Décès de Shimon Peres, "éternel perdant" attaché "au service de son peuple"

Souvent battu lors des élections nationales avec le parti travailliste mais doté de qualités d'orateur et de diplomate exceptionnelles, Shimon Peres s'est éteint mercredi à l'âge de 93 ans.
Militant inlassable de la paix au Proche-Orient, ce prototype de la "colombe" sur l'échiquier politique israélien en a exploré au fil du temps les mille et une pistes possibles.

Prix Nobel de la paix, Premier ministre puis président d'Israël, Shimon Peres, dont la mort a été annoncée mercredi à l'âge de 93 ans, a mené une carrière d'une exceptionnelle longévité. Près de sept décennies au cours desquelles ses nombreux échecs électoraux lui ont valu dans son pays la réputation tenace d'éternel perdant.

Engagé dans la vie politique avant la naissance de l'Etat juif, ce vétéran a participé à 12 gouvernements et a été chef du gouvernement à deux reprises mais il n'a jamais conduit le Parti travailliste à une victoire électorale nationale malgré cinq tentatives en 1977, 1981, 1984, 1988 et 1996. "Je suis un perdant. Je perds des élections. Mais je suis un vainqueur - je sers mon peuple", estimait-il un jour dans un discours.

Un "infatigable intrigant", selon Rabin

Orateur et diplomate admiré, l'artisan des accords d'Oslo sur l'autonomie dans les territoires palestiniens signés le 13 septembre 1993 sur la pelouse de la Maison blanche, a souvent dû se contenter du rôle d'homme de l'ombre. En 1994, il partageait le prix Nobel de la paix avec l'ex-Premier ministre Yitzhak Rabin, son rival et partenaire travailliste, et le Palestinien Yasser Arafat.

Rabin l'a un jour dépeint comme un "infatigable intrigant", par allusion à son art consommé de la manœuvre politique. Les satiristes israéliens, eux, ont longtemps vu en lui un dirigeant peu consistant, un perdant au long cours sans électorat très net.

En 2000, à 76 ans, il perdait encore une élection alors qu'il était candidat à la présidence israélienne et s'inclinait devant Moshe Katzav, candidat du Likoud quasiment inconnu hors du pays. Il ne deviendra chef de l'Etat qu'en 2007, le titulaire du poste ayant dû se retirer en raison d'une affaire de mœurs.

Militant inlassable de la paix au Proche-Orient, ce prototype de la "colombe" sur l'échiquier politique israélien en a exploré au fil du temps les mille et une pistes possibles. Il a suivi ou mené en 1993 les négociations secrètes d'Oslo, qui ont abouti à l'accord historique signé à Washington. Mais l'impossibilité de sceller une paix définitive avec les Palestiniens en 2000 et l'intifada et les attentats kamikazes qui ont suivi, ont achevé d'affaiblir la gauche israélienne.

Le parrainage de Ben Gourion

Shimon Peres naît en août 1923 à Volojine, dans une province alors polonaise qui est aujourd'hui intégrée à la Biélorussie. Sa famille émigre 11 ans plus tard dans la Palestine sous mandat britannique. Formé à l'école de David Ben Gourion, père fondateur d'Israël, Peresrejoint le Haganah, embryon de l'armée israélienne. Il se verra confier les services navals de la défense après la création de l'Etat juif en 1948.

Il dirige à New York une mission militaire en 1950, puis il étudie aux Etats-Unis. En 1952, il devient directeur général du ministère de la Défense et joue un rôle de premier plan dans la mise en place des industries israéliennes de l'aviation et de l'électronique sur lesquelles s'appuie l'armée.

Peres contribue notamment à la conclusion d'un accord avec la France pour la construction du réacteur nucléaire de Dimona, qui passe pour avoir permis à Israël de fabriquer des armes atomiques, bien que le pays ne l'ait jamais confirmé.

Peres le conciliateur

En 1959, Peres est élu député du parti Mapaï au pouvoir - précurseur du Parti travailliste - et devient vice-ministre de la Défense pour six ans. Quand Ben Gourion quitte le Mapaï en 1965,Peres, comme Moshe Dayan, le rejoint pour former le parti Rafi, ce qui l'entraîne dans une traversée du désert jusqu'à ce que le Rafi se rallie au Mapaï après la guerre de 1967.

En 1969, il est nommé, au sein du gouvernement de Golda Meir, ministre du Développement économique des territoires capturés deux ans plus tôt durant la guerre des Six-Jours. Il dirigera quatre ans le ministère des Transports et des Communications.

En 1984, chef du Parti travailliste, il devient Premier ministre après être convenu avec son adversaire du Likoud, Yitzhak Shamir, d'un système de rotation à la tête du gouvernement. Shamir est son ministre des Affaires étrangères, puis les deux hommes échangent leurs fonctions en octobre 1986.

Malgré des désaccords au sein de la coalition, Peres se pose en conciliateur. Il fait rapatrier en juin 1985 le gros des troupes qui ont envahi le Liban, réduit l'inflation et normalise les relations avec l'Egypte. En 1986, il est au sommet de sa popularité avec un taux de 74% d'Israéliens satisfaits.

Lorsque ces derniers sont appelés aux urnes en 1987, Peres échoue pourtant une nouvelle fois. Les travaillistes doivent accepter un rôle mineur dans un gouvernement de coalition dirigé par Shamir, dont il devient ministre des Finances.

Le couple Rabin-Peres

Peres n'en poursuit pas moins des efforts de paix discrets qui lui valent d'être accusé de mener une politique étrangère parallèle. En mars 1990, il est limogé du gouvernement Shamir, qui se sépare des travaillistes.

Il doit ensuite céder la tête de son parti à son éternel concurrent Yitzhak Rabin, vainqueur de la guerre des Six-Jours qui met les troupes travaillistes en ordre de bataille pour renverser Shamir en juin 1992. Mais Rabin et Peres cessent alors de s'affronter pour se répartir les rôles : à l'un la sécurité, à l'autre la paix.

Sur les conseils de son ministre des Affaires étrangères, avec qui il forme désormais un véritable couple politique, Rabin en vient à explorer les possibilités de contacts discrets avec l'OLP, ce qui aboutit en septembre 1993 à l'accord de Washington et à la poignée de main historique avec Yasser Arafat.

Le 4 novembre 1995, quelques minutes avant de tomber sous les balles de son jeune assassin juif, Rabin serrait dans ses bras, à la tribune du "rassemblement pour la paix", son vieux rival et ministre Shimon Peres. Ce dernier affirmera que l'on peut "écourter une vie, pas tuer une idée".

Grande réputation diplomatique

Peres redevient chef du gouvernement, mais en mai 1996 il est de nouveau battu aux élections, et c'est le conservateur Benjamin Netanyahu qui est nommé Premier ministre. Cette défaite lui coûte la direction du Parti travailliste, qu'il abandonne à Ehud Barak.

Sa réputation internationale lui permet de poursuivre une activité diplomatique et de défendre les accords d'Oslo avant de revenir dans le gouvernement d'Ariel Sharon, dont il soutient la politique de sécurité face aux extrémistes palestiniens.

En 2005, Peres reperd la direction travailliste lors d'un scrutin interne au profit du dirigeant syndical Amir Peretz. Il quitte ensuite sa formation pour créer le parti centriste Kadima avec Ehud Olmert et Sharon. Mais celui-ci tombe dans le coma début janvier 2006 à la suite d'une hémorragie cérébrale.

Après avoir été le numéro deux de Kadima puis vice-Premier ministre, Peres accède en juillet 2007 à la présidence d'Israël en remplacement de Moshe Katzav, contraint au départ par une affaire de harcèlement sexuel. Il occupe ce poste largement protocolaire jusqu'en 2014 avant d'être remplacé par Reuven Rivlin.

Le 13 septembre 2016, âgé de 93 ans, il est victime d'un accident vasculaire cérébral et hospitalisé au centre médical Sheba près de Tel Aviv, où il est placé dans un coma artificiel et mourra deux semaines plus tard.

(Avec Reuters)

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