Le bilan en demi-teinte de Merkel en cinq graphiques

Par Grégoire Normand  |   |  1427  mots
Pour la dirigeante allemande, la plupart des indicateurs économiques sont au vert.
Angela Merkel va remettre en jeu son mandat de chancelière dimanche prochain alors qu'elle occupe ce poste depuis 2005. Après avoir enchaîné trois mandats, la cheffe d'Etat devrait remporter le scrutin sauf grande surprise. L'occasion de revenir sur son bilan sur le plan économique et social.

Le suspense se réduit. A quelques jours des élections législatives allemandes, le bloc conservateur d'Angela Merkel (CDU-CSU) maintient son avance sur le Parti social-démocrate (SPD) selon un sondage de l'Institut Emnid publié dimanche dernier. La CDU-CSU y rassemble 36% des intentions de vote, contre 22% pour le SPD. La CDU-CSU perd ainsi un point en une semaine, mais le SPD en cède deux. Sauf grande surprise, la chancelière devrait être réélue. L'occasion de revenir sur le bilan tout en contraste de cette cheffe d'Etat au pouvoir depuis 2005.

Un chômage au plus bas

Sur le front de l'emploi, Angela Merkel peut se prévaloir d'un bilan plutôt positif. D'après les derniers chiffres d'Eurostat, publiés à la fin de l'année 2016, le taux de chômage en pourcentage de la population active s'élevait à 4,1%, soit le plus bas historique depuis la réunification (comme l'illustre le graphique ci-dessous). Mais si le chômage n'a cessé de baisser depuis son arrivée au pouvoir, il est nécessaire de rappeler que cette diminution a largement été favorisée par les réformes du marché du travail mises en oeuvre par l'ancien chancelier Gerhard Schröder au pouvoir de 1999 à 2004.

 Au moment de la présentation de leur programme, les conservateurs ont annoncé qu'ils s'engageaient à ramener le plein-emploi d'ici 2025 avec un taux de chômage au sens du bureau international du travail inférieur à 3%.

> Lire aussi : Allemagne : cinq choses à savoir sur le programme de Merkel

Un excédent budgétaire record

Selon la dernière publication de l'office fédéral allemand de statistiques Destatis pour 2016, le solde positif des recettes publiques s'est élevé à 23,7 milliards d'euros. C'est même l'excédent record jamais enregistré depuis la réunification. En valeur relative, l'excédent s'est élevé à 0,8% du PIB l'année dernière.

L'utilisation de cet excédent fait régulièrement débat en Allemagne et à l'échelle européenne. Outre-Rhin, le candidat du Parti social-démocrate (SPD) Martin Schulz a indiqué lors de la présentation de son programme qu'il voulait mettre en place un montant minimum pour les investissements publics. Sous l'impulsion de la chancelière conservatrice, l'Allemagne avait inscrit en 2009 dans sa loi fondamentale un frein constitutionnel à l'endettement. Le dispositif instauré par Angela Merkel limite depuis 2011 le déficit structurel annuel de l'Etat fédéral et celui des Landers (régions allemandes), à 0,35% du produit intérieur brut.

> Lire aussi : Pourquoi l'utilisation de l'excédent public allemand décidera de l'avenir de la zone euro

L'ancien président du Parlement européen Martin Schulz va se présenter face à Angela Merkel après le renoncement du patron du SPD, Sigmar Gabriel. (Crédits : Reuters.)

A l'extérieur, l'Allemagne se voit critiquée également pour sa politique budgétaire combinée à de forts excédents commerciaux. Il y a quelques mois, le Fonds monétaire international (FMI) a incité l'Allemagne à utiliser ses recettes fiscales en hausse pour investir dans des projets d'infrastructures qui renforceront son potentiel de croissance et encourageront les employeurs à augmenter les salaires pour soutenir l'inflation dans la zone euro. Plus récemment, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement a prononcé le même type d'argument que le FMI en ajoutant que ces forts excédents avaient provoqué des déséquilibres au sein des pays de la zone euro. La relance des investissements pourrait donc constituer un défi de taille pour celle qui brigue un quatrième mandat.

> Lire aussi : Economie mondiale : l'ONU préconise un nouveau plan Marshall

Un excédent commercial record

L'Allemagne a enregistré en 2016 un excédent commercial de près de 250 milliards d'euros en 2016. L'année dernière, la première économie européenne a vendu hors de ses frontières pour 1,2 milliard d'euros de biens et services, soit 1,2% de plus qu'en 2015 tandis qu'elle a importé pour 950 milliard (+0,6%).

Pour cette même année, l'excédent de la balance courante allemande, qui prend en compte le solde commercial et certains revenus du capital et du travail, a atteint 8,3% du PIB. Plusieurs institutions internationales comme l'OCDE et la Commission européenne mettent régulièrement en garde sur les risques d'un excédent trop important. Récemment, Bruxelles a pointé les risques de ses déséquilibres, dans un document publié il y a quelques semaines :

"La persistance d'un important excédent de la balance courante, qui reflète l'excédent d'épargne et la mollesse de l'investissement caractérisant tant le secteur public que le secteur privé, a une incidence qui dépasse les frontières nationales. L'excédent de la balance courante a continué d'augmenter en 2015 et en 2016 et devrait se maintenir à un niveau élevé. Remédier au problème de l'excédent a des implications sur les perspectives de rééquilibrage du reste de la zone euro parce qu'un plus grand dynamisme de la demande intérieure en Allemagne permet de contrer la faiblesse de l'inflation et de faciliter le désendettement dans les États membres fortement endettés."

Une pauvreté grandissante

En dépit de très bons résultats économiques, l'Allemagne d'Angela Merkel n'a pas réussi à réduire son taux de pauvreté. D'après les dernières données d'Eurostat, cet indicateur est passé de 12,2% en 2002 à 16,7% (après transferts sociaux) en 2015, soit une hausse de 36%.

L'un des aspects inquiétants concerne la paupérisation croissante des plus âgés. En Allemagne, le taux de pauvreté chez les personnes âgées de plus de 55 ans est passé de 18,3% à 20,7% entre 2005 et 2014. En valeur absolue, les données Eurostat indiquent également que la pauvreté a augmenté chez les personnes âgées. 4,5 millions de personnes étaient concernées par ce phénomène en 2005 contre plus de 5,5 millions en 2014 outre-Rhin, soit une hausse d'environ 1 million de personnes en moins de dix ans.

> Lire aussi : Pauvreté : les seniors allemands moins bien lotis que les Français

Le cumul d'emplois en hausse

Si la crise a eu peu d'impact sur le taux de chômage en Allemagne, contrairement à la majorité des pays de la zone euro, la libéralisation du marché du travail, permise par les réformes "Hartz" mises en oeuvre en 2003 et 2005, a favorisé le développement des mini-jobs faiblement rémunérés. La montée en puissance de ces emplois, ces dernières années, a contribué à une précarisation des travailleurs et un accroissement des inégalités de revenus, comme le rappelle une étude de la direction générale du Trésor.

"Cette performance sur le front de l'emploi doit pourtant être pondérée par la hausse des inégalités de revenus et de la pauvreté en Allemagne. Le taux de pauvreté a augmenté nettement entre 2000 et 2005, de 12,5% à 14,7%. La hausse est particulièrement marquée pour les personnes en emploi et plus encore pour celles au chômage."

Pour faire face à ce risque de pauvreté, plusieurs millions d'actifs ont donc cumulé deux emplois voire plus, comme l'illustre le graphique ci-dessous pour réussir à joindre les deux bouts.

Mais depuis l'introduction du salaire minimum en Allemagne en 2015, l'efficacité des mini-jobs est de plus en plus remise en question. Les partisans de ces emplois considéraient que l'instauration d'un tel salaire allait faire augmenter les chiffres du chômage. Mais plus de deux ans après son entrée en vigueur, "le chômage a continué à baisser et l'emploi global à augmenter comme avant", souligne une note du Cerfa (comité d'études franco-allemand) publiée en février dernier.

Si la mise en place du salaire minimum n'a pas eu d'impact sur le chômage en général, des fragilités ont pu apparaître dans certains secteurs où le coût de la main d'oeuvre est une part importante du coût total, comme dans l'agriculture. Le Cerfa rappelle :

"Les 330.000 travailleurs saisonniers d'Europe de l'Est qui venaient chaque année travailler en Allemagne risquent de coûter trop cher aux agriculteurs allemands par rapport à ce que leur rapporte la vente dans le commerce de produits tels que les fraises et les asperges, le tarif horaire applicable étant désormais celui du salaire minimum contre 8 euros de l'heure en 2016 et seulement 7,4 euros en 2015."

Ainsi, même si Angela Merkel affiche un bilan économique globalement positif, de nombreux défis sociaux ou démographiques restent à relever pour celle qui est à la tête de la première puissance économique européenne.

 > Lire aussi : Allemagne : la hausse de la population ne résout pas le problème démographique