Introductions en Bourse : parfum de "collusion tacite" entre banques selon l'OCDE

Par Delphine Cuny  |   |  783  mots
L'entrée en Bourse de Snap Inc (maison-mère de l'appli Snapchat) sur le Nyse a été la plus importante opération réalisée à ce jour en 2017.
La baisse du nombre d'entrées en Bourse ces dernières années serait due aux commissions, élevées et à la hausse, facturées par les banques introductrices, selon une étude de l'OCDE. L'organisation enjoint les autorités d'agir pour renforcer la concurrence.

L'OCDE ne mâche pas ses mots sur l'optimisation fiscale des multinationales, elle ne prend pas de gants non plus quand il s'agit des pratiques des grandes banques d'investissement sur le marché des introductions en Bourse. Dans son rapport annuel "Perspectives 2017 sur l'entreprise et la finance" paru ce mardi, le "club des pays riches", comme on surnomme volontiers l'Organisation de coopération et de développement économiques, pointe un doigt accusateur sur des pratiques qui s'apparentent à de la "collusion tacite".

"La concurrence sur les marchés des financements sur fonds propres doit être renforcée", fait valoir le rapport.

Ce document de 170 pages prône le renforcement de la coopération internationale afin d'établir des règles du jeu équitables, "pour que la mondialisation profite à tous", insiste le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurría. Il analyse la nette baisse du nombre d'entrées en Bourse ces dernières années au niveau mondial, tandis que l'émission de dette obligataire d'entreprises a explosé. Même si l'on notera que l'année 2017 a démarré sur un record d'introductions depuis 2007 au premier trimestre selon le dernier baromètre d'EY.

[Nombre d'introductions en Bourse d'entreprises en croissance aux Etats-Unis, en Europe et au Japon de 1994 à 2016, et montants en milliards de dollars. Crédits : Business and Finance Scorecard 2017 OCDE]

Et l'OCDE s'inquiète de ce tarissement du sang neuf sur les marchés d'actions. Car le financement en capital sur les marchés, par rapport à la dette, est déterminant pour l'innovation et la croissance économique à long terme, souligne l'organisation.

Les commissions : plus de 60% des coûts d'IPO

Le rapport relève qu'on évoque souvent l'inflation des coûts d'une entrée en Bourse depuis l'éclatement de la bulle Internet, notamment du fait des exigences accrues en matière de conformité et de reporting, mais qu'il est un aspect négligé, celui des frais à payer aux banques introductrices, qui garantissent l'opération (les "underwriters" dans le jargon). Ces commissions représentent de loin le coût direct le plus élevé d'une introduction en Bourse pour une entreprise, au moins 60% du total.

[Part des commissions aux banques (en bleu), des frais juridiques (en vert), comptables (en gris) d'impression (en orange) et autres (en noir) dans la totalité des coûts, en pourcentage des fonds levés lors d'une introduction par une grande et une petite entreprise aux Etats-Unis, au Japon, en Chine. Crédits : OCDE]

Ces coûts sont élevés, d'après les calculs de l'OCDE : "Le coût moyen d'une introduction en Bourse d'une valeur inférieure à 100 millions de dollars oscille entre 9% et 11% de la valeur de la transaction." Les entreprises les plus grandes et les plus en vue sont les mieux placées pour négocier : Snap Inc, qui a réalisé la plus grosse IPO de l'année à Wall Street, n'aurait payé que 2,5% de commissions à ses banques, Morgan Stanley et Goldman Sachs en tête, qui ont tout de même empoché un total de 85 millions de dollars sur cette opération.

Les entreprises européennes, qui ont le plus déserté les marchés d'actions, sont pourtant les mieux loties : le niveau médian des commissions des banques introductrices est tombé sous les 3% en 2016. En Chine, le tarif médian a doublé en sept ans, à 7%. Au Japon, il atteint 8%.

[Niveau médian des commissions, en pourcentage des fonds levés, pour une introduction et une émission obligataire d'entreprise, aux Etats-Unis, en Europe, au Japon et en Chine, entre 2000 et 2016. Crédits : OCDE]

"Parallélisme tarifaire"

Or, le niveau des commissions facturées par les banques, censées être en compétition sur les deals, diverge peu. Dans un contexte de perte de parts de marchés des banques européennes et américaines au profit des chinoises, l'OCDE remarque que le modèle du tarif unique et celui des opérations à plusieurs banques introductrices, plutôt qu'un chef de file unique, se sont généralisés.

"Le niveau élevé des commissions et le parallélisme tarifaire, qui s'apparente à une collusion tacite, semblent avoir augmenté. Ceci renchérit le coût des fonds propres et nuit à l'investissement productif de long terme".

Et l'OCDE enjoint les autorités d'agir :

"Le fait que les commissions d'underwriting ne se soient pas ajustées après la crise financière soulève d'importantes interrogations sur la structure concurrentielle de la banque d'investissement et l'attitude des régulateurs à ce sujet. Un examen plus approfondi des conditions concurrentielles sur ces marchés serait précieux."

 L'organisation relève que, s'il y a bien collusion, autrement dit entente, il y a des "instruments" pour traiter ce problème de droit de la concurrence.