La loi Macron de mobilité bancaire a-t-elle fait pschitt ?

Par Delphine Cuny  |   |  1091  mots
Depuis février 2017, le client n'a plus qu'à signer un mandat de mobilité bancaire avec sa nouvelle banque, qui s'occupe de tout et se met en relation avec l'ancienne banque et les émetteurs de prélèvement ou virement. Selon la Fédération bancaire française, plus d'un million de demandes de mobilité ont été traitées en un an. (Crédits : DR)
Il y a un an, la loi facilitant les démarches pour changer de banque est entrée en vigueur. Pas de mouvement massif à la Free Mobile mais tout de même un million de demandes de mobilité et des acteurs satisfaits dans l'ensemble.

Depuis le 6 février 2017, il est plus facile de changer de banque. La loi Macron sur la mobilité bancaire oblige les banques à s'occuper gratuitement de toutes les démarches au nom de leur nouveau client, afin d'assurer la continuité des virements et des prélèvements réguliers, si celui-ci a signé un mandat de mobilité bancaire. Une entrée en vigueur intervenue dans un paysage concurrentiel très dynamique, avec le lancement, repoussé à novembre dernier d'Orange Bank, et l'arrivée d'une multitude de néobanques comme l'allemande N26 et nouvelles offres à petits prix, comme C-Zam de Carrefour ou Eko du Crédit Agricole.

Une plateforme interbancaire a été mise en place pour automatiser les flux d'informations : la Fédération bancaire française (FBF) indique que plus d'un million de demandes de mobilité ont été traitées en un an.

Problème : on ne dispose pas de statistiques précises pour comparer, même si des services d'aide à la mobilité existaient déjà, mais pas toujours gratuits.

« Il y a eu une légère augmentation de la mobilité bancaire, qui était de l'ordre de 3,5% à 4% par an, et que l'on peut estimer à environ 5% par an », avance Olivier Luquet, le directeur général d'ING Direct.

Chez BNP Paribas, Thierry Laborde, le directeur général adjoint et responsable des Marchés domestiques (dont la banque de détail en France, y compris Compte Nickel et Hello bank), estime qu'environ 3 millions de Français ouvrent un nouveau compte par an, soit de l'ordre de 6%.

« Mais les gens clôturent peu leurs comptes, ils le gardent en se disant "on ne sait jamais !"  Il n'y a pas davantage de transferts avec fermeture de compte qu'avant, il y a eu plutôt des flux rapatriés. Ceci s'explique aussi parce que les néobanques ont une proposition de valeur moins large que les groupes bancaires », nous confie-t-il.

Record de fidélité en Europe

Dans l'ensemble, la plupart des banques se félicitent de ce nouveau dispositif. Même s'il y a eu quelques ratés au démarrage.

« Toutes les banques n'étaient pas prêtes le 6 février 2017, trois ou quatre en particulier, il a fallu environ six mois pour que ce soit fluide. Mais ce n'était pas volontaire, plutôt lié à une complexité informatique », indique Grégory Guermonprez, le directeur France de Fortuneo, la banque en ligne de Crédit Mutuel Arkéa. « Le dispositif plaît puisque 80% des clients qui décident de domicilier leurs revenus chez nous utilisent le mandat de mobilité bancaire », précise-t-il.

Benoît Grisoni, le directeur général du concurrent Boursorama Banque (filiale de Société Générale), relève que « techniquement, il s'agissait d'un vrai challenge dans les délais prévus par la loi, mais le dispositif fonctionne très bien aujourd'hui ». La banque en ligne, leader français avec 1,2 million de clients, dont plus de 300.000 conquis en net l'an dernier, « aurait capté 7% des clients qui ont changé de banque tout en n'en perdant quasiment aucun (0,2% du panel seulement) » selon un sondage Arcane Research de septembre dernier.

« La mobilité bancaire est un processus mûrement réfléchi par les Français, qui, pour rappel, détiennent le record d'ancienneté en Europe, 20 ans en moyenne. Ils ne se lèvent pas le matin en se disant "aujourd'hui, je change de banque". Et c'est à nous, banquiers, de rappeler régulièrement la simplicité du dispositif », observe Benoît Grisoni.

Plusieurs banques en ligne proposent d'ailleurs des dispositifs de mobilité partielle, permettant aux clients de choisir quels virements et prélèvements ils souhaitent transférer de leur ancienne banque, avant de sauter le pas complètement.

« Nous avons eu deux fois plus de demandes de mobilité entrante que sortante. Pour un client parti, trois nous ont rejoints et en clôturant leurs comptes dans l'ancienne banque. C'était notre objectif : nous ne sommes pas dans une course aux volumes car nous avons déjà la taille critique », fait valoir de son côté le dirigeant d'ING Direct, qui revendique un million de clients.

Etendre la mobilité à l'épargne

Plusieurs acteurs évoquent un pic d'activité dans les premiers mois ayant suivi l'entrée en vigueur de la loi, puis une certaine normalisation. Mais pas de big-bang, de bouleversement semblable à l'arrivée tonitruante de Free dans le mobile, peut-être parce que les banques en ligne offrent déjà une alternative très compétitives. Surtout, ils sont nombreux à pointer l'un des principaux freins à la mobilité bancaire : le fait que la loi ne s'applique qu'aux comptes courants, qu'aux comptes de dépôts à vue classiques. Pas au prêt immobilier par exemple, même s'il est possible de négocier avec la nouvelle banque les conditions de rachat de cet emprunt. Ni aux comptes d'épargne.

« La loi Macron est sans doute en deçà de son potentiel : on pourrait notamment étendre le dispositif de mobilité à l'ensemble des produits d'épargne », relève le dirigeant d'ING Direct.

L'association UFC-Que Choisir demande ainsi aux pouvoirs publics d'aller plus loin en instaurant « la gratuité des transferts de comptes d'épargne réglementés (CEL, PEL) » et un système de « portabilité bancaire » sur le modèle de ce qui existe dans la téléphonie mobile. Mais ce serait beaucoup plus compliqué, du fait des questions de fiscalité notamment.

Selon une étude du comparateur Panorabanques, le transfert d'un PEL coûterait en moyenne 81 euros et celui d'un PEA plus de 155 euros.

« Il serait opportun d'élargir la mobilité aux livrets d'épargne notamment, puis aux placements de long terme comme les placements en Bourse et l'assurance vie », plaide Grégory Guermonprez de Fortuneo. « Il faudrait passer à la loi Macron 2, à une deuxième étape. »

Les challengers y voient bien sûr un moyen de faire basculer les clients vers la banque en ligne : « la loi Macron va créer une dynamique importante à long terme » selon le patron d'ING Direct, qui prédit que « le taux de pénétration des banques digitales devrait doubler dans les quatre prochaines années », contre environ 10% actuellement selon une étude Simon Kucher & Partners.

Même certaines banques traditionnelles y sont favorables. Pour Thierry Laborde, de BNP Paribas, « la loi ne concerne que le compte courant : il faudra bouger sur le reste aussi. C'est une tendance, le pourcentage de clients ouvrant de nouveaux comptes augmente. Je pense que les groupes bancaires, qui ont une offre très large, seront gagnants », estime-t-il.

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