Liban : la justice met la pression sur Riad Salamé, le gouverneur de la Banque centrale

La justice libanaise a pris des mesures fermes à l'encontre du puissant gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, en saisissant ses passeports et en lui interdisant de quitter le pays. Ces mesures font suite à un mandat d'arrêt émis par la justice française, a confirmé une source judiciaire à l'AFP.
Laurent Lequien
(Crédits : Reuters)

Le gouverneur de la Banque du Liban, qui est étroitement lié à la classe politique, est soupçonné d'avoir accumulé un patrimoine immobilier et bancaire considérable en Europe grâce à des montages financiers complexes et au détournement massif de fonds publics libanais.

Convoqué à Paris pour être mis en examen le 16 mai, Riad Salamé ne s'était pas présenté à l'interrogatoire. Par conséquent, un mandat d'arrêt a été émis à son encontre par une juge française en charge de l'enquête.

Interdiction de quitter le pays et saisie des passeports

Le Liban a récemment reçu une notice rouge d'Interpol basée sur ce mandat d'arrêt international. Toutefois, le pays ne procède pas à l'extradition de ses ressortissants. Ainsi, Riad Salamé s'est présenté mercredi devant l'avocat général à la Cour de cassation, Imad Kabalan, qui lui a communiqué les charges retenues contre lui, notamment le « détournement de fonds » et le « blanchiment d'argent ». En conséquence, la justice libanaise lui a interdit de quitter le territoire national et a procédé à la saisie de ses deux passeports, à savoir son passeport libanais et son passeport français.

Cette affaire met en lumière les graves accusations de corruption et de détournement de fonds publics qui pèsent sur le gouverneur de la Banque centrale libanaise. Les mesures prises par la justice libanaise démontrent une volonté de coopération avec la justice française dans le cadre de cette affaire, qui fait l'objet d'une attention internationale.

Riad Salamé pourrait échapper à la justice française

Le juge Kabalan chercherait-il à éviter les décisions de la justice française ? C'est ce qu'affirme l'avocat Karim Daher, engagé dans la lutte contre la corruption, dans une déclaration à l'AFP. Selon lui, en empêchant Riad Salamé de voyager, le juge le prive également de comparaître devant la justice étrangère. Ainsi, il devient l'otage du pouvoir libanais corrompu, qui n'a aucun intérêt à révéler les secrets dont il est le gardien, explique l'avocat.

Lors de l'interrogatoire, Riad Salamé, âgé de 72 ans, a nié toutes les accusations portées contre lui, répétant que sa fortune avait été accumulée lorsqu'il travaillait pour la banque d'investissements américaine Merrill Lynch avant de prendre la tête de la Banque du Liban en 1993. Il a également demandé à être jugé au Liban. Le juge Kabalan a fait une demande à la justice française pour obtenir le dossier de l'affaire. Si les accusations de blanchiment d'argent et d'enrichissement illicite sont jugées fondées, Riad Salamé sera jugé dans son pays, selon une source judiciaire.

« La justice libanaise a montré qu'elle n'était pas indépendante et qu'elle était soumise aux politiciens, à l'exception d'une poignée de juges », déplore Karim Daher.

Contre le banquier central, de nouvelles révélations judiciaires

Une source judiciaire a informé le procureur général libanais que la procureure générale de Munich a également émis un mandat d'arrêt contre Riad Salamé et qu'Interpol en sera notifié.

Depuis l'émission d'un mandat d'arrêt par la juge française à l'encontre de Riad Salamé, les principaux responsables libanais gardent un silence embarrassé concernant cette affaire. Certains ministres et députés de l'opposition ont réclamé la destitution du gouverneur, dont le mandat expire en juillet. Riad Salamé entretient de bonnes relations avec une grande partie de la classe politique, qui défend sa politique monétaire dans un pays confronté à une grave crise économique depuis l'automne 2019.

En mars 2022, la France, l'Allemagne et le Luxembourg ont gelé 120 millions d'euros d'avoirs libanais soupçonnés d'appartenir à Riad Salamé. Depuis le début de l'année, des juges européens se sont rendus à trois reprises au Liban pour interroger Riad Salamé ainsi que ses proches. La Cour d'appel de Paris devra également se prononcer le 4 juillet sur la validité des saisies effectuées sur les biens immobiliers et bancaires de Riad Salamé en Europe, selon des sources proches du dossier.

« 9 milliards de dollars détournés » juste avant l'effondrement

« Pensez-vous que vous êtes un criminel ? Parce que beaucoup semblent le penser... » La question, chargée d'accusation, est lancée en direct en 2020 par une présentatrice de la chaîne américaine CNBC. Face à cette insinuation à peine voilée, Riad Salamé, actuellement l'homme le plus détesté du Liban, reste imperturbable. Alors que le pays du Cèdre sombre dans le chaos depuis octobre 2019, le président de la Banque centrale du Liban depuis 1993 répond calmement face à la caméra : « Ce que j'essaie de faire et d'accomplir est en accord avec les lois du pays (...) la situation a été particulièrement difficile ».

Énumérant les « incendies de forêt, la paralysie du système bancaire, le défaut de paiement orchestré par le gouvernement, la pandémie de Covid et l'explosion du port » qui a dévasté Beyrouth un mois plus tôt, il réfute l'accusation : « Je ne pense pas être le criminel qui a causé tout cela, j'essaie de maintenir le système ».

Trois ans plus tard, la cote de Riad Salamé auprès de la population libanaise est au plus bas. Et pour cause : cet ancien banquier d'affaires de la banque Merrill Lynch est impliqué dans plusieurs affaires de blanchiment d'argent, d'escroquerie, de détournement de fonds en Suisse, ainsi que dans des acquisitions illégales de biens en France. Jeudi 16 mars 2023, Riad Salamé, qui n'avait jamais été inquiété par la justice jusqu'à présent, a été interrogé par la justice libanaise en présence de magistrats européens enquêtant sur des mouvements de fonds suspects vers l'étranger. Cependant, aujourd'hui comme hier, celui que l'on soupçonne d'avoir détourné entre 300 et 500 millions de dollars avec son frère cadet Raja, nie catégoriquement toutes les accusations. Les Libanais pointent également sa gestion hasardeuse, qualifiée de « pyramide de Ponzi », des finances du pays. Après deux jours d'interrogatoire et en répondant à 200 questions, comme le relate le quotidien libanais L'Orient-Le Jour, l'ancien héros anti-inflation du pays, grand argentier, a proclamé son innocence vendredi :

« Les fonds de la Banque centrale libanaise n'ont pas été transférés sur mon compte. Les transferts que j'ai effectués à l'étranger (...) n'ont pas été réalisés par la Banque centrale », mais plutôt « à partir de mon compte personnel », a-t-il justifié. Riad Salamé, ancien gestionnaire des actifs du milliardaire Rafic Hariri, homme d'affaires en Arabie saoudite, a toujours souligné que son travail lui avait permis d'accumuler une fortune.

Une bonne partie des fonds que le gouverneur de la Banque du Liban est accusé d'avoir détournés, ont atterri sur les comptes de douze banques suisses. Et 250 millions de dollars ont été déposés sur le compte personnel de son frère Raja Salamé auprès de la filiale HSBC à Genève, selon l'hebdomadaire. D'autres sommes ont atterri chez UBS, Credit Suisse, Julius Baer, EFG et Pictet, écrit encore notre confrère. Les transactions ont été opérées grâce au truchement d'une société offshore enregistrée aux îles Vierges britanniques, nommée Forry Associates et créée en 2001.

Si, aux yeux des Libanais, l'affaire incarne le mal du pays gangréné par la corruption, c'est parce qu'elle présente de multiples ramifications « politico-business ». Son frère Raja a été arrêté en 2022 et inculpé pour complicité d'actes d'enrichissement illicite. Il est soupçonné d'avoir aidé son frère à détourner de l'argent de la banque centrale pour se constituer un luxueux patrimoine immobilier à Paris. Selon des sources libanaises, il a aussi aidé plusieurs dirigeants politiques à transférer leurs capitaux vers l'étranger en octobre 2019, juste avant l'effondrement, « pour un total de 9 milliards de dollars ».

(avec AFP et Reuters)

Laurent Lequien

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 28/05/2023 à 10:21
Signaler
Heu... et ça va arranger en quoi les affaires du peuple libanais ?

le 28/05/2023 à 21:24
Signaler
Ben si son pognon volé est saisi et reversé aux Libanais, ça va les aider.

le 29/05/2023 à 7:24
Signaler
C'est toute l'oligarchie libanaise qui a trahi le peuple libanais et non un seul dont on se sert comme fusible. Récupérer la tune ok mais ça ferait beaucoup plus s'ils allaient chercher toute la tune volée aux libanais par son oligarchie dans sa tota...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.