elle est rentrée dans son Bronx natal, près de sa mère.

Entre Twitter et live Instagram

C'est son petit frère, Gabriel, qui l'a sortie de la taquería, en envoyant sa candidature au mouvement Brand New Congress. L'organisation voulait présenter des candidats proches des idées progressistes de Bernie Sanders aux élections. La jeune femme avait milité pour le sénateur pendant les primaires de 2016. Alors qu'elle revenait d'une manifestation contre l'oléoduc de la réserve indienne de Standing Rock, Saikat Chakrabarti, le fondateur du mouvement, l'a contactée. Il s'est engagé à la financer sans fonds industriels, et lui a offert quelques semaines de formation. Le diplômé d'Harvard est aujourd'hui directeur du cabinet de la députée.

La politicienne a fait de Twitter son terrain de communication privilégié, observé par plus de 3,3 millions d'abonnés. Certains font le parallèle avec Donald Trump, accro à la plate-forme.

« À chaque fois que les médias changent fondamentalement, les premiers à reconnaître le changement, à l'apprendre et à s'y adapter, tendent à avoir un pas d'avance », répond la New-Yorkaise dans Rolling Stones.

Dès qu'elle a un moment de libre, la jeune femme n'hésite pas à lancer un direct sur Instagram. Depuis sa cuisine, en survêtement, ou dans la rue, café à la main, elle explique et vulgarise son travail devant sa caméra à selfies. Parfois, ses collègues du Congrès Rashida Tlaib ou Ayanna Pressley, elles aussi actives sur le réseau social, se joignent à elle. En trois mois à la Chambre, les interventions travaillées et tranchantes de la députée du 14e district ont marqué les débats. Face au panel d'experts interrogés par le comité de surveillance de la Chambre des représentants, elle a livré un brillant exercice de rhétorique.

« Donc je peux être financée par les industries pharmaceutiques et écrire des lois sur l'industrie pharmaceutique ? » lance-t-elle, récoltant l'acquiescement des spécialistes. Sa démonstration sur les conflits d'intérêts des élus a cartonné sur les réseaux sociaux.

Mais la démocrate-socialiste n'en est qu'à ses débuts. Elle a déjà déposé une proposition de lutte contre la crise climatique, le Green New Deal, en référence au plan de Franklin D. Roosevelt. Dès son entrée au Congrès, la jeune représentante démocrate propose de taxer les revenus au-delà de 10 millions de dollars entre 70% et 80%. L'Amérique républicaine scrute chacun de ses faits et gestes et l'a déjà qualifiée de « communiste ».

Incarnation de l'arrivée au pouvoir d'une génération Y décomplexée, pour qui le mot « socialisme » n'est plus un tabou dans un pays où les inégalités sont de plus en plus criantes, la benjamine du Congrès en est déjà une des figures. Ambitieuse, elle ne compte pas limiter le renouveau politique à son élection. Sera-t-elle donc la « nouvelle Obama » ? Alors que Bernie Sanders, sénateur du Vermont, vient d'annoncer à 77 ans son intention de briguer l'investiture démocrate pour la présidentielle de 2020, Alexandria Ocasio-Cortez, pourrait un jour reprendre le flambeau.

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PROFIL

13 octobre 1989 : naissance dans le Bronx, d'un père new-yorkais et d'une mère portoricaine.
2011 : diplômée de Boston University en économie et relations internationales, avec mention honorifique.
26 juin 2018 : « AOC » s'impose dans la primaire démocrate face à Joseph Crowley, député depuis 1999.
6 novembre 2018 : avec 78% des suffrages exprimés, elle devient à 29 ans députée à la Chambre des représentants.

François Manens
Commentaires 2
à écrit le 13/03/2019 à 8:21
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Leur faire payer les impôts qu'ils doivent serait déjà énorme, en allant jusqu'à 75% tout en supprimant les taxes sur les sociétés mais pointer cette aberration du doigt c'est pointer la compromission généralisée des politiciens du monde avec les pui...

le 13/03/2019 à 10:03
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Presentez vous a la prochaine presidentielle US.

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