Brexit : un risque systémique sur la compensation de dérivés de taux en cas de "no deal"

Par Delphine Cuny  |   |  696  mots
François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, a "salué l’accord qui a été trouvé la semaine dernière entre les négociateurs européens et britanniques". Mais il a souligné qu'il fallait malgré tout se "préparer à faire face à une situation éventuelle de 'no deal'". (Crédits : Philippe Wojazer)
Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a invité tous les acteurs à bien se préparer à l'éventuelle absence d'accord au 29 mars date de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. S'il n'y a pas de risque majeur pour la stabilité financière, la question des volumes de dérivés de taux compensés à Londres fait craindre "un désordre colossal" si les positions étaient débouclées dans l'urgence.

[Article mis à jour à 16h10]

Même s'il a "salué l'accord qui a été trouvé la semaine dernière entre les négociateurs européens et britanniques", le gouverneur de la Banque de France a souligné qu'il fallait, "dans un contexte encore incertain", se "préparer à faire face à une situation éventuelle de 'no Deal'". Lors d'une conférence consacrée aux conséquences du Brexit pour le secteur financier français ce vendredi, François Villeroy de Galhau a expliqué que l'institution et l'Autorité de contrôle prudentiel et de supervision (ACPR), qui lui est adossée, "se préparent à ce scénario" de "no deal", "même si nous ne la souhaitons pas".

L'analyse de la Banque de France, comme celle de la Banque centrale européenne (BCE), "ne fait pas ressortir de risque majeur pour la stabilité financière" a-t-il déclaré. Tout en pointant une exception.

"La compensation des dérivés de taux mérite cependant un traitement particulier car les chambres de compensation britanniques occupent une position de quasi-monopole dans ce secteur. En cas de 'no deal' Brexit et en l'absence de mesures particulières, ceci pourrait représenter un risque systémique", a-t-il relevé.

Il a ajouté qu'il soutenait "la solution prévue par la Commission européenne", à savoir la reconnaissance temporaire de l'équivalence du cadre législatif britannique dans le cadre du règlement européen sur les infrastructures de marchés (EMIR 1) et l'autorisation temporaire donnée aux chambres de compensation britanniques (en l'occurrence le géant LCH, du groupe London Stock Exchange) de continuer de fournir des services de compensation aux institutions financières européennes. 

L'Autorité européenne des marchés financiers (Esma) a indiqué dans un communiqué ce vendredi qu'elle "a déjà commencé à discuter avec les chambres de compensation britanniques afin de procéder aux travaux préparatoires" d'un processus de reconnaissance par équivalence.

"Désordre colossal sur les marchés de taux"

Le gouverneur a également appelé à "davantage de concurrence pour favoriser l'innovation financière" dans ce domaine fortement concentré de la compensation et au "développement à Paris d'une offre de services de compensation renforcée et complétée dans le domaine des produits dérivés de taux d'intérêt." La seule véritable alternative au britannique LCH est aujourd'hui Eurex, filiale de Deutsche Börse.

S'il n'y a "pas de risque systémique sur les systèmes de paiement et le règlement livraison" (les opérations post-transactions sur les marchés financiers) du fait de faibles interdépendances entre les acteurs britanniques et européens dans ces domaines, "nous voyons clairement un risque systémique dans les dérivés de taux d'intérêt OTC (de gré à gré) si les chambres de compensation britanniques ne sont pas reconnues" a ensuite enfoncé le clou Emmanuelle Assouan, directrice des systèmes de paiement et des infrastructures de marché à la Banque de France. Ces dérivés ont un caractère essentiel dans le financement de l'économie, dans la couverture de n'importe quel type de prêt, a-t-elle souligné.

"Vu la volumétrie des dérivés de taux d'intérêt, avec des dizaines de milliers de transactions traitées par chacune des grosses banques françaises, si les positions devaient être débouclées en urgence, avant le 30 mars, ce serait un désordre colossal sur les marchés de taux, qui ne connaissent pas de frontières", a prévenu Emmanuelle Assouan.

Elle a invité les acteurs de la place "à rapatrier au plus vite ce qui est rapatriable" en Europe. La perspective du Brexit a déjà profité à Eurex Clearing, qui assure 8% de la compensation des dérivés de taux en euro, soit un volume de 3.800 milliards d'euros traités au second trimestre, alors qu'elle était quasi absente de ce marché il y a un an.

Cependant, la directrice des systèmes de paiement et des infrastructures de marché à la Banque de France a martelé qu'il serait souhaitable de développer des offres alternatives "afin d'éviter la construction de monolithes dont on serait dépendant et qui deviendraient "too-big-to-fail"."