Notation sociale et environnementale : le marché de toutes les convoitises

Évaluer les entreprises uniquement selon des critères financiers ne suffit plus. Les investisseurs veulent aussi les ausculter sur le plan environnemental, social et de la gouvernance. Un marché en pleine ébullition, de plus en plus dominé par les Américains.
Juliette Raynal
L’analyse extrafinancière entre les mains des anglo-saxons
L’analyse extrafinancière entre les mains des anglo-saxons (Crédits : DR)

En septembre dernier, l'américain MSCI, l'un des plus grands producteurs d'indices financiers, a mis la main sur Carbon Delta, une petite start-up suisse spécialisée dans l'analyse du risque climat grâce à des algorithmes d'intelligence artificielle. Cette acquisition est loin d'être anodine. Elle est la dernière d'une longue liste de rachats de sociétés spécialisées dans l'évaluation des risques extrafinanciers, qui
recouvrent les fameux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), par des poids lourds de la finance traditionnelle.

Lire aussi : Le baromètre des entreprises les mieux préparées à la transition écologique

Enjeux de long terme

Ces critères ESG permettent d'évaluer la prise en compte du développement durable et des enjeux de long terme dans la stratégie des entreprises. Cela peut être, par exemple, les émissions de CO2 pour le pilier E, la formation des salariés pour le pilier S, ou encore la féminisation des conseils d'administration pour le pilier G. En l'espace de quatre ans, la plupart des pionniers de cette analyse extrafinancière sont passés sous pavillon américain ou britannique.

En juin dernier, le français Beyond Ratings, spécialisé dans l'intégration des critères ESG dans la notation du risque crédit, a ainsi été racheté par la Bourse de Londres. Quelques mois plus tôt, en avril 2019, c'est Vigeo Eiris, agence pionnière dans l'analyse des critères ESG fondée par l'ancienne patronne de la CFDT Nicole Notat, qui s'est fait avaler par l'américain Moody's. Tout un symbole. Son concurrent S&P, lui aussi,
fait ses emplettes. En 2016, l'agence de notation de crédit a ainsi fait l'acquisition du britannique Trucost.

Les agences en conseil de vote, très sollicitées par les investisseurs institutionnels, ne sont pas en reste. L'américain ISS a ainsi mis dans son panier certaines activités du suisse South Pole, mais également le suédois Ethix et plus récemment l'allemand Oekom. De son côté, Morningstar, qui est spécialisé dans la notation de portefeuilles, a acquis, en 2017, 40 % du capital du néerlandais Sustainalytics.

Deux facteurs viennent expliquer cet appétit insatiable et cette domination américaine. D'abord, la montée en puissance des critères ESG, portée par l'urgence climatique. « Avant, les critères ESG n'étaient très souvent pas jugés stratégiques. Cela  a changé au moins en France et en Europe et nous observons une accélération de l'histoire depuis 2015, avec notamment la tenue de la COP21 à Paris et le vote de l'article 173 de la loi de transition énergétique qui impose aux investisseurs français de
publier un reporting ESG et de communiquer sur leur contribution à la transition écologique et à la lutte contre le réchauffement climatique », expose Jean-Guillaume Péladan, directeur de la stratégie environnement de la société de gestion Sycomore AM.

Dans la même lignée, Bruxelles devrait bientôt obliger tous les investisseurs européens à déclarer comment ils intègrent ces critères. Et, une taxonomie européenne permettant
d'estampiller les activités durables, est en cours d'élaboration.

Pression sociétale

« Ces questions sont beaucoup plus relayées dans les médias et il y a une pression sociétale croissante qui demande à la finance d'être une solution de la transition écologique plutôt que de faire partie du problème », résume Jean-Guillaume Péladan. Résultat de cette prise de conscience: les principes pour l'investissement responsable, lancés par l'ONU en 2006, ont recueilli, depuis lors, la signature de quelque 2.800 gestionnaires chargés de placer près de 90.000 milliards de dollars. C'est presque cinq fois plus qu'il y a dix ans.

Loin d'être philanthropiques, les financiers ont compris que les risques environnementaux ou sociétaux affectaient de plus en plus la rentabilité des entreprises. La facture peut être salée. En 2016, le scandale du « dieselgate » a ainsi valu plusieurs dizaines de milliards d'euros à Volskwagen. « La vision de Milton Friedman selon laquelle la seule responsabilité sociale des entreprises est d'augmenter leurs profits est radicalement insuffisante », conclut Sylvain de Forges, administrateur de Shift Project, un think tank sur la transition énergétique.

ZOOM
Le long chemin de la transparence

L'article 173 de la loi sur la transition énergétique, entrée en vigueur en décembre 2015, est considéré comme une innovation législative majeure pour l'investissement responsable. Il oblige plus de 840 investisseurs institutionnels (assureurs, mutuelles, caisses de retraite, banques, sociétés de gestion) à publier leur intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs opérations d'investissements. Toutefois, cet exercice de transparence n'est pas encore devenu un réflexe. Selon une étude du gouvernement publiée en juillet dernier, seule la moitié des 48 plus importants acteurs financiers ont publié des rapports complets. Vingt et un l'ont fait de manière insuffisante et trois sociétés de gestion se sont carrément abstenues.

Le manque de description des méthodologies employées et d'objectifs chiffrés sont pointés du doigt. En parallèle, le gouvernement entend mieux orienter l'épargne des particuliers vers des produits verts. Dans cette optique, depuis le 1er janvier 2020, les contrats d'assurance-vie multisupport doivent proposer au moins une unité de compte composée d'actifs labellisés « solidaire », « Greenfin » ou « Investissement socialement responsable ».

Juliette Raynal

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Commentaires 2
à écrit le 20/01/2020 à 11:23
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Enfermé dans une politique de l'offre, on est obligé de pédaler dans la semoule pour avoir l'air d'avancer!

à écrit le 20/01/2020 à 9:05
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"Un marché en pleine ébullition, de plus en plus dominé par les Américains. " Non. Une tendance générée par les américains qui dans les mots disent ne pas se soucier de l’environnement mais dans les faits vont plus loin que notre europe qui ne sa...

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