Climat et développement : l'Afrique veut définir sa propre politique énergétique

Lors de la 2e édition du Forum Europe-Afrique, organisé par la Tribune, les intervenants ont échangé sur « quelle coopération énergétique pourrait s'établir entre l'Union européenne et l'Union africaine ? »
Ferme solaire près de Ouarzazate en Tunisie.
Ferme solaire près de Ouarzazate en Tunisie. (Crédits : Reuters)

L'Europe connaît-elle les besoins réels de l'Afrique en matière d'énergie ? Pas si sûr à entendre les participants à l'une des tables rondes : « L'Afrique, en avant-garde des énergies : quelle coopération énergétique entre l'Union européenne et l'Union africaine ? » qui s'est tenue lors de la 2e édition du Forum Europe-Afrique, organisé par la Tribune les 15 et 16 mai à Marseille.

Lors de la COP de Glasgow, au nom de la « justice climatique », les pays riches avaient promis de verser chaque année 100 milliards de dollars aux pays africains pour leur permettre d'assurer leur transition énergétique. « Pour le moment, 50 millions de dollars ont été versés », constate Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin, aujourd'hui, dirigeant de la banque d'affaires panafricaine SouthBridge, qu'il a fondée.

« Il n'y a pas à choisir entre développement et énergie »

Car l'Afrique, si elle est prête à agir pour le climat, doit également assurer son développement pour augmenter le niveau de vie de sa population et de bien-être notamment en termes d'éducation et de santé. « Il n'y a pas à choisir entre développement et énergie », tranche Charles M'Ba, ancien ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances, du Budget et de la Privatisation du Gabon

Aujourd'hui, 650 millions de personnes n'ont toujours pas accès à l'électricité sur le continent qui concentre 18% de la population mondiale mais génère à peine 3% des émissions de CO2. « Comme il n'y a pas de développement sans production d'énergie, nous avons une autre perception sur ce sujet par rapport à l'Europe, notamment par rapport aux énergies fossiles », argumente Ibrahim Yacouba, ministre de l'Energie et des énergies renouvelables du Niger.

« Au niveau mondial, les énergies fossiles représentent 85% de l'offre totale d'énergie », rappelle Jean-Pierre Favennec, spécialiste de l'énergie et professeur à l'université Paris-Dauphine. Et c'est bien en Europe, notamment en Allemagne, que des extensions d'exploitation de mines de charbon ont eu lieu cette année.

« En Europe, il y a des gens qui militent pour que les pays africains se passent des énergies fossiles, en fait ils agissent contre nous, qui avons les taux d'émissions les plus faibles du monde », grince Lionel Zinsou, allusion à peine voilée au projet pétrolier qu'est en train de développer TotalEnergies en Ouganda qui fait l'objet de vives critiques en France. De fait, les émissions annuelles de CO2 sont de 0,6 tonne par habitant au Bénin et de 0,1 tonne par habitant en Tanzanie ou en Ouganda, alors qu'elle est de 6,1 tonnes en Union européenne. La comparaison est instructive.

Le Mozambique, une future puissance gazière

« Les "belles âmes" nous disent qu'il ne faut pas développer l'exploitation des hydrocarbures tout en nous industrialisant mais sans énergie », ironise le patron de SouthBridge. Au contraire, selon lui, il faut développer les activités extractives, et il trouve positif que le Mozambique va devenir une puissance gazière qui fournira notamment du gaz à... l'Europe.

En effet, le sous-sol africain est riche en matières premières, que ce soit des énergies fossiles - pétrole, gaz, charbon - mais aussi des minerais - cuivre, lithium, cobalt... - dont la demande mondiale va exploser dans les prochaines années avec la production de véhicules électriques et leurs batteries, d'éoliennes et de panneaux solaires.

Mais pour exploiter ces ressources naturelles et générer des revenus, il faut financer l'investissement. « On peut recourir à la fiscalité mais on est vite limité car cela a un impact sur l'économie. Il ne faut pas négliger la philanthropie qui fournit des dons, à l'exemple de la fondation Melinda et Bill Gates, et permet un effet de levier mais cela ne suffit pas », souligne Lionel Zinsou.

Par ailleurs, il n'est pas question de flécher une partie de l'aide actuelle au développement et à la lutte contre la pauvreté fournie par les institutions internationales et l'Union européenne vers la transition énergétique.

Le problème est que le continent est encore trop perçu comme à risque par les marchés financiers internationaux. « Il faut absolument "dérisquer" l'Afrique car le coût du financement est aujourd'hui exagéré au regard de risques réels et des législations actuelles », considère Ibrahim Yacouba.

D'autant que l'Afrique dispose de plusieurs atouts dans la nouvelle configuration économique créée par la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, les immenses puits de carbone que sont les forêts peuvent aujourd'hui être valorisés grâce aux certificats de carbone dont la vente sur le marché international peut générer des revenus.

Un taux d'épargne élevé

Par ailleurs, souligne Lionel Zinsou, « l'Afrique finance l'Afrique, notamment avec ses propres institutions », rappelant que le continent dispose d'un taux élevé d'épargne. Sur les 20 à 25% d'investissement par rapport au PIB, 5% seulement proviennent de flux directs étrangers.

« Contrairement à ce que l'on entend, la Chine n'est pas le plus important créditeur de l'Afrique, elle ne représente qu'un tiers de la dette. C'est l'Europe le plus important acteur en termes de crédit, d'investissements... », rappelle-t-il. Un autre élément financier à prendre en compte est l'apport de la diaspora : 100 milliards d'euros sont envoyés vers le continent par an, participant au financement de l'économie locale.

D'autant que ces sommes investies peuvent générer de l'emploi, en particulier dans les énergies renouvelables. « Une partie de l'équipement dans le solaire peut être produite localement, ce qui peut être une émulation en termes de compétences et d'emplois d'autant qu'aujourd'hui le continent abrite un réseau important d'entrepreneurs qui innovent, notamment de femmes », pointe Myriam Fournier Kacimi, fondatrice et directrice générale de SunGy, dont l'activité dans l'énergie solaire est présente des deux côtés de la Méditerranée.

L'entrepreneuse défend une approche pragmatique. « Les solutions doivent être adaptées. Par exemple, les panneaux solaires aident à pallier les problèmes de dysfonctionnement des réseaux électriques », explique-t-elle. « Les situations sont très différentes selon les pays et les régions, certaines populations étant éloignées de certains réseaux. La décentralisation est nécessaire, le solaire et le mix énergétique peuvent y contribuer », argumente Myriam Fournier Kacimi.

Elle encourage les économies d'énergie, la réduction de l'énergie subventionnée dans les pays producteurs de pétrole, le recours accru au photovoltaïque et au pilotage digital qui rendent l'utilisation de l'énergie plus efficiente, en proposant plusieurs solutions. « Nous avons des ingénieurs bien formés qui aujourd'hui travaillent ici à trouver des solutions complexes pour l'Europe », se réjouit-elle. Finalement, l'Europe pourrait bien avoir de plus en plus besoin de l'Afrique... non seulement de son gaz et son pétrole mais aussi de ses solutions de mix énergétique.

Commentaires 7
à écrit le 18/05/2023 à 23:56
Signaler
Potentiel d'énergie solaire à concentration de l'Algérie = 12 000 réacteurs nucléaires EPR. Potentiel d'énergie solaire à concentration de l'Afrique du Nord = 28 000 réacteurs nucléaires EPR. <p> Selon l'étude "Algeria Potentials for CSP/PV and Ap...

à écrit le 17/05/2023 à 16:26
Signaler
Quel pays est suffisamment et durablement stable en Afrique pour y investir à long terme. Je n'ai en tête que des mauvais exemples.

à écrit le 17/05/2023 à 9:00
Signaler
ils veulent etre independants, avec 100 milliards par an que les occidentaux vont leur offrir pour se vendre a la chine et a la russie? he ben qu' ils demandent plutot des cheques a leurs nouveaux amis, personne n'est dupe sur ce qu'il se passe en ar...

à écrit le 17/05/2023 à 7:20
Signaler
Bonjour, ils me semblent important que l'afrique prennent sont destin en main... s'est insultant et insupportables d'entendre certain pays africain quémander de l'argent pour soutenir sont développement. L'afique a héritiers de certaine infrastruc...

à écrit le 17/05/2023 à 5:57
Signaler
Il serait temps de ne plus croire aux promesses jamais tenues. La France en particulier paie son clientelisme. C'est fini. Place a la Chine, la Russie. L'occident va rendre l'ame et c'est bien normal apres tous ces siecles d'omnipotence violente.

à écrit le 17/05/2023 à 0:49
Signaler
La photo illustrant une ferme solaire à Ouarzazate, cette ville est situé au Maroc et non en Tunisie.

à écrit le 16/05/2023 à 21:48
Signaler
Il est temps que l'Afrique ose et prenf des initiatives

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.