Cobalt : Kinshasa joue avec les nerfs des marchés

Les investisseurs parient sur le cobalt, crucial à la confection des batteries des voitures électriques, provoquant une flambée des prix de ce métal rare dont la chaîne de production reste fragile. La réforme du Code minier proposée par Kinshasa, ne va pas arranger la situation.
Les investisseurs parient sur le cobalt, crucial à la confection des batteries des voitures électriques et des téléphones portables.
Les investisseurs parient sur le cobalt, crucial à la confection des batteries des voitures électriques et des téléphones portables. (Crédits : DR)

Promulguera, promulguera pas ? Le président congolais Joseph Kabila joue avec les nerfs des marchés et des lobbies en faisant durer le suspense autour de la réforme du Code minier, qui envisage de multiplier par cinq une taxe sur le cobalt.

Une redevance sur les "métaux stratégiques"

Officiellement, le projet de loi portant réforme du Code minier de 2002 se trouve sur la table du chef de l'État depuis fin janvier, après son adoption définitive par le Parlement.

Le texte instaure une redevance sur les "métaux stratégiques", dont la liste sera définie par le Premier ministre, avec un taux à 10%. L'industrie minière ne doute pas que le cobalt, métal rare très demandé dont la RDC a fourni en 2017 les deux tiers des exportations mondiales, en fera partie. Le cobalt et le cuivre sont taxés à 2% dans l'ancien code.

Le nouveau code prévoit aussi une taxe de 50% sur les super-profits (soit des revenus engrangés grâce à un niveau des prix de 25% supérieurs aux études de faisabilité bancaire). Selon la Constitution congolaise de 2006, le président dispose de quinze jours pour promulguer une loi.

Depuis fin janvier, suspense et ... aucune nouvelle

"Un effort sans précédent de lobbying est attendu de la part du secteur minier pour essayer de faire changer d'avis au président Kabila afin qu'il ne promulgue pas le code révisé", écrit le courtier londonien Darton Commodities dans son rapport annuel sur le marché du cobalt.

"On est dans une situation compliquée où l'on fait passer des messages sans inquiéter les actionnaires", affirmait-on début février à l'AFP dans les milieux miniers, reconnaissant qu'une campagne de lobbying était en cours.

"Est-ce que le président n'est pas en train de se demander s'il faut une seconde lecture?", s'interroge-t-on de même source.

Au total, l'équivalent d'environ 10 milliards de dollars de cuivre et de cobalt est exporté de RDC chaque année, selon Darton Commodities. En RDC, la production de cobalt est principalement entre les mains du géant canadien installé en Suisse Glencore (Mutanda mining), et des Chinois China Molybdenum (TFM) et CDM.

L'essor des véhicules électriques fait flamber les prix

Les investisseurs parient sur le cobalt, crucial à la confection des batteries des voitures électriques, provoquant une flambée des prix de ce métal rare dont la chaîne de production reste fragile. Sur le marché du London Metal Exchange (LME), le prix de la tonne de cobalt a grimpé à 82.000 dollars mi-février, à son plus haut niveau depuis que le LME a commencé à suivre ce métal en 2010.

Pourtant, même si les besoins en cobalt ont été dopés ces dernières années par les smartphones et tablettes, la production reste supérieure à la demande alors que les ventes de véhicules électriques ne représentent encore qu'une part mineure dans l'industrie automobile.

"Les batteries électriques utilisées pour des produits électroniques grand public ont encore représenté 72% de la demande de cobalt pour des batteries", détaillent les analystes de Darton Commodities, spécialistes des échanges de cobalt, dans leur rapport annuel.

"Le marché devrait rester en surplus d'offre jusqu'à ce que les prévisions de croissance exponentielle des ventes de véhicules électriques se matérialisent, autour de 2020", préviennent-ils.

La solution d'Apple : discuter de l'achat de cobalt en direct

Apple discute directement avec des groupes miniers en vue de conclure des contrats d'approvisionnement en cobalt à long terme, rapporte Bloomberg mercredi. Ces contrats seraient de cinq ans au moins pour ce métal destiné aux batteries de ses iPhone, ajoute l'agence, citant des sources anonymes.

Les discussions montrent que le géant de la technologie veut s'assurer que l'approvisionnement en cobalt de ses batteries sera assuré.

La croissance rapide de la demande de batteries pour les véhicules électriques menace de créer une pénurie de matières premières. Environ un quart de la production mondiale de cobalt est utilisée dans les smartphones.

Apple pourrait tout aussi bien ne pas aller jusqu'au bout de sa démarche, dit encore Bloomberg, citant une autre source.

cobalt

Le plus grand vendeur mondial de cobalt, c'est la Chine

En République démocratique du Congo, le pays qui a assuré les deux tiers de la production mondiale en 2017, un "creuseur" (mineur artisanal) vend son minerai brut tout au plus 7.000 dollars la tonne aux négociants chinois. Ces négociants gèrent la plupart des comptoirs d'achat visibles autour de la cité minière de Kolwezi (sud-est), dont l'un s'appelle, par dérision ou provocation, le "dépôt Apple".

Du petit "dépôt Apple" jusqu'aux smartphones et aux véhicules électriques supposés libérer l'humanité des hydrocarbures, le minerai congolais le plus convoité au monde remonte une chaîne de traitement et de raffinage qui profite in fine à la Chine plus qu'à la RDC.

La voiture electrique va faire monter le prix du cobalt

Dans les petits dépôts-vente de Kolwezi, le prix du minerai, fraîchement arraché à la terre sous forme d'"hétérogénite" cuivre-cobalt, dépend de sa teneur en métal. La teneur est déterminée par un appareil "Metorex" - évidemment entre les mains de l'acheteur.

"Des dépôts ont augmenté leur prix de 1000 à 1.050 dollars la tonne de cobalt, à 5% depuis le début de l'année", affirme David, un "creuseur" qui avoue ignorer l'envolée des cours de la Bourse de Londres.

Figures emblématiques et problématiques de la RDC (travail des enfants, éboulements meurtriers, pillages...), les "creuseurs" sont minoritaires mais pas marginaux dans la production congolaise de la matière première cobalt.

La première transformation mécanisée est entre les mains de sociétés et d'usines principalement étrangères : le géant canadien basé en Suisse Glencore et des noms moins connus, China Molybdenum-TFM, CDM (Chine), Chemical of Africa (Chemaf, gérée par un actionnaire indien).

Deuxième producteur en RDC derrière Glencore, China Molybdenum a racheté en 2016 pour 2,65 milliards de dollars à l'Américain Freeport ses 56% dans la concession de Tenke et Fungurume (TFM), un gisement de cuivre et cobalt qui s'étend sur 1.600 km2 de collines verdoyantes entre Kolwezi et Lubumbashi.

"La RDC n'exporte pas de produits finis prêts à être utilisés par Apple, Samsung ou tous les grands utilisateurs de batteries au monde. Elle exporte un produit minier qui est au stade de traitement", insiste l'économiste et activiste congolais Florent Musha.

Des ports de Dar es Salaam ou du Cap en Afrique du Sud, la production congolaise part à 80% en Chine où une dizaine de raffineurs assurent la transformation finale en métal cobalt : le premier raffineur mondial, Huayou, maison-mère de CDM, Jinchuan, GEM. Ces raffineries dépendent à 98% des importations de cobalt intermédiaire.

"Aujourd'hui, le grand vendeur mondial de cobalt, c'est la Chine", constate Florent Musha. "Qu'il y ait une embellie ou pas, le produit minier actuel ne profite pas pleinement à l'économie congolaise".

(avec agences)

Commentaires 4
à écrit le 22/02/2018 à 10:30
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Quand va-t-on enfin interdire aux spéculateurs l'accès des marchés de matières premières?!! Ces marchés doivent être strictement réservés aux producteurs grossistes AVEC les capacités de réception/déstockages des volumes échangés et aux transformate...

à écrit le 21/02/2018 à 23:24
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Comment on va faire avec 10% de la valeur payée par M. Boloré

à écrit le 21/02/2018 à 22:02
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Un gros producteur potentiel de Cobalt est le Zimbabwe. Mon père y avait developpé, du temps de la Rhodésie, un processus très simple de raffinage pour obtenir un métal très pur. Mon père est inhumé à Bulawayo. Le Cobalt apparait souvent associé au...

à écrit le 21/02/2018 à 16:33
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Les pauvres traders du marché de Londres forcés de gagner leur pain à la sueur du front des creuseurs! Et les actionnaires, y a t'on seulement pensé?

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