Au sixième étage du 50, rue de la Boétie à Paris 8e, l'espace, lumineux, fait une centaine de mètres carrés. Le mur de l'open space est habillé d'une grande fresque colorée. Un autre, d'un papier peint jungle. Au fond, une cuisine et, ici et là, des petits espaces fermés et chaleureux pour permettre aux collaborateurs de s'isoler. La décoration branchée et cosy n'est pas trompeuse. Nous sommes bien dans les bureaux d'une startup... mais pas n'importe laquelle. Ce sont les locaux de la Fabrique by CA, le startup studio lancé discrètement par le Crédit Agricole en janvier 2018.
« Nous sommes une startup qui fabrique d'autres startups », explique Laurent Darmon, à la tête de cette jeune structure, en nous faisant visiter les lieux.
Les startup studios, parfois présentés comme des usines à startups, consistent à créer des jeunes entreprises innovantes à la chaîne grâce à l'industrialisation de différents procédés, comme la levée de fonds, et la mutualisation de certaines ressources, comme les compétences en informatique. À la différence d'un incubateur, l'idée n'est pas d'accompagner le développement de jeunes pousses existantes, mais d'en fabriquer de toutes pièces à partir d'idées préalablement identifiées. Au startup studio de les faire grossir, puis de constituer des équipes ad hoc en recrutant des entrepreneurs pour créer des joint-ventures et les mettre en orbite.
Le plus connu dans l'écosystème numérique est sans doute l'allemand Rocket Internet, fondé à Berlin en 2007. Spécialisée dans le commerce en ligne, cette fabrique à startups, cotée à la Bourse de Francfort depuis 2014, est notamment à l'origine du site de mode Zalando, ou encore de Delivery Hero, géant de la livraison de repas dont la capitalisation boursière atteint 6,65 milliards d'euros. Depuis quelques années, ce modèle perce en France, au point que certains grands groupes s'en sont emparés, comme Air France-KLM, qui a lancé en décembre dernier BigBlank, un startup studio dédié au voyage, ou l'assureur Axa avec Kamet, son startup studio créé en 2016.
Réseau de pépinières
La Fabrique du Crédit Agricole vise quant à elle à créer des fintech, ou startups de la finance. Ce dispositif d'innovation vient compléter une palette d'autres outils mis en place par la Banque verte, comme le réseau de quelque 29 pépinières d'entreprises baptisées Villages by CA, ou les deux fonds de capital innovation dotés respectivement de 50 et 100 millions d'euros et consacrés à l'investissement dans de jeunes entreprises innovantes.
« Un grand groupe n'est pas structuré pour sortir de ses organisations. Son historique l'oblige à se focaliser sur ses métiers existants et l'empêche d'aller sur de nouveaux territoires. La Fabrique by CA complète l'action des villages et des fonds d'investissement du Crédit Agricole pour mener une vraie transformation de notre modèle, estime Laurent Darmon. Notre ambition est d'aider le groupe à repousser ses frontières. »
Dans cette optique, cinq zones d'intervention ont été identifiées autour de l'épargne, de la gestion du risque, de l'entrepreneuriat, du « néomutualisme » et de l'agriculture de demain.
Laurent Darmon, qui a précédemment piloté la digitalisation des parcours clients au sein du Crédit Agricole, pense que l'autonomie et l'agilité du startup studio feront la différence : « La Fabrique by CA est une structure à part entière. Nous fonctionnons de manière indépendante. Nous sommes, par exemple, sous la convention collective du Syntec et non sous la convention bancaire, et nous avons notre propre mutuelle d'entreprise, Alan, et notre propre logiciel de paie, PayFit. »
Un dispositif d'accompagnement déployé dans les 39 caisses régionales
Cette organisation semble porter ses fruits. Un peu plus d'un an après sa création, le startup studio est parvenu à créer quatre startups. L'une d'elle, Hucha, vise à rendre la gestion de patrimoine accessible à tous les particuliers. Elle est à l'origine d'un site baptisé Trajectoires Patrimoine, qui complète le dispositif d'accompagnement du même nom déjà déployé en agence dans les 39 caisses régionales du Crédit Agricole.
« Cet outil de diagnostic personnalisé a permis de créer la version digitale de Trajectoires Patrimoine. Celle-ci peut être utilisée par l'internaute en amont d'un rendez-vous avec son conseiller bancaire pour préparer l'entretien », explique Anaïs Desmoulins, la directrice des opérations de la Fabrique by CA.
Il permet d'avoir une vision globale de son patrimoine financier et immobilier et d'identifier des scénarios d'optimisation. Tout au long de l'expérience, l'accent est porté sur la dimension pédagogique pour ne pas perdre le client non expert, seul derrière son écran d'ordinateur.
À l'issue du parcours, une synthèse est automatiquement envoyée au conseiller bancaire afin qu'il puisse mieux l'accompagner lors de l'entretien en agence, où l'éventuelle souscription à différents produits financiers s'effectuera. Développé en marque blanche, l'outil sera proposé dans les semaines à venir aux clients de la caisse régionale Pyrénées Gascogne. Il pourra être décliné aux couleurs d'autres enseignes du groupe comme LCL ou le gestionnaire d'actifs Amundi.
La Fabrique by CA a aussi bâti une startup autour du projet Je Suis Entrepreneur.
« Initialement, Je Suis Entrepreneur est un site de contenus du Crédit Agricole. C'était une sorte de Wikipédia de l'entrepreneur. Nous avons repris cette plate-forme et créé une nouvelle entité juridique pour en faire un outil interactif d'aide à la création d'entreprise », explique Anaïs Desmoulins.
Dès l'entrée des premières informations, la solution indique au futur entrepreneur le nombre de concurrents dans son secteur d'activité, à l'intérieur d'un périmètre géographique donné. Le tableau de bord et l'approche ludique permettent de l'épauler tout au long du processus de création, de la constitution du business plan au dépôt du statut. « Le développement de cette startup est parti d'un constat : les professionnels ont besoin d'un écosystème d'accompagnement. La banque constitue l'un des partenaires dans une chaîne de valeur beaucoup plus vaste. Notre ambition est d'être l'opérateur de cette chaîne », indique Laurent Darmon.
Objectif : séduire une clientèle de professionnels
Grâce à cet outil, dont le lancement est prévu fin avril, le Crédit Agricole entend séduire une clientèle de professionnels, plus rentable que les particuliers, et par ailleurs de plus en plus démarchée par de nouvelles banques mobiles spécialisées comme Shine, Manager One ou Qonto (lire page 26, ci-contre). Toutes ont développé une couche de services pour faciliter le quotidien des entrepreneurs.
La Fabrique by CA lancera avant la fin de l'été une plateforme consacrée aux associations. La quatrième startup, tout juste créée, planche, elle, sur une offre autour de la digitalisation des crédits. « Notre objectif est de créer trois startups par an », confie Laurent Darmon. Pour tenir ce rythme de production, la Fabrique by CA a adopté des cycles de développement très courts. Une grille de sélection permet d'éliminer 90 % des idées. Lorsqu'une idée est retenue, les équipes se fixent quelques semaines pour produire les premières maquettes du produit, puis six mois pour développer un produit minimal viable. Une fois le projet de startup confié à un entrepreneur, la Fabrique propose d'accélérer le développement par la mise à disposition de son réseau de distribution et de ses expertises métier.
La structure dispose également d'un fonds interne, dont le montant reste confidentiel, dédié au financement des startups du studio. Objectif : faire grossir suffisamment ces jeunes pousses pour qu'elles puissent rejoindre un incubateur du groupe. « Demain, nous aimerions voir les salariés des startups traverser la rue », conclut Laurent Darmon, en désignant d'un mouvement de tête le Village by CA parisien, situé sur le trottoir d'en face.
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