Yanis Varoufakis, le trublion hellénique

Par Sarah Belhadi  |   |  1095  mots
Yanis Varoufakis, économiste de formation devenu ministre des Finances grec du gouvernement de Syriza, cristallise les critiques. Si le "oui" au référendum l'emporte dimanche soir, il a annoncé qu'il quittera son poste.
Interrogé sur Bloomberg TV, début juillet, sur une éventuelle acceptation de l'accord de l'Eurogroupe sans renégociation de la dette, celui qui était alors ministre grec des Finances avait répondu qu'il "préférait se couper le bras". Après la victoire du "non" au référendum, il a annoncé sur son blog sa démission. Depuis quelques mois, Yanis Varoufakis avait imposé son style, quitte à agacer.

| Article publié le 3 juillet, actualité le 6 juillet après la démission de Yanis Varoufakis de son poste de ministre grec des Finances.

Cet ancien professeur d'économie détonne dans le paysage politique européen. Docteur en économie de l'Université d'Essex (Royaume-Uni), Yanis Varoufakis, spécialiste de la théorie des jeux, théorise une économie politique "hétérodoxe", autrement dit non alignée sur les principes libéraux dominants. Et donc aux antipodes de ses homologues européens. Avant de devenir ministre en janvier 2015, il a enseigné en Angleterre, en Australie puis à Athènes. Entre 2004 et 2006, il conseille Georges Papandréou, alors président du Pasok. En 2010, il est l'un des premiers à alerter ses compatriotes du risque imminent de défaut sur la dette de son pays, ce qui lui vaut le surnom de Dr Doom grec ou Mr Catastrophe. Une référence à Nouriel Roubini, l'économiste américain qui avait pronostiqué - avant tout le monde et dans l'indifférence générale - la crise financière de 2008 aux Etats-Unis.

Mais ce que la presse retient de lui, c'est surtout son style, sa moto, et son franc-parler qui agace tant Bruxelles.

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Car, à l'évidence, les ministres des Finances de la zone euro ne lui ressemblent pas. En moto, en jean, et avec un sac à dos rouge, l'économiste de formation tranche dans le paysage. Peu friand de communication politique lisse, Yanis Varoufakis parle souvent vite, quitte, parfois, à mettre son propre gouvernement dans l'embarras. Le dernier événement en date a eu lieu jeudi.

Alexis Tsipras n'a en effet pas dû apprécié la dernière déclaration de son ministre qui assure qu'il démissionnera en cas de "oui" au référendum dimanche. D'autant que, de son côté, le Premier ministre martèle que l'unité nationale doit être assurée, même en cas de victoire du "oui". Lundi 29 juin, dans un entretien accordé à la télévision grecque ERT, Tsipras avait pourtant mis sa démission dans la balance en cas de victoire du "oui". Depuis, il laisse planer le doute.

Les petites phrases de Varoufakis

Jeudi matin, alors qu'il est interrogé sur Bloomberg TV sur une éventuelle acceptation de l'accord de l'Eurogroupe sans renégociation de la dette, Varoufakis répond à la journaliste : "je préfère me couper le bras". Il refuse de pratiquer la langue de bois. Un peu à la manière du philosophe Diogène le Cynique, il semble vivre comme il pense, ne se laissant intimider ou déstabiliser sous aucun prétexte.

Mardi après-midi, quelques heures seulement avant l'échéance du remboursement de 1,5 milliard d'euros au FMI, des dizaines de journalistes l'attendent à l'entrée du ministère. A la question, la Grèce sera-t-elle en mesure de rembourser, il se contente d'un laconique "non", en guise de réponse.

Et lorsque, vendredi soir, son Premier ministre prend tout le monde de court en annonçant un référendum prévu le 5 juillet pour que le peuple grec dise si, oui ou non, il accepte les propositions des créanciers, c'est encore sur son compte Twitter, qu'il salue l'initiative, avec une pique directement adressée aux technocrates bruxellois :

"La démocratie avait besoin d'un coup de fouet sur les questions relatives à l'euro. Nous l'avons fait. Laissons le peuple décider. (Drôle comme ce concept semble radical)

Democracy deserved a boost in euro-related matters. We just delivered it. Let the people decide. (Funny how radical this concept sounds!)

— Yanis Varoufakis (@yanisvaroufakis) 26 Juin 2015

Quand des rumeurs circulent sur son éventuel départ du ministère des Finances, il laisse un message sur Twitter pour démentir :

Rumours of my impending resignation are (for the umpteenth time) grossly premature...

— Yanis Varoufakis (@yanisvaroufakis) 31 Mai 2015

Il n'hésite pas à user du réseau social pour régler ses comptes avec les journalistes en quête de scandale :

Dedicated to muck raking journalists... pic.twitter.com/YySV8Qz14l

— Yanis Varoufakis (@yanisvaroufakis) 1 Mars 2015

Cette fois-ci, il se défend dans son tweet d'être antisémite. En réalité, il fait référence à une histoire qui date de 2005, qui resurgit au moment de sa nomination au poste de ministre en janvier. A l'époque, Yanis Varoufakis, alors professeur d'économie à Athènes, avait été suspendu d'une émission de radio australienne pour « stéréotypes négatifs sur les Juifs »  et accusé d'exprimer de l'empathie pour les kamikazes palestiniens, comme le rapporte en février 2015 le journal The Times of Israël.

 Le ministre qui casse les codes

S'il s'exprime régulièrement sur Twitter, le blog du ministre des Finances est aussi son meilleur allié en communication. Ainsi, il n'hésite pas à y dévoiler les coulisses de la réunion de l'Eurogroupe à Riga le 24 avril, reprochant aux médias leurs "mensonges et insinuations", qui rapportent alors une altercation entre le ministre grec et ses homologues européens. Dans un post, il reconnaît avoir enregistré les conversations de la réunion." En l'absence de compte-rendu, j'enregistre souvent mes interventions et mes réponses sur mon téléphone portable. Le but en est, naturellement, de pouvoir retrouver mes phrases exactes et, dans la même mesure, de rapporter à mon Premier ministre, au cabinet et au Parlement ce que j'ai dit précisément".

Ses déclarations dans les médias sont certes souvent laconiques, mais sur son blog il publie régulièrement ses états d'âme et ses réflexions. La dernière en date, la défense du "Oxi"  au référendum en 6 points. Il rappelle, encore une fois, son souhait de rester dans l'euro, de renégocier la dette et son désir de justice sociale afin de redistribuer "le fardeau entre les possédants et les non-possédants».

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En 2013, dans un discours prononcé au Sixième Festival Subversif de Zagreb, et publié par le Guardian en février 2015, il déplore la politique dogmatique des élites appliquée en Europe :

"Les élites européennes se comportent aujourd'hui comme si elles ne comprenaient, ni la nature de la crise à laquelle elles président, ni ses implications pour l'avenir de la civilisation européenne. Elles obéissent à leur atavisme, qui les pousse à piller les réserves, en voie d'épuisement, des faibles, des déshérités, afin de combler les trous béants du secteur financier, et refusent d'admettre que l'accomplissement de cette tâche ne peut perdurer".