La Turquie tente d'enrayer l'effondrement de sa monnaie

Par Estelle Nguyen  |   |  1097  mots
Dans les premières heures en Asie, la livre turque a chuté à un nouveau plus bas historique en début de séance, à 7,24 livres environ pour un dollar avant de remonter vers 6,90 livres suite à l'annonce des mesures de soutien. (Crédits : UMIT BEKTAS)
La Turquie a annoncé, ce lundi 13 août, une série de mesures destinées à soutenir sa livre qui s’est effondrée la semaine dernière sur fonds de tension avec les Etats-Unis. Le président Erdogan a évoqué une « guerre économique » que Washington mènerait contre son pays.

L'heure est venue de se ressaisir pour la Turquie. Ankara a en effet mis au point un plan de soutien pour faire face à la débâcle de sa monnaie, qui a connu une chute vertigineuse la semaine dernière. Sur la seule journée de vendredi, elle perdait près de 20% face au dollar, atteignant son plus bas historique. Dans un entretien accordé ce dimanche 12 août au journal Hurriyet, Berat Albayrak, ministre turc des Finances et gendre du président Erdogan, avait déjà annoncé un plan d'action destiné à apaiser les inquiétudes des marchés financiers.

« Nous avons préparé un plan d'action pour nos banques et les petites et moyennes entreprises, les secteurs les plus affectés par les fluctuations monétaires actuelles [...] Comme je l'ai dit, tous nos plans de mesures et d'actions sont prêts », a-t-il indiqué au journal Hurriyet.

Ces mesures détaillées dans la matinée du lundi 13 août ont toutefois été jugées trop timides. Dans les premières heures de la journée en Asie, la livre turque a chuté à un nouveau plus bas historique en début de séance, à 7,24 livres environ pour un dollar avant de remonter vers 6,90 livres en réaction à l'annonce des mesures de soutien. Selon Bloomberg, la volatilité sur 10 jours de la monnaie a même dépassé celle du bitcoin et a atteint la parité avec le renminbi chinois. En l'espace de trois mois, elle a perdu près de la moitié de sa valeur face au dollar.

Cet effondrement avait également fait souffler un vent de panique sur les marchés à travers le monde. Ce lundi encore, la Bourse de Tokyo a fini en forte baisse (près de -2% à 21.857 points environ, au plus bas depuis un mois). Les Bourses européennes ouvraient dans le rouge également et l'indice pan-européen STOXX 600 perdait 0,3 % pour atteindre son plus bas niveau en trois semaines.

La banque centrale turque à la rescousse

Dans le plan de riposte dévoilé ce lundi, la banque centrale de Turquie intervient sur plusieurs éléments majeurs. Elle a notamment indiqué qu'elle fournirait toutes les liquidités dont les banques auront besoin. L'institution a aussi révisé les taux de réserves obligatoires (RO) pour les banques, dans le but également d'éviter tout problème de liquidité. Dans la matinée, la banque centrale turque a précisé qu'elle avait déjà réduit de 250 points de base le coefficient de réserves obligatoires (RO) en livre turque pour toutes les échéances et abaissé de 400 points de base le coefficient de RO en devises jusqu'à trois ans d'échéance. La banque centrale a affirmé qu'elle prendrait « toutes les mesures nécessaires » pour assurer la stabilité financière et le fonctionnement adéquat des marchés financiers.

Mais pour que le plan annoncé par le ministre des Finances et détaillé par la banque centrale s'opère de manière efficace, il aurait fallu qu'il soit prêt bien avant l'ouverture des marchés asiatiques, d'après Timothy Ash, stratège de BlueBay Asset Management, cité par Reuters.

[« Ils sont toujours en retard, toujours en train de rattraper, toujours trop tard et il y a alors déjà eu des dégâts. C'est un cas d'école sur ce qu'il ne faut surtout pas faire pour gérer une crise » critique-t-il sur Twitter.]

Une « guerre économique » et un « complot contre la Turquie »

Ces dernières semaines, la déroute de la livre, qui pousse la Turquie vers une crise monétaire, s'était intensifiée en raison d'une grave crise diplomatique entre Ankara et Washington, liée à la détention en Turquie d'un pasteur américain, Andrew Brunson. Les déclarations chocs, les menaces de représailles et l'annonce du doublement des tarifs douaniers américains sur l'acier et l'aluminium turc ordonné par Donald Trump vendredi dernier n'ont alors eu pour effet que de renforcer le plongeon de la monnaie turque. En réaction, le président Recep Tayyip Erdogan est même allé jusqu'à menacer dans une contribution au New York Times de se retirer de l'OTAN, dont son pays est membre depuis plusieurs décennies.

« Si nous ne parvenons pas à inverser cette tendance à l'unilatéralisme et au manque de respect, nous devrons commencer à chercher de nouveaux amis et alliés », a-t-il écrit.

Dans la journée du dimanche 12 août, il a également réaffirmé devant ses partisans à Trébizonde son opposition à une hausse des taux d'intérêt et a dénoncé un « complot contre la Turquie », précisant que le pays était en « guerre économique », comme le rapporte Bloomberg. Mais tous ses propos ne font qu'aller dans le sens inverse de ce que les investisseurs avaient demandé pour endiguer la chute des marchés.

« C'est comme jeter de l'huile sur le feu », a déclaré dimanche Win Thin, responsable de la stratégie devises sur les marchés émergents chez Brown Brothers Harriman à New York, cité par l'agence Bloomberg.

La Turquie sera-t-elle contrainte de faire appel à une aide extérieure ?

Dans le cas où l'effondrement de sa livre se poursuit et menace de déboucher sur une crise économique, le gouvernement turc disposera d'autres leviers pour tenter de se sortir de cette situation. La Turquie pourrait notamment prendre des mesures de contrôle des capitaux, pour enrayer les sorties d'argent du pays, tout en resserrant les politiques budgétaires et monétaire. Elle pourrait également se retrouver contrainte de faire appel à une aide extérieure. Par exemple auprès du Fonds monétaire international (FMI), qui était intervenu dans la crise argentine, en prêtant au pays 50 milliards de dollars pour faire face à la dépréciation du peso. Encore faudrait-il que le président Erdogan, qui se targue d'avoir réglé les dettes de la Turquie, s'y résolve.

Lire aussi : Pourquoi l'Argentine fait appel au FMI

Autre possibilité : le président turc pourrait de nouveau fermer les yeux sur une hausse en urgence des taux de la banque centrale de Turquie. En effet, en mai dernier, l'institution avait déjà procédé au relèvement de l'un de ses principaux taux directeurs à 16,5% pour soutenir la livre turque, qui battait déjà des records à la baisse à cette période.