Faciliter l'accès depuis toutes les capitales européennes, renforcer son attractivité et favoriser des projets locaux de promotion de la culture et de la démocratie. Strasbourg, qui n'a plus accueilli le Parlement européen en session depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020, va bénéficier de 189 millions d'euros de fonds publics pour mener, jusqu'en 2023, une série d'actions inscrites dans un "Contrat triennal" signé dimanche 9 mai, en présence d'Emmanuel Macron, entre le président du Parlement européen David Sassoli et de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
La mairie s'engage à mobiliser 72 millions d'euros aux côtés de l'Eurométropole (35 millions d'euros), de la Région Grand-Est et la Collectivité européenne d'Alsace (14 millions d'euros chacune). L'engagement des collectivités territoriales représente 70% du montant de ce contrat. Le solde sera financé par l'Etat. La gouvernance du contrat triennal s'appuiera sur une inédite « Mission Strasbourg capitale européenne », chargée de son suivi et de son évaluation.
La signature de ce contrat triennal, le quatorzième depuis l'"invention" du dispositif sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, intervient dans un contexte difficile pour la capitale parlementaire de l'Union européenne, désertée depuis plus d'un an au profit de Bruxelles. Le siège strasbourgeois fait l'objet de batailles à long terme, centrées dans un premier temps sur sa médiocre accessibilité depuis les autres capitales européennes, puis sur le coût du "double siège" et son impact environnemental. Avec l'appui de cabinets de relations publiques internationaux (Burson-Marsteller, devenu BCW), les « pro-Bruxelles » sont parvenus il y a une dizaine d'années à écorner son image et à fédérer une majorité absolue d'élus, toutes nations confondues y compris les Français. Lors des débats portant sur le budget ou sur le calendrier du Parlement, les opposants à Strasbourg dépassent fréquemment 80 % des votants. Les élus locaux et les rares députés encore favorables à Strasbourg ont choisi sans réel succès, depuis quelques années, de réorganiser leur mouvement défensif autour de la notion de démocratie européenne. Le statut de capitale parlementaire est inscrit dans le traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), réputé inamovible mais fragile du point de vue politique.
Recours juridique devant la CJUE
Récemment, en réaction aux annulations répétées des sessions mensuelles, liées à la situation sanitaire, les députées alsaciennes Anne Sander (PPE) et Fabienne Keller (Renew) ont fait entendre leur impatience d'un "retour à la normale" du fonctionnement de l'institution. "Nous tenons à vous exprimer notre incompréhension et nos interrogations face à cette situation", ont écrit dix élus locaux dans un courrier à David Sassoli, le 23 avril. "A l'instar du Conseil de l'Europe, le Parlement européen est en capacité de tenir une session plénière hybride depuis son siège, Strasbourg. Si l'urgence de la situation sanitaire a expliqué la tenue des sessions à Bruxelles au printemps dernier, plus rien ne justifie désormais cette situation", ont-ils estimé. Fabienne Keller n'exclut plus, si l'assemblée ne retrouvait pas son fonctionnement habituel, de soutenir un recours auprès de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) à Luxembourg.
David Sassoli n'a pas fait connaître sa réponse à leur demande insistante. Conformément aux règles internes de l'institution, plusieurs décisions successives des présidents de groupes politiques que l'Assemblée ont abouti chaque mois aux annulations des déplacements à Strasbourg. Ce dimanche, Emmanuel Macron a tenté de rassurer les élus locaux. "C'est une décision du Parlement européen, mais il y aura une session du Parlement en juin et je pense qu'il faut qu'elle se tienne ici. Ce serait normal, c'est notre vie commune", a déclaré Emmanuel Macron à Strasbourg.
Au-delà de cette attente à court terme, le Contrat triennal tentera d'établir les conditions d'un fonctionnement amélioré des institutions européennes strasbourgeoises.
Statut dérogatoire pour l'aéroport
Traditionnellement, les contrats triennaux précédents ont permis d'allouer une vingtaine de millions d'euros de subventions à des exploitants de lignes aériennes sous obligation de service public (OSP) vers les capitales européennes. Ce principe sera maintenu. Le problème de l'accessibilité de Strasbourg ne sera pas réglé pour autant. En concurrence avec les aéroports de Baden-Baden et Bâle-Mulhouse, l'aéroport strasbourgeois peine à attirer, sans subventionner leurs opérations, des compagnies aériennes sur des plans de vol réguliers vers des capitales telles que Berlin, Rome, Madrid ou Varsovie. "Les collectivités ont jusqu'à maintenant financé le différentiel de taxes avec les aéroports situés dans les pays voisins. Cet abondement de taxes nous coûte 3 millions d'euros par an", relève Pia Imbs, présidente de l'Eurométropole. Jean-Baptiste Djebbari, ministre des Transports et Clément Beaune, chargé des Affaires européennes, pourraient apporter une solution cette année, au mois de septembre, sous la forme d'un statut fiscal dérogatoire pour l'aéroport de Strasbourg.
Jeanne Barseghian, maire écologiste de Strasbourg et signataire du Contrat triennal, espère "faire venir à Strasbourg de nouvelles activités et de nouvelles compétences européennes". La ville est notamment candidate à l'accueil des services diplomatiques et administratifs liés au semestre de présidence française du Conseil européen, à partir de janvier 2022. "Le chef de l'Etat a décidé de prendre à bras le corps la question de notre statut européen", a jugé Jeanne Barseghian alors que le Parlement européen fermait de nouveau ses portes, pour une durée encore indéterminée.