La Fed s'apprête à augmenter ses taux pour enrayer l'inflation croissante

Comme elle l'avait laissé entendre lors de sa précédente réunion, la Fed devrait annoncer un relèvement de ses taux jeudi, le premier depuis 2018. Mais cela devrait être d'un modeste 0,25 point, a annoncé son président Jerome Powell, en raison de l'invasion par l'armée russe de l'Ukraine, qui outre les destructions de la guerre, va alimenter la hausse des prix, notamment de l'énergie. Mais le mouvement de hausse des taux devrait se poursuivre en 2022, la Fed se focalisant désormais sur la stabilité des prix.
Robert Jules
Jerome Powell, président de la Fed, lors de son audition au Sénat le 3 mars dernier.
Jerome Powell, président de la Fed, lors de son audition au Sénat le 3 mars dernier. (Crédits : Reuters)

A partir de ce mardi et jusqu'à demain mercredi, la Réserve fédérale américaine réunit son Comité de politique monétaire (FOMC) présidé par Jerome Powell pour débattre de la politique monétaire des Etats-Unis. Il devrait décider d'une hausse de ses taux directeurs, la première depuis 2018. "La semaine dernière, Powell a pris la rare décision de soutenir publiquement une hausse de 25 points de base à la réunion de mars", remarque Éric Lafrenière, gérant actions américaines chez Richelieu Gestion.

Si un relèvement de 0,50 point semblait faire consensus le mois dernier, l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe décidée par Vladimir Poutine va obliger la Fed à intégrer cette donnée à son débat. "Les retombées économiques de la guerre menacent de porter un coup double : une croissance plus faible et une inflation encore plus forte. Ceci va compliquer davantage le travail de la Fed", résume Éric Lafrenière.

Un taux d'inflation de 7,8%

En effet, la Réserve Fédérale doit freiner une inflation qui a progressé chaque mois depuis le deuxième semestre 2021 pour atteindre en février 7,8% sur un an - son niveau le plus élevé depuis 40 ans -, bien loin des 2% de son objectif. C'est d'autant plus délicat que les sanctions imposées par les pays occidentaux contre l'économie russe vont alimenter encore davantage la hausse des prix, en particulier des matières premières dont la Russie est un important exportateur. Le renchérissement des prix de l'énergie va notamment augmenter le coût du transport.

"La Fed n'a, semble-t-il, d'yeux que pour l'inflation. A ce stade, le choc au niveau des prix de l'énergie et de l'alimentation n'apparaît en effet pas assez important pour porter un coup significatif aux perspectives de croissance. Et n'oublions pas que la Réserve fédérale avait pour prévision une croissance de 4% en 2022. L'économie devrait continuer de croître au-dessus de sa tendance et le marché du travail à se resserrer", souligne Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet Asset Management.

Déjà, lors de la précédente réunion, le comité de la Fed avait suggéré que des hausses de taux étaient inéluctables en 2022, justifiées également par un marché du travail américain proche de la surchauffe, avec des hausses salariales à la clé.

"Cette décision marque la vigilance de la Réserve fédérale face aux effets de second tour tant sur les salaires que les prix des produits, alors que les entreprises ont gagné un pricing power important, comme souligné dans le dernier Beige Book. Elle est aussi en accord avec un marché de l'emploi sous forte tension, qui laisse entendre que l'objectif de plein emploi est atteint, ouvrant la voie à une politique monétaire moins accommodante. Enfin, il s'agit pour la Fed de réagir aux tensions sur les anticipations d'inflation", explique Franck Dixmier, analyste chez Allianz Global Investors.

Un risque de récession

Toutefois, si des relèvement de taux plus significatifs peuvent être attendus dans les prochains mois, revenir trop rapidement à l'objectif des 2% pourrait entraîner un ralentissement de l'économie américaine voire une récession, si le choc de l'offre persiste. "La semaine dernière, Powell a pris la rare décision de soutenir publiquement une hausse de 25 points de base à la réunion de mars. Les marchés à terme affichent désormais environ 165 points de base de resserrement cette année, soit l'équivalent d'au moins six hausses d'un quart de point", remarque Éric Lafrenière.

Pour la Fed, il s'agit d'éviter que les entreprises et les ménages intègrent la croyance que l'inflation élevée est là pour durer, modifiant leur psychologie et leurs attitudes, par exemple pour les employés sous la forme de revendications de majorations salariales pour conserver leur pouvoir d'achat. On serait dans ce cas dans une logique auto-réalisatrice d'autant plus que le marché du travail étant déjà sous tension, les entreprises offrent de meilleures conditions salariales.

"Pour la Fed, les États-Unis sont moins exposés que l'Europe aux conséquences du conflit ukrainien et le risque de hausse des salaires dans un marché de l'emploi tendu est bien plus marqué qu'en zone euro", souligne Erick Muller, directeur produits et stratégie d'investissement chez Muzinich & Co.

Hausse des contaminations en Chine

Outre le conflit ukrainien, il faut ajouter aux difficultés de l'économie mondiale le redémarrage ces jours derniers des infections de Covid-19 en Chine et d'autres pays asiatiques. Pratiquant la stratégie zéro-Covid, qui implique des stricts confinements, l'activité économique chez le géant asiatique va se trouver pratiquement à l'arrêt avec les fermetures d'entreprises, notamment dans les régions côtières. Si les exportations sont ralenties dans la région de Shenzhen où l'activité est intense, alors le retour à la normale dans les chaînes d'approvisionnement va être retardé.

Quant aux prix élevés de l'énergie résultant du boycott de l'offre russe, ils vont continuer à se diffuser dans l'ensemble de l'économie. Aux Etats-Unis, le baril de brut au-dessus de 100 dollars a envoyé le prix de l'essence autour de 5 dollars le gallon (3,7 litres). Selon les économistes, une corrélation empirique montre qu'une hausse de 10 dollars du prix du baril du pétrole augmente l'inflation globale aux États-Unis de 0,4 à 0,5 point de pourcentage.

Le spectre du choc pétrolier des années 1970 et de ses conséquences resurgit. Si les anticipations d'inflation devaient augmenter, Jerome Powell devra choisir entre accepter une inflation plus élevée ou augmenter les taux au risque de faire basculer l'économie des Etats-Unis dans une récession. Au début des années 1980, le président de la Fed à l'époque, Paul Volcker, avait administré un remède de cheval pour juguler la stagflation en portant les taux de 11,2% à 20%, plongeant l'économie des Etats-Unis dans une récession.

"Il existe un risque réel que l'accumulation de chocs de court terme puisse mener à une hausse des anticipations d'inflation. Le chiffre de février a d'ailleurs montré une généralisation supplémentaire des hausses de prix. Quant aux pressions salariales, elles ne se réduisent pas et l'indicateur des salaires d'Atlanta de février est à cet égard préoccupant. Enfin, les prévisions d'inflation des investisseurs ont considérablement augmenté la semaine dernière, même à des horizons de moyen terme", avertit Frédéric Rollin.

Une communication prudente à l'égard des marchés financiers

Une forte hausse des taux serait une mauvaise surprise pour les investisseurs qui comptent sur une inflation et des taux d'intérêt perpétuellement bas. Un tel ajustement pourrait déclencher de fortes baisses des prix des actifs et une volatilité accrue. Mais, à la différence des années 70-80, les banques centrales aujourd'hui sont très prudentes quant à leur communication à l'égard des marchés financiers.

"Cette hausse de taux ne devrait pas surprendre les marchés qui attendent 6 à 7 hausses de taux en 2022. Nous n'entrons toutefois pas dans un cycle haussier qui pourrait se dérouler sur plusieurs années. Les investisseurs ont bien compris qu'il s'agissait de hausses tactiques liées au dérapage de l'inflation, puisqu'ils anticipent depuis peu des baisses de taux en 2024, face à une probabilité croissante d'entrée en récession de l'économie américaine à moyen terme", assure Franck Dixmier.

Pour autant, nous ne vivons pas dans un monde parfait. Après tout, les responsables de la Fed et de nombreux économistes du secteur privé ont mal évalué l'inflation l'année dernière, convaincus que la résorption des goulets d'étranglement dans les chaînes d'approvisionnement serait rapide. Or non seulement ils persistent, mais en raréfiant l'offre de produits de base et de biens intermédiaires, ils transmettent aussi la hausse des prix des produits au secteur des services. Ainsi, hors logement, l'inflation des services, qui s'est établie à un rythme de 2,5 % à 3 % dans les années précédant la pandémie, s'est récemment rapprochée de 4 %.

Car, malgré des conditions financières moins favorables, notamment le retrait des aides publiques mises en place durant les confinements pour lutter contre la pandémie, la demande des ménages aux Etats-Unis reste solide. Même la hausse du prix de l'essence n'empêche pas les Américains de rouler en voiture même si c'est en râlant.

Tensions sur l'immobilier

Autre indicateur significatif, le marché de l'immobilier connaît lui aussi des tensions avec un taux d'inoccupation tombé à son plus bas depuis des décennies. Conséquence, les loyers ont augmenté à un rythme annualisé de 5,5% au cours des six derniers mois, la plus forte augmentation depuis 1986, selon les chiffres du département du Travail publiés la semaine dernière.

Face à cette inflation générale, Jerome Powell a fait son mea culpa lors de son audition début mars devant les sénateurs en considérant que la Fed aurait dû agir plus tôt pour freiner l'inflation. Il a plaidé le fait que la situation économique est assez inédite au regard de l'histoire récente. D'ailleurs qui aurait pu prévoir que les tensions sur le marché du travail seraient créées en partie par "la grande démission", ce phénomène inédit où nombre de travailleurs américains préfèrent rester chez eux plutôt que de prendre un emploi mieux payé?

Robert Jules
Commentaires 3
à écrit le 16/03/2022 à 18:52
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l'euro va decrocher, et comme lagarde ne veut pas appliquer les mandats bce, ca va mal finir....ah ben non, ca va bien finir, l'inflation est payee par personne!! d'ailleurs montchalin a dit que chez les fonctionnaires il y aura une boucle prix salai...

à écrit le 16/03/2022 à 3:49
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Ce jour le prix du gallon est a 5, 25$, du jamais vu.

à écrit le 15/03/2022 à 18:35
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Donnez nous plutôt l'info après qu'elle l'ait fait, ça devient lassant, la FED va faire ci, la FED va faire ça. On va commencer à le savoir

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