Brexit : l'explosion en trompe-l'œil des investissements étrangers au Royaume-Uni

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  1255  mots
Le flux d'investissements directs étrangers* (IDE) vers la Grande-Bretagne ont été près de huit fois supérieurs en 2016 qu'en 2015, passant de 33 milliards à 254 milliards de dollars.
La chute de l'attractivité économique du pays pour les investisseurs figurait parmi les grandes inquiétudes au lendemain du référendum. Pourtant, la Grande-Bretagne enregistre une année record, un premier effet Brexit ? Pas tout à fait. Explications.

Le 23 juin 2016, une courte majorité de Britanniques décidait de voter en faveur du Brexit. Un an après, La Tribune dresse le bilan de douze mois mouvementés, ponctués par le début officiel des négociations entre le Royaume-Uni et l'UE.

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Effet macro-économique ou simple hasard du calendrier ? Alors que les Britanniques se sont prononcés en faveur du Brexit, la même année le Royaume-Uni a réalisé un record d'attractivité. Les flux d'investissements directs étrangers* (IDE) vers la Grande-Bretagne ont été près de huit fois supérieurs en 2016 qu'en 2015, passant de 33 milliards à 254 milliards de dollars. Le pays s'est hissé à la seconde place mondiale derrière les Etats-Unis (391 milliards de dollars de flux entrants), après avoir occupé le 14e rang l'année précédente, selon les chiffres de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).

Il ne faut pas s'y tromper, cette performance est nullement liée au Brexit. Pour rappel, le montant des IDE sont calculés à partir de la conclusion d'une opération d'investissement. Par exemple, le plus gros deal réalisé sur l'année 2016 concerne le rachat du brasseur britannique SABMiller par le belge AB Inbev pour 101,5 milliards de dollars, soit 40% du total des IDE reçus par le Royaume-Uni cette année. Or, les actionnaires des deux sociétés s'étaient mis d'accord sur cette fusion dès l'automne 2015. Le Brexit a en revanche ralenti la conclusion de l'opération, les deux parties ayant dû revoir des termes de l'accord. Ce cas n'est pas une exception. La Cnuced note dans son rapport que plusieurs investissements concernant des sociétés britanniques ont été annoncés en 2015, soit bien avant le référendum.

"Le Brexit aura probablement un impact limité sur les IDE jusqu'à ce que les termes de la sortie s'éclaircissent"

L'année 2016 a été marquée par la multiplication de ces méga-deals pour le Royaume-Uni. Cinq des dix plus grosses opérations de fusion-acquisition dans le monde ont concerné le rachat d'une société britannique, dont deux sur le podium (SABMiller, mentionné plus haut, suivi du rachat de BG Group par Royal Dutch Shell pour 69,4 milliards dollars), alors qu'en 2015 une seule figurait dans le Top 10. Depuis 2011, les flux d'IDE vers le Royaume-Uni n'ont jamais dépassé les 56 milliards de dollars au global. La performance observé en 2016 relève davantage d'une exception à la règle que d'une tendance.

Si le "Oui" à la sortie de l'Union européenne n'a pas eu d'effet positif sur les IDE, il n'a pas eu d'effet négatif non plus pour le moment. En effet, la Cnuced note dans son rapport que "le Brexit aura probablement un impact limité sur les IDE jusqu'à ce que les termes de la sortie s'éclaircissent". "Tout changement potentiel dans les plans d'investissements étrangers à cause du Brexit devrait prendre quelques années avant de se traduire dans les flux actuels", poursuit-il.

Ces observations contredisent certaines études réalisées avant le référendum du 23 juin. "Les projections sur l'impact du Brexit à court terme prévoyaient toutes une baisse assez rapide de l'investissement vers le Royaume-Uni. Pour l'instant, on ne l'a pas observée", analyse Catherine Mathieu, économiste à l'OFCE et spécialiste du Royaume-Uni. De plus, les atouts historiques du pays, couplés à la politique fiscale offensive de Londres, qui a abaissé à 17% l'impôt sur les sociétés, maintiennent largement son attractivité.

La nature du futur partenariat commercial n'est pas sur la table des négociations

Si les investisseurs ne modifient pas de manière significative leur comportement à l'égard du Royaume-Uni pour le moment, la négociation qui s'ouvre pourrait les faire changer d'avis. Fin mars, la Première ministre Theresa May a déclenché la procédure de sortie par l'invocation de l'article 50 du traité de Lisbonne. Depuis, les Européens ont circonscrit les négociations à deux éléments : les libertés des Européens (notamment la liberté de circulation) et le règlement financier, autrement dit la facture dont devra s'acquitter la Grande-Bretagne à sa sortie.

Ainsi, les discussions sur l'établissement d'un futur partenariat commercial ne sont pour l'instant pas d'actualité et pourraient ne l'être qu'en 2019, autrement dit une fois le divorce consommé. Ce contexte "crée une grosse incertitude pour les investisseurs sur l'avenir des relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni", souligne Catherine Mathieu. "Cela devrait les inciter à relocaliser leurs investissements dans d'autres pays membres", en anticipant la possibilité d'un échec de l'établissement d'un régime spécifique pour le Royaume-Uni.

"Une équation impossible à résoudre"

La question de l'accès des Britanniques au marché commun est importante pour leur économie. Les projections à quinze ans du Trésor de Sa Majesté, réalisées en avril 2016 (soit deux mois avant le référendum), établissaient que les flux d'IDE seraient de 18% à 26% plus faibles en cas de Brexit sans partenariat spécifique comparés à ce qu'ils seraient si le Royaume-Uni décidait de rester dans l'Union. Dans le cadre d'un accord bilatéral, cet écart serait entre 15% et 20%. Et, dans le cadre de l'Espace économique européen (EEE, le type de partenariat le plus proche du marché unique en vigueur dans l'UE), cet écart se réduirait à 10%.

Dans le même esprit, une étude menée par le cabinet Ernst & Young en 2015 révélait que 72% des investisseurs ont cité l'accès au marché unique comme un élément important de l'attractivité de la Grande-Bretagne. Preuve que l'accès au marché européen constitue un argument de poids pour les agents économiques dans leur décision d'investissement.

Comme indiqué plus haut, les discussions sur un partenariat spécifique ne sont pas d'actualité. "Si le Royaume-Uni n'est pas soumis à la Cour de justice de l'UE et si la liberté de circulation n'est pas assurée, alors les Européens refuseront de lui donner accès au marché unique", pointe Catherine Mathieu de l'OFCE. La défaite, ou plutôt la moindre victoire des conservateurs aux élections du 8 juin a certes donné plus de poids aux partisans d'un "soft Brexit", mais ne change pas fondamentalement la donne.

"Ce que veulent les conservateurs, c'est le contrôle de l'immigration, mais l'UE veut la garantie de la liberté de circulation. C'est une sorte d'équation impossible à résoudre", conclut l'économiste.

"Servir d'exemple"

En maintenant cette incertitude et cette ligne dure envers le Royaume-Uni, symbolisée par le choix du gaulliste Michel Barnier pour mener les négociations côté européen, l'Union européenne risque d'affaiblir la croissance britannique. Pourtant, elle n'y a pas forcément intérêt. "Cela servira d'exemple, pour décourager les autres pays qui songeraient à quitter l'UE, mais cela pénalisera aussi les entreprises européennes", prévient Catherine Mathieu. Pour rappel, la Grande-Bretagne est notamment le premier excédent commercial de la France.

Difficile dans ces conditions de prévoir ce qu'il adviendra. A ce stade, l'économie du Royaume-Uni résiste plutôt bien, mais jusqu'à quand ? De la victoire de Donald Trump à celle d'Emmanuel Macron, en passant par les élections générales britanniques, les retournements de situation s'enchaînent ces derniers mois. Il ne reste alors qu'à attendre et observer.

| DOSSIER : Brexit, un an après le référendum, où en sommes-nous ?

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(*) Un investissement direct étranger (IDE) consiste pour une société non-résidente à acquérir un intérêt durable - autrement dit, au moins 10% du capital - dans une société résidente.