Montant, financement, dépenses....les tensions et les propositions s'accumulent à quelques heures d'un sommet déterminant. Jeudi 23 avril, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne doivent se réunir par visioconférence pour un conseil européen qui s'annonce périlleux. Lors de discussions préliminaires lundi avec les représentants des Vingt-Sept, la Commission européenne a estimé que la pandémie pourrait pénaliser l'économie européenne à hauteur d'un dixième du revenu national brut (RNB) des Etats membres, c'est-à-dire la richesse cumulée qu'ils produisent chaque année.
Jusqu'à maintenant, les Etats et gouvernements ont surtout planché sur des mesures de soutien aux entreprises et aux salariés pour tenter de traverser cette crise et limiter la casse économique et sociale. Pour les mois à venir, les exécutifs européens vont devoir travailler sur leur stratégie économique afin de relancer une économie à l'agonie. Lors d'un point téléphonique avec des journalistes mardi 21 avril, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a rappelé les principaux enjeux.
"L'avenir de l'Union européenne et celui de la zone euro se jouent dans la réponse à cette crise hors-norme. La réponse doit s'inscrire dans le temps long. Il faut une réflexion sur le modèle économique que nous voulons développer [...] La réponse apportée par l'Union européenne est forte mais reste insuffisante. Il faut répondre au double défi de l'Union européenne, de la course économique et de la course technologique"a-t-il expliqué.
La mutualisation des dettes au centre des divisions
La mutualisation des dettes pourrait être un point d'achoppement majeur dans les débats à venir. Récemment, les gouvernements des principales puissances de l'Union européenne ont fait des propositions pour faire connaître leur position en amont de la réunion. Dimanche, le gouvernement italien de Giuseppe Conte a réitéré son appel à une mutualisation des dettes. Il a de nouveau plaidé en faveur des controversés "coronabonds", des instruments de dette mutualisée entre Etats de l'Union, dans une interview au journal allemand Sueddeutsche Zeitung. Lundi, le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez a proposé la création d'un fonds de 1.500 milliards d'euros pour aider les pays les plus affectés économiquement par l'épidémie. Ce fonds serait alimenté par de la dette émise par l'UE et les sommes remises à chaque pays seraient considérées comme des transferts et non comme de la dette, selon le journal El Pais.
Un fonds de 1.000 milliards proposé par la France
En France, le ministre de l'Economie a défendu "un plan de relance simple et massif. Le continent européen avec son modèle social doit être le continent du 21ème siècle. Nous proposons un plan de relance basé sur un point d'équilibre entre les Etats. Il faut prévoir un fonds de relance de 1.000 milliards d'euros et sans doute au delà. Le gouvernement propose une mutualisation des dettes tournées sur l'avenir et non sur le passé. Le fonds de relance doit financer des mesures communes d'investissement". Il estime "qu'aujourd'hui, le débat sur la dette mutualisee a beaucoup progressé . Les réticences sont limitées aux pays du Nord, entre autres pour des raisons de politique intérieure". Sur ce point, les pays du Sud redoutent une nouvelle fois un désaccord des Pays-Bas ou de l'Allemagne.
Plusieurs options de financement sont sur la table. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a plaidé la semaine dernière pour que le budget de l'UE soit le "vaisseau mère de la relance". "Il faudra des investissements massifs pour relancer l'économie et c'est le seul instrument qui bénéficie de la confiance des Etats membres", a-t-elle ajouté. Or, si l'Allemagne et les Pays-Bas sont opposés au "coronabonds", ils ont jusqu'ici refusé d'augmenter leurs contributions nationales au budget à long terme de l'UE. Mario Centeno, le président du conseil européen a évoqué la possibilité de "combiner" les deux solutions : comme le prochain budget de l'UE commence en 2021, le fonds de relance pourrait d'abord être financé par l'emprunt commun préconisé par Paris. Il permettrait de disposer d'une force de frappe dès l'été 2020. Et le budget pluriannuel prendrait la relève en 2021. De nombreux économistes et politiques déplorent régulièrement le manque de moyens budgétaires de l'Union européenne. Le budget de l'UE représente environ 1% de la richesse produite chaque année.
Un sommet sous hautes tensions
Cette réunion à distance des chefs d'Etat pourrait une nouvelle fois alimenter des tensions entre plusieurs groupes d'Etats aux intérêts divergents. Pour le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, "certains Etats vont pouvoir repartir plus rapidement que d'autres au moment de la reprise. L'accroissement des divergences économiques pourrait menacer à terme la zone euro [...] il existe un risque de déclassement européen. Le risque serait d'avoir un appareil technologique et industriel obsolète face à la Chine et les Etats-Unis". Le manque de coordination et les décalages dans le redémarrage des économies pourraient avoir des répercussions ravageuses alors que l'euroscepticisme est désormais bien ancré dans certaines catégories de la population.
Des dépenses à déterminer
Outre les instruments à mettre en oeuvre, les gouvernements devraient également aborder le sujet des dépenses à privilégier lors de ce plan de relance. Là encore, des dissensions pourraient apparaître. Pour la France, le locataire de Bercy a défendu certains types de dépenses. "Il faut des investissements publics dans le secteur sanitaire. Nous voyons qu'il y a un déficit d'équipements (aspirateurs, hôpitaux) dans un certain nombre de pays. Les investissements pour des secteurs en difficulté doivent être prioritaires. ll faut des dépenses communes qui ont un intérêt commun comme pour le secteur automobile ou l'aéronautique. Enfin, il faut des dépenses d'innovation et de recherche, sinon l'Europe risque de prendre un retard technologique face à la Chine et aux Etats-Unis".
Une récession historique
L'économie européenne affronte actuellement une récession brutale. Dans leurs dernières prévisions, les économistes du FMI anticipent un recul du produit intérieur brut de la zone euro de 7,5% en 2020 contre une hausse de 1,2% en 2019 et 4,7% en 2021 selon le FMI. L'Italie devrait être l'économie la plus sévèrement touchée par la pandémie. L'activité de la péninsule, minée par une productivité atone, une croissance au ralenti depuis des années et des divergences territoriales néfastes, devrait se replier de 9,1% cette année avant de rebondir à 4,8% en 2021. En Espagne, les voyants sont également dans le rouge. L'économie hispanique devrait s'infléchir de 8% avant d'accélérer l'année prochaine à 4,3%. Ces deux pays du Sud de l'Europe ont essuyé un bilan sanitaire et humain désastreux qui devrait avoir des conséquences profondes encore difficiles à mesurer.
En France, l'économie devrait connaître également une terrible chute cette année avec un PIB en recul de 7,2%. Les statisticiens prévoient un rebond de la valeur ajoutée en 2021 de 4,5%. Pour l'instant, les pertes pour l'économie française sont estimées à 120 milliards d'euros pour les deux mois de confinement selon de récents calculs des économistes de l'OFCE. La perspective d'une reprise rapide de l'économie tricolore s'éloigne de jour en jour. Le chef de l'Etat Emmanuel Macron a annoncé la fin du confinement à partir du 11 mai avec encore beaucoup d'options sur la table pour la sortie de crise.
> Lire aussi : Covid-19 : des pertes abyssales pour l'économie française
Pour l'Allemagne, les indicateurs ne sont pas non plus au beau fixe. Le gouvernement allemand, souvent cité en exemple pour sa gestion de la crise, devrait également affronter une récession vertigineuse en 2020. Selon les projections du FMI, le PIB de l'Allemagne devrait s'infléchir de 7% cette année avant d'augmenter à 5,2% en 2021. L'économie outre-Rhin traversait déjà une passe difficile avant la crise. Les moteurs de l'appareil productif tournaient déjà au ralenti avec le coup de frein de la Chine, la guerre commerciale sino-américaine et l'industrie automobile épinglée pour ses tricheries à l'égard des normes environnementales.