Pourquoi certains pays quittent la Cour pénale internationale

La juridiction internationale a vu plusieurs pays claquer la porte, ces dernières semaines. Et d'autres Etats ont annoncé leur volonté de se retirer. Ces annonces sont les symptômes d'une crise qui perdure depuis des années.
Grégoire Normand
La Cour pénale internationale est fortement critiquée pour sa justice à deux vitesses, où les pays occidentaux seraient épargnés.

L'existence ce la Cour pénale internationale n'a jamais été aussi critiquée. Alors que se déroule la quinzième assemblée des Etats-parties à La Haye jusqu'au 24 novembre prochain, l'avenir de la CPI est remis en cause par le départ de plusieurs pays. Lors de son discours prononcé le 16 novembre dernier, Sidiki Kaba, président de l'assemblée des Etats-parties, a d'ailleurs souligné les dangers encourus par tous ces départs :

"Aujourd'hui, un puissant sentiment d'injustice traverse le continent africain dont beaucoup de ressortissants perçoivent la CPI comme l'expression d'un impérialisme judiciaire qui veut punir ses dirigeants panafricanistes. Cette perception avait provoqué ces dernières années une tension quasi permanente dans les relations entre l'Afrique et la CPI. Elle a pris les contours d'une crise qu'il faut vite circonscrire depuis le retrait de trois Etats : le Burundi, l'Afrique du Sud et la Gambie."

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Des départs et des annonces en série

Plusieurs départs ont été actés ou annoncés depuis plusieurs semaines :

  • La Russie : Vladimir Poutine a adressé en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères russes son intention "de ne pas participer au Statut de Rome de la Cour pénale internationale", rapporte Courrier international. Cette volonté est une des conséquences de la publication du rapport annuel de la procureure générale de la CPI. Ce document rappelle que la réunification de la Russie et la Crimée en 2014 est "assimilée à un conflit armé international". En 2000, la Russie avait signé le traité mais ne l'a jamais ratifié.
  •  Plusieurs pays africains : le Burundi, l'Afrique du Sud et la Gambie ont également annoncé leur retrait imminent de la CPI et beaucoup d'observateurs craignent un effet domino sur le continent. Certains évoquent l'Ouganda, la Namibie, la Tanzanie et le Kenya.
  •  Les Philippines : le président philippin, Rodrigo Duterte a annoncé le 17 novembre dernier qu'il pourrait suivre la Russie. Le dirigeant a déclaré que la CPI était "inutile".

Quels reproches ?

Les pays africains critiquant l'action de la Cour pénale internationale considèrent qu'elle applique une justice qui ne serait pas la même pour tous les pays. Sur les instructions actuellement en cours, neuf concernent des pays africains comme le souligne le quotidien algérien El Watan. Ce chiffre alimente les accusations de "chasse raciale" soulevé par les membres de l'Union africaine.

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De son côté, le Kremlin reproche à la CPI ne de ne pas être "véritablement indépendante". Les diplomates russes indiquent que "la Cour n'a pas été à la hauteur des espoirs qui ont été placés en elle (...) De fait, en 14 ans d'activité de la CPI, elle a seulement prononcé quatre verdicts, en dépensant malgré cela plus d'un milliard de dollars."

Des critiques qui ne résistent pas à l'épreuve des faits

Les enquêtes en cours concernant les pays africains peuvent donner le sentiment que la CPI représente une justice des "Blancs". En réalité, de nombreux examens préliminaires sont menés dans une diversité de pays comme le rappelle le Directeur de l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire (IRSEM) Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans une tribune au Monde.

"Le bureau du procureur procède aussi à des examens préliminaires en Afghanistan, en Colombie, en Palestine et en Ukraine, sur l'intervention militaire britannique en Irak, sur des navires immatriculés en Grèce et au Cambodge, et il a ouvert une enquête sur une situation en Géorgie."

A l'ouverture de la quinzième conférence, la procureure Fatou Bensouda a déclaré "avoir une base raisonnable permettant de croire" que la CIA, l'armée américaine auraient eu recours à des crimes de guerre. Elle a évoqué des cas de "tortures et mauvais traitements apparentés, commis par les forces armées américaines déployées en Afghanistan et dans des centres de détention secrets de la CIA, principalement en 2003-2004" dans des propos rapportés par France 24. A cette occasion, l'instance a publié son rapport sur ses activités sur les examens préliminaires.

Une fois que le bureau a procédé à un examen préliminaire et qu'il a obtenu "une base raisonnable" d'éléments et d'indices à charge, il peut ouvrir une enquête rappelle le site de la CPI. Une fois que des éléments de preuve sont recueillis au cours de l'enquête, le bureau peut présenter une requête aux juges de la CPI pour leur demander de délivrer un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître. Pour l'instant, aucun procès n'est engagé contre un pays occidental mais des démarches ont néanmoins été engagées et pourraient aboutir à des comparutions.

Des pistes de réfléxion

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer a développé une véritable réflexion pour renforcer la légitimité de la CPI en rappelant que de nombreux Africains tiennent actuellement des rôles prépondérants au sein de l'instance judiciaire (procureur, premier vice-président, juges, président de l'Assemblée des Etats parties). Le spécialiste rappelle également que "les chefs d'Etats africains ne doivent pas être confondus avec leurs sociétés civiles, massivement favorables à la CPI."

sidiki Kaba ministre de la Justice sénégalais

Sidiki Kaba ministre de la Justice sénégalais et président de l'assemblée des Etats-parties. Crédits : CPI/Flickr

Pour accroître le bien-fondé de cette juridiction, le juriste déclare que "le bureau du procureur a intérêt à faire en sorte que des affaires non africaines aillent au-delà du stade de l'examen préliminaire - dans le respect de l'indépendance et de l'impartialité de la Cour." Enfin, il souhaite que les juridictions nationales parfois défaillantes aient plus de moyens et de capacité à enquêter sur des crimes commis sur leur sol.

Grégoire Normand
Commentaires 2
à écrit le 21/11/2016 à 15:24
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Nous sommes panafricanistes, acceptons à nous juger nous mêmes en reconnaissant nos divers crimes commis contre nos peuples. Soit par une justice HYBRIDE "cas des chambres africaines extraordinaires " à Dakar comme exemple. Que la CPI évite d'être ...

à écrit le 21/11/2016 à 11:37
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Trop de pressions oligarchiques font que trop de criminels internationaux passent au travers de cette CPI indispensable pourtant. On peut aussi déplorer le nationalisme grandissant en réaction au néolibéralisme appauvrissant qui fait que chacun v...

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