Grèce : à quoi joue Wolfgang Schäuble ?

Par Romaric Godin  |   |  1901  mots
Wolfgang Schäuble n'a jamais cessé de jeter de l'huile sur le feu dans la crise grecque.
Wolfgang Schäuble aurait évoqué une "monnaie parallèle" en Grèce. Il cherche surtout ainsi à faire pression sur le gouvernement grec. Une stratégie qu'il mène consciencieusement depuis janvier, mais qui est menacée...

Mais que cherche donc Wolfgang Schäuble ? Ce vendredi 22 mai, le ministre fédéral allemand des Finances a « évoqué », selon l'agence Bloomberg, dans « une réunion privée » la mise en place d'une « monnaie parallèle » en Grèce « en cas d'échec des discussions avec les créanciers. » Certes, les « deux personnes » qui ont donné cette information à Bloomberg affirme que Wolfgang Schäuble n'avait pas « soutenu » cette option. Ce dernier a, du reste, nié la véracité de cette information peu après.

Pourquoi une monnaie parallèle

De quoi parle le ministre allemand ? Si l'Etat grec n'a plus accès à aucun financement extérieur, il lui sera fort difficile de faire face à ses engagements, y compris s'il fait défaut sur le FMI et sur la BCE. S'il ne veut pas quitter la zone euro, la possibilité d'émettre des créances de l'Etat libellées en euros et ayant valeur monétaire (ce que l'on appelle des « IOU ») deviendra une option pour le gouvernement afin de faire face à ses besoins les plus urgents. Il y aurait alors deux « monnaies » parallèles (même si les « IOU » seront libellés en euros). Cette solution ne peut cependant être que transitoire. C'est une solution d'attente.

Soit la Grèce trouve rapidement un accord pour retrouver l'accès aux financements européens, elle peut rembourser les « IOU » à 100 % de leur valeur et elle revient dans la zone euro à plein. Soit la situation perdure et, selon la loi de Gresham (« la mauvaise monnaie chasse la bonne »), les euros sont thésaurisés et les « IOU » deviennent la norme avec une décote au marché noir face à l'euro. Pour éviter une situation qui dériverait comme celle des assignats de la révolution française, la Grèce devra alors interdire les transactions en euros et introduire une nouvelle monnaie dévaluée dans laquelle on remboursera les IOU.

Faire peur à l'épargnant grec

Une telle perspective ne peut qu'inquiéter les épargnants grecs qui verront dans l'introduction d'une monnaie parallèle un prélude à une sortie du pays de la zone euro. Or, une des plaies de l'économie grecque ces derniers mois, c'est précisément cette peur des épargnants qui les force à vider leurs comptes bancaires pour placer leur argent à l'étranger ou de le thésauriser sous forme de billets pour disposer de devises en cas de Grexit. Le ministre des Finances hellénique, Yanis Varoufakis n'a eu de cesse, depuis plusieurs jours, de repousser cette option. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y a pas de discussion à ce sujet, mais il s'agit de ne pas provoquer de panique. En évoquant une monnaie parallèle et en laissant filtrer cette information, le ministère allemand des Finances jette donc délibérément de l'huile sur le feu. Son but est très clairement d'exercer une pression supplémentaire sur le gouvernement grec en créant encore davantage de panique dans le public grec. Le poids supposé de Wolfgang Schäuble dans la sphère de décision européenne amplifie la portée de ses paroles. Pas besoin donc « d'adhérer » à cette option d'une monnaie parallèle, il suffit pour le ministre allemand de l'évoquer pour faire peur...

Les précédentes « sorties » de Wolfgang Schäuble

Plusieurs éléments laissent en effet supposer que cette « fuite » n'est pas totalement fortuite. Wolfgang Schäuble n'a eu en effet de cesse de jouer la politique du pire depuis la victoire électorale de Syriza le 25 janvier. Le 19 février, en début d'après-midi, il publiait ainsi un communiqué de presse pour rejeter la proposition de compromis présentée en fin de matinée par Yanis Varoufakis. Il devra néanmoins le lendemain accepter un accord avec la partie grecque, laissant à cette dernière l'initiative des « réformes. » Mais aussitôt l'encre de cet accord sèche, Wolfgang Schäuble a mené une politique de rejet constant des propositions grecques, en multipliant les provocations. Lors de l'Eurogroupe du 9 mars, il prononce à plusieurs reprises le mot « troïka », alors que le nouveau gouvernement grec affirmait dès le 30 janvier ne plus vouloir avoir affaire à cette « troïka. » Le but est simple : montrer qu'Athènes se bat en vain.

"Graccident" et "Grexit"

Quatre jours plus tard, le ministre allemand invente le terme « Graccident », autrement dit une sortie « fortuite », non voulue, par accident, de la Grèce de la zone euro, suite à un défaut. Un « Grexit » non voulu, en quelque sorte, qui surprendrait tout le monde. Ce terme, il va le réutiliser plusieurs fois dans ses interviews. Cette notion est particulièrement angoissante pour le public grec. Le message qui est envoyé est celui d'une catastrophe imminente et imprévisible. Il donne évidemment envie d'aller mettre au plus tôt ses économies à l'abri... Ce « Graccident » est une véritable arme utilisée par la Wilhemstrasse, le siège du ministère fédéral des Finances, contre la Grèce.

En réalité, Wolfgang Schäuble n'a jamais cessé d'agiter le spectre du Grexit. Le 12 mai, il avait soutenu l'idée d'un référendum sur l'euro, laissant là encore ouverte la possibilité du Grexit. Le mercredi 20 mai, enfin, Wolfgang Schäuble avait déjà frappé en « ne pouvant assurer qu'il n'y aura pas de défaut grec. » Cette fois, ce catastrophisme n'avait guère porté, puisque des officiels grecs eux-mêmes, à commencer par Yanis Varoufakis qui a affirmé préférer payer les salaires et les pensions plutôt que le FMI, avaient pris les devants. Pour une raison simple : la réalité du défaut effraie aussi et c'est normal, les créanciers...

Faire plier Athènes ou l'exclure

Wolfgang Schäuble a donc clairement choisi une stratégie qui vise à la dégradation de la confiance en Grèce et à l'aggravation de la situation financière du pays. Cette stratégie est assez logique avec les convictions du député d'Offenburg, dans le pays de Bade. L'homme est persuadé depuis longtemps qu'il faut exclure la Grèce de la zone euro. Selon l'ancien ministre des Finances et président du Pasok Evangelos Venizelos, il aurait proposé à ce dernier dès l'automne 2011 une « sortie organisée. » Devant le refus grec, il aurait plaidé auprès de la chancelière, entre les deux élections grecques de 2012, une « expulsion » de la Grèce. Angela Merkel a, alors, refusé. Le 19 février 2015, son refus du compromis allait dans le même sens. Son idée est qu'il faut une zone euro où tout le monde « respecte les règles. » Et que l'expulsion de l'incorrigible Grèce servira d'exemple. La seule alternative dans l'esprit de Wolfgang Schäuble est celle d'une capitulation sans conditions de la Grèce, qui permettra de maintenir ce « respect des règles. » Et par « règles », Wolfgang Schäuble entend une politique économique fondée sur les « réformes structurelles », la désinflation compétitive et une rigueur budgétaire sans contrôle. Il l'a affirmé lors d'un Eurogroupe de cette crise en avril : il ne s'agit pas de la Grèce, il s'agit de l'Europe. Ce qui se joue dans cette crise, pour le ministre allemand (et en cela il a raison), c'est l'architecture future de la zone euro.

Le rêve monténégrin du ministre allemand...

Selon Bloomberg, Wolfgang Schäuble aurait aussi, dans cette « réunion privée » évoqué l'exemple du Monténégro pour la Grèce. Ce pays de l'ex-Yougoslavie utilise en effet de facto l'euro comme seule monnaie officielle, mais sans être membre de la zone euro. Il est donc contraint de dépendre de ses réserves de devises, et donc de son excédent primaire, pour alimenter son économie. Et il n'a aucune influence sur les décisions de la zone euro. Cet exemple en dit long sur les « buts de guerre » de Wolfgang Schäuble face à la Grèce. En soi, l'exemple n'a guère de sens. Pour devenir le Monténégro, la Grèce devrait cesser d'avoir accès au refinancement de ses banques par la BCE tout en maintenant l'euro comme seule devise ayant cours légal. Ce serait difficile, voire impossible à mettre en place, faute d'euros précisément.

Le Monténégro est passé à l'euro lorsque le pays a eu un accès suffisant à l'euro et s'est trouvé capable de le maintenir. La Grèce n'est pas dans ce cas et elle n'est pas un petit Etat post-communiste centré sur le tourisme haut de gamme. L'euro est, par ailleurs, trop élevé (encore à son niveau actuel) pour son économie. Si on peut comprendre qu'une sortie de la zone euro ne soit pas souhaitée par les autorités grecques en raison du choc qu'il provoquerait, on voit mal comment et pourquoi la Grèce conserverait l'euro une fois « expulsée » de fait de la zone et privée des avantages à y demeurer (refinancement auprès de la BCE et aides du FESF/MES). Mais peu importe : cet exemple met à jour le rêve de Wolfgang Schäuble : une Grèce qui, n'ayant plus son mot à dire dans la zone euro, serait contrainte de maintenir des excédents considérables pour se financer « sans dépendre des autres. » Autrement dit, serait contrainte à l'austérité la plus sévère sans représenter de risque nouveau pour le « contribuable allemand. »

Dernière chance pour la stratégie de Wolfgang Schäuble

Devant un gouvernement grec qui prétend vouloir demeurer dans la zone euro en changeant de politique économique, la Wilhelmstrasse a donc une politique ouvertement agressive. L'idée est de saper le soutien populaire de ce gouvernement en créant une situation de panique financière. Or, Wolfgang Schäuble joue cette fois ces dernières cartes. Devant l'imminence d'un défaut, il lui faut convaincre une nouvelle fois Angela Merkel d'accepter le risque d'un Grexit, ce qu'il n'a jamais pu réussir jusqu'ici. Jeudi 21 mai au soir, Angela Merkel n'a pas poussé loin les discussions avec Alexis Tsipras. Elle n'a donc pas encore fait son choix.

Néanmoins, il semble de plus en plus que la vision de Wolfgang Schäuble, dominante au sein d'un Eurogroupe qui a toujours refusé de prendre au sérieux les plans de réformes grecs, ne fait plus l'unanimité chez les créanciers. Le FMI a affirmé vouloir évoquer une restructuration de la dette et, lundi, puis jeudi, des « plans de compromis » ont circulé, sans doute provenant de la Commission européenne pour tenter de remettre « à plus tard » les sujets qui fâchent, notamment les réformes du marché du travail et des retraites. Wolfgang Schäuble ne veut pas d'un tel compromis. Il jette donc de l'huile sur le feu pour tenter de faire céder enfin le gouvernement grec. Malgré l'intérêt que portent à ses paroles les analystes de marché, il n'est pas certain qu'il gagne son pari. Si Athènes avait dû céder aux manœuvres du ministre allemand, ce serait fait depuis longtemps : près de 35 milliards d'euros ont quitté les banques grecques. Mais le gouvernement grec sait désormais que la BCE (qui a rajouté 20 milliards d'euros de liquidité d'urgence depuis février aux banques grecques) ne veut pas prendre le risque de provoquer un Grexit. La Grèce n'est pas si faible que Wolfgang Schäuble l'a cru...