
LA TRIBUNE : Vous étiez aux États-Unis la semaine dernière pour vanter les atouts de l'Europe. Que retenez-vous de ce déplacement ?
LAURENCE BOONE - Pour les Américains, l'Union européenne est un partenaire à placer sur un pied d'égalité. L'Union Européenne, ce sont 440 millions de consommateurs, avec un revenu par tête de plus de 25.000 euros, c'est la première puissance commerciale du monde et elle construit une politique industrielle d'envergure. Le monde ne se limite pas aux blocs américain et chinois, car l'UE est un acteur puissant, leader dans le développement des technologies vertes. Sur le Vieux continent, on a parfois tendance à pointer nos différences internes, mais les Américains observent surtout que nous sommes unis et agissons ensemble. Comme en témoignent, par exemple, notre soutien à l'Ukraine, notre action pour le climat, et la présence en Chine de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, aux côtés d'Emmanuel Macron.
Par rapport aux subventions massives (plus de 400 milliards de dollars) prévues par les Etats-Unis dans le plan climat de Joe Biden, le fameux Inflation Réduction Act (IRA), l'Union européenne ne joue-t-elle pas petit bras ?
Pas du tout... L'Europe a répondu vite et fort. Fin novembre, le président de la République était aux États-Unis. La nécessité d'une réponse claire à l'IRA a ensuite été discutée au Conseil européen, très vite, dès décembre. En mars, l'Europe a fait des propositions sur la réforme du prix de l'électricité, un règlement pour une industrie zéro émission nette qui organise un soutien massif aux industries européennes décarbonées, un règlement sur les matières premières critiques... Tout ça en à peine trois mois.
Qu'apportent ces mesures ?
Le règlement pour une industrie zéro émission nette, c'est une politique industrielle qui permet à l'Europe de soutenir des secteurs stratégiques ciblés au service de la décarbonation, comme le solaire, les batteries, le biogaz... sur lesquels nous concentrons notre action et nos investissements avec des aides d'états, des crédits d'impôts, des autorisations accélérées. Ce sont 400 milliards pour l'industrie verte.
En amont, nous agissons pour sécuriser les matières premières dont nous avons besoin, pour mettre en place des chaînes d'approvisionnement robustes de l'extraction jusqu'au recyclage. Cela permet de réduire nos dépendances, d'être plus autonomes et de créer des emplois en Europe.
Enfin, nous avons renforcé la politique européenne de défense commerciale pour protéger notre marché intérieur, en exigeant des pays tiers la réciprocité des règles en vigueur en Europe, et en mettant en place des instruments anti-dumping. Concrètement, en regardant par exemple la différence entre le prix de vente d'un vélo et son coût de fabrication en Chine, nous pouvons voir si une entreprise fait du dumping ou pas. Si c'est le cas, nous pouvons imposer des droits de douane sur le vélo importé pour rétablir une concurrence équitable. C'est comme cela que nous avons sauvé l'industrie du vélo en Europe. L'Union européenne a également mis en place des procédures pour contrôler les investissements réalisés en Europe par des entreprises étrangères, notamment dans les secteurs stratégiques. La panoplie est importante. Au total, nous soutenons la production en Europe, nous préservons notre marché intérieur, nous incitons nos partenaires à respecter nos normes et nous assurons nos approvisionnements. C'est une stratégie complète et cohérente.
L'Europe ne prenait-elle pas ces précautions auparavant ?
Les instruments de défense commerciale se sont beaucoup développés récemment. L'instrument anti-coercition, porté par la France lors de sa présidence de l'Union européenne, a été adopté la semaine dernière ! Il permet à l'Union de répondre par des sanctions commerciales à des pratiques agressives de la part d'Etats tiers. Nous avons les moyens de lutter contre la concurrence déloyale et d'exiger la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics. Désormais aucun Etat tiers ou entreprise étrangère ne peut avoir accès à nos marchés publics européens s'ils n'ont pas ouvert leurs propres marchés. La commande publique, c'est 14 % de PIB européen. Très concrètement, si les Chinois n'ouvrent pas leurs marchés publics, leurs entreprises ne pourront plus participer aux appels d'offres chez nous. C'est une véritable avancée. Enfin, l'Europe est plus stratégique : dans les accords commerciaux avec des pays tiers, nous exigeons le respect de nos normes environnementales et sociales.
Toutefois, ne faut-il pas craindre des délocalisations à l'image de Volkswagen qui pourrait recevoir 10 milliards de dollars pour s'implanter aux États-Unis ?
Non, il n'y a pas de délocalisations : les entreprises européennes ne ferment pas des sites pour aller outre-Atlantique. Lors de leur voyage conjoint aux États-Unis, Bruno Le Maire et son homologue allemand Robert Habeck ont obtenu la mise en place d'un mécanisme de transparence : lorsque les Américains mettent sur la table une subvention de X dollars pour une entreprise, l'Europe en sera informée et pourra débloquer le même montant. C'est un outil puissant pour assurer une concurrence équitable.
Mais l'Europe n'est-elle pas trop naïve ?
La naïveté, c'est fini. L'Europe a une stratégie économique alignée sur ses objectifs géopolitiques. Et elle la construit comme une doctrine. L'Europe est beaucoup plus pragmatique, sans être protectionniste. L'Europe protège les biens publics mondiaux comme le climat, la biodiversité, ainsi que les droits de l'Homme. Nous pouvons aussi voir l'IRA américain comme une réaction aux décisions de l'Europe en matière de transition énergétique.
Et puis, n'oublions pas que la guerre en Ukraine a accéléré l'Europe de la défense. L'Union européenne a fait sa révolution en la matière, en acceptant de livrer des armes à Kiev pour l'aider à se défendre face à la Russie. Par ailleurs, le pilier européen de l'OTAN n'a jamais été aussi fort avec l'entrée de la Finlande et je l'espère, bientôt, de la Suède. C'est un tournant stratégique essentiel. Sans compter que nous travaillons tous ensemble à la reconstruction de l'Ukraine. Les institutions financières européennes vont participer et nous sommes mobilisés pour que la reconstruction s'organise avec un maximum d'entreprises européennes.
La France a présenté cette semaine son plan industrie verte ...
Ce projet de loi permettra à la France d'être une championne européenne de l'industrie verte, dans la lignée de l'ambition du plan européen pour une industrie zéro émission nette. Les propositions, en cours de concertation, permettront d'utiliser tous les leviers disponibles au plan national : crédits d'impôts, accélération des procédures d'installation. Avec ce plan, France relance et France 2030, nous aidons plus fortement nos entreprises et nous leur permettons d'aller plus vite. Y compris en encourageant la formation, et les compétences
Emmanuel Macron est en Chine cette semaine... que faut-il attendre de ce voyage ?
Le Président va aborder plusieurs sujets avec les autorités chinoises. D'abord, sur la guerre que mène la Russie en Ukraine, le rôle que peut jouer la Chine pour trouver un chemin vers la paix. Il va également porter les questions liées au climat et aux enjeux globaux. L'idée est aussi d'avancer sur nos relations commerciales sans naïveté aucune. Là encore la stratégie européenne est claire : la Chine est à la fois un partenaire, un concurrent et un rival systémique. Les Européens sont unis et capables de défendre leurs intérêts.
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