Jean-Paul Fitoussi : "le problème, c'est la faiblesse de la demande"

Pour Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire Français des conjonctures économiques (OFCE) ce sont les inégalités et les déséquilibres d'épargne qui menacent la reprise, après avoir été les causes principales de la crise.

Il n'y a guère de doute sur la reprise, mais une question sur sa vigueur et sa durée...
Commençons par cette observation : le PIB a baissé de 6 % environ dans les pays européens. Quand bien même la croissance reprendrait à 3 % l'an ? une hypothèse très optimiste ?, nous ne retrouverions pas le niveau de richesse de 2008 avant 2012 ! C'est dire la mesure du chemin qui reste à parcourir. D'autant que la détérioration de l'emploi va continuer.

Faut-il donc maintenir les plans de relance ?
Je m'étonne que l'on évoque déjà les stratégies de sortie de crise, au plan monétaire et budgétaire. C'est complètement inapproprié. Si l'on démantèle le soutien à l'économie, il y aura une rechute dans la récession.

Mais y a-t-il une chance pour que la demande privée (consommation et investissement) prenne le relais du soutien public à la croissance ?
Notre problème, c'est la faiblesse de la demande globale. Pendant la phase de forte croissance mondiale, les inégalités se sont creusées, ce qui a déprimé la demande des classes moyennes. Aux États-Unis, en dix ans, le salaire médian a chuté de 0,7 %, alors que le salaire moyen a progressé de 9 %, tiré par la forte hausse des hauts revenus. D'où la progression de l'endettement, et la bulle financière qui s'en est nourrie. Il y a une corrélation entre la progression des inégalités et la formation de bulles spéculatives. Dans le même temps, les pays émergents ont accumulé des excédents considérables, qu'ils épargnent à cause des mauvais souvenirs de la crise asiatique, à la fin des années 1990, où leur manque d'autonomie financière les avait placés à la merci du FMI.

Ces deux causes de la crise persistent... Ne vont-ils pas compromettre la reprise, ou bien nous conduire vers de nouvelles bulles ?
Ils persistent en effet, mais on peut les combattre. C'est ce que nous allons proposer, avec Joseph Stiglitz, dans un rapport que nous remettons à l'ONU avant la prochaine assemblée générale, à la fin septembre. Il faut par exemple mettre en place des règles de non-concurrence sociales et fiscales. La concurrence que se livrent les États aggrave les inégalités car elle se traduit par la réduction des impôts pour les riches et la baisse des salaires pour les peu qualifiés, qui s'appauvrissent. Et pour rééquilibrer l'épargne mondiale, il faut permettre aux pays émergents de s'« assurer » à bon compte contre le risque de crise financière, en leur donnant accès aux réserves de DTS, la monnaie-panier du FMI. Il y a des solutions à portée de main pour ces problèmes.


Vous avez remis au président de la République un rapport sur les indicateurs de l'économie, avec des recommandations [voir p.6]. La médiocrité des indicateurs existants a-t-elle joué un rôle dans la crise ?
Oui, probablement. La mesure de la richesse, par exemple, qui détermine les capacités d'endettement des ménages et des entreprises, a été très déficiente : on a surévalué les actifs immobiliers en prenant comme base la valeur d'un marché manifestement déréglé. Les ménages se sont illusionnés sur la valeur de leurs biens, et se sont lancés sans retenue dans l'endettement.

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