"L'Europe doit muscler sa politique commerciale" (CAE)

Par Grégoire Normand  |   |  978  mots
Le conseil d'analyse économique (CAE) recommande à l'Union européenne de mieux utiliser ses instruments de défense commerciaux et propose de nommer un procureur commercial face aux pratiques agressives de la Chine et des Etats-Unis.

Les politiques commerciale et de concurrence de l'Union européenne sont actuellement dans la tourmente. Le rejet par la Commission européenne de la fusion ferroviaire entre Alstom et Siemens au début du mois de février a suscité l'ire du ministre de l'Economie Bruno Le Maire qui avait qualifié cette décision "d'erreur politique et économique". C'est un échec européen de ne pas avoir été capable de créer des champions dans le secteur industriel et plus particulièrement dans le numérique", a regretté M. Le Maire.

Dans le numérique, la montée en puissance des grandes plateformes a mis en exergue des cas de position dominante abusive comme le cas de Google Shopping en 2017 et Android en 2018 qui ont écopé respectivement de 2,4 milliards et 4,3 milliards d'euros de sanctions. "Entre 1991 et 2018, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ont réalisé 634 acquisitions pour un montant total de plus de 142 milliards de dollars" d'après des chiffres relayés par le conseil d'analyse économique dans une note publiée ce jeudi 16 mai.

À l'approche des élections européennes, le conseil d'analyse économique (CAE) a exprimé plusieurs recommandations alors que l'Europe est accusée d'empêcher le développement de mastodonte. Pour le centre d'analyse, "les actions des politiques de concurrence et commerciale sont supposées détecter et sanctionner les comportements des entreprises et des États qui ne respectent pas les règles du jeu communes". Dans le contexte d'un multilatéralisme déclinant et l'exacerbation des tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, Anne Perrot, professeure à Paris 1 a expliqué lors d'une conférence de presse que :

"au regard des objectifs qui lui sont assignés, la politique de la concurrence européenne est une réussite [...] L'Europe ne doit pas sacrifier sa politique de concurrence plutôt génératrice de bienfaits du point de vue de l'activité économique, de la croissance ou de la redistribution. En revanche, s'il y a un endroit où les politiques européennes doivent se muscler, c'est plutôt du côté de la politique commerciale. Il faut que la politique commerciale soit plus offensive à l'égard des entreprises extraeuropéennes lorsque ces entreprises menacent le déploiement des activités économiques européennes."

> Lire aussi : Bruxelles refuse la fusion entre Alstom et Siemens

Des rejets de fusions très rares

Sur le sujet des fusions d'entreprises, l'organisme public souligne que ces opérations sont rarement rejetées par la Commission européenne "tandis que les acceptations sans conditions constituent l'immense majorité des cas". Les économistes à l'origine de ce travail expliquent que "sur la période allant de janvier 2010 à décembre 2018, parmi les 2.980 opérations de concentrations notifiées à la Commission, 2.704 ont été acceptées sans conditions (90,7 %), dont 1.949 (65,4 %) en phase 1, et 156 opérations ont été autorisées sous conditions". Sur le total de ces opérations validées, "certaines ont donné naissance à des champions européens de très grande taille, à l'image des fusions entre Luxottica et Essilor dans l'optique et entre Lafarge et Holcim dans le ciment pour ne citer que ces deux exemples". Contrairement à ce que pourraient laisser penser les propos de M. Le Maire, les outils de contrôle des concentrations n'apparaissent pas "comme un obstacle à l'émergence de grandes entreprises européennes".

Un arsenal de propositions

Dans cette note, les économistes Sébastien Jean, Anne Perrot et Thomas Philippon ont formulé plusieurs recommandations pour tenter d'améliorer le futur des politiques commerciale et de concurrence :

  • "Permettre une application plus rapide des mesures correctives d'abus de position dominante en facilitant l'usage des mesures provisoires ;
  • Pour contrôler les acquisitions préemptrices, permettre un contrôle ex post de certaines concentrations par l'autorité de concurrence;
  • Renforcer la vigilance et l'exigence dans l'application du principe de réciprocité dans l'accès au marché. Recourir plus systématiquement au système de consultation et de règlement des différends lorsque des manquements sont constatés. Rétablir la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics;
  • Nommer un procureur commercial pour incarner et mettre en œuvre les exigences de réciprocité;
  • Faire des subventions un sujet prioritaire dans les négociations de réforme de l'OMC, afin de renforcer les obligations de transparence et de rendre plus facile l'adoption de mesures compensatoires lorsque les subventions d'un partenaire sont préjudiciables;
  • Utiliser de façon réactive les instruments de défense commerciaux dès lors que des subventions industrielles ou des pratiques concurrentielles déloyales causent un préjudice à l'industrie européenne. Prendre en compte de façon plus systématique les préoccupations liées au financement public et à la préservation de la concurrence dans le filtrage des investissements étrangers directs."

Un contrepied aux propositions politiques

Les suggestions de l'organisme rattaché à Matignon représentent un contrepied aux propositions formulées pendant la campagne pour les élections européennes. En effet, plusieurs têtes de liste ont à plusieurs reprises mis en avant des propositions de protectionnisme ou "un buy american act" à l'image de ce qui se pratique aux Etats-Unis. Bien que la liste LREM n'évoque pas de protectionnisme en tant que tel, elle défend une directive "Ethique des entreprises" pour interdire l'accès à toute entreprise "ne respectant pas les exigences sociales et environnementales fondamentales".

Au Rassemblement  national, on plaide pour un"juste échange" à la place du libre-échange, autrement dit ne pas accepter d'importations de produits qui ne respectent pas les normes européennes.  Pour La France insoumise, le "protectionnisme solidaire" prendrait la forme d'une "taxe kilométrique" : "plus le produit vient de loin, plus il est taxé", explique la tête de liste Manon Aubry d'après des propos rapportés par l'AFP. Chez les Verts, le protectionnisme porte la même couleur, "avec une taxe socio-environnementale aux frontières qui permettra de tenir compte du vrai coût des produits".