« Il y aura une multitude de bâtiments du futur »

[ #COP21 ] Pour Étienne Crépon, tout devra être orchestré pour que les entreprises du bâtiment, qui font face à une demande toujours plus exigeante, surfent sur les transitions énergétique et numérique. Il ne cache pas que la rénovation lui semble aujourd’hui l’un des principaux moteurs de l’innovation.
Étienne Crépon, président du Centre supérieur et technique du bâtiment (CSTB)

LA TRIBUNE - Quelle phase d'évolution vit aujourd'hui le secteur du bâtiment ?

ÉTIENNE CREPON — Le secteur du bâtiment fait actuellement face à trois grands changements, dont deux évolutions technologiques de fond : d'une part la transition énergétique ; de l'autre la transition numérique, qui va apporter un changement phénoménal, comme cela a été le cas dans beaucoup d'autres secteurs.

Le troisième changement est de nature sociétale : progressivement, les exigences des clients des entreprises du bâtiment sont de plus en plus dictées par des critères de performance, qu'elle soit énergétique, thermique, acoustique, etc. De toute évidence, nous assistons à un glissement d'une logique de moyens vers une logique de qualité de performance.

Les professionnels du bâtiment ont-ils la capacité à surfer sur ces transitions ?

Je le pense, mais il faut toutefois noter que l'effet de l'innovation dans l'industrie du bâtiment n'est pas encore assez clairement défini. Or, les exigences de résultats sont telles que, dans l'incertitude, les acteurs de la construction pourraient être amenés à se replier dans un premier temps sur des solutions qu'ils maîtrisent, et donc de négliger certains produits innovants.

Autrement dit, le risque existe que cette évolution d'une exigence de moyens vers une exigence de résultats puisse engendrer une certaine réticence face à l'innovation de la part de certains acteurs du bâtiment.Il faudrait en fait que le niveau de performance de toutes les innovations soit connu des acteurs du secteur. Les pouvoirs publics ont impulsé une dynamique à travers la modernisation des procédures d'évaluation des produits innovants comme les « avis techniques » (ATec), mais ce sera aux acteurs de la construction de porter les innovations.

N'est-ce pas tout simplement trop cher d'innover ?

Non, si l'on se fie à un sondage récent que nous avons réalisé, on constate que les entreprises du bâtiment ne perçoivent pas l'innovation comme un facteur de hausse des coûts.

Est-il possible qu'in fine, les acteurs du bâtiment n'empruntent pas la voie 
de l'innovation ?

Je ne pense pas, car, à partir du moment où il y a une demande, on peut être certain qu'il y aura des acteurs pour y répondre, qu'ils soient déjà implantés ou qu'ils soient de nouveaux entrants. Aujourd'hui, dans le bâtiment, en France, 60% des innovations sont le fruit de TPE et de PME. On constate par ailleurs que ces innovations sont le fait à 40% d'entreprises étrangères, toutes dimensions confondues (grandes entreprises, ETI, PME ou TPE). Dans un marché ouvert, les clients vont chercher des produits qui correspondent à leurs besoins. Cette évolution semble inéluctable.

Que font les pouvoirs publics pour soutenir la transition énergétique et rassurer 
les professionnels du bâtiment ?

Les pouvoirs publics soutiennent la rénovation thermique des parcs résidentiels social et privé, notamment grâce au budget de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et aux différentes aides budgétaires de l'État. La loi pour la transition énergétique, portée par la ministre de l'Écologie, Ségolène Royal, va plus loin et renforce les exigences en matière de rénovation des bâtiments. Elle incite à la recherche de solutions nouvelles, plus performantes énergétiquement.

Du côté du numérique, le « plan transition numérique dans le bâtiment », lancé par la ministre du Logement Sylvia Pinel, mobilisera 20 millions d'euros pour faire entrer la filière dans l'ère du numérique. Cette initiative est d'autant plus positive qu'elle arrive à un moment où les acteurs du bâtiment risquent de se retrouver un peu démunis face à la multiplicité des enjeux. La mise en place de ce plan a par ailleurs permis aux acteurs concernés d'échanger et de co-construire la transition numérique dans le bâtiment.

Peut-on attendre de la maquette numérique qu'elle soit utilisée par tous les acteurs du bâtiment ?

Il y a une prise de conscience de tous les acteurs, des plus grands groupes aux TPE, sur la nécessité de se servir de cet outil. À notre modeste niveau, nous constatons un intérêt grandissant de tous les acteurs qui souhaitent se saisir du sujet, le découvrir et se former. La maquette numérique présente une évolution majeure à court terme pour la conception et la réalisation des bâtiments et des quartiers et, à moyen terme, pendant tout le cycle de vie du bâtiment, puisqu'elle permettra notamment d'en optimiser la gestion dans le temps et d'anticiper sa transformation ou sa déconstruction.

On dit par ailleurs souvent que le principal moteur de l'innovation dans le bâtiment est la rénovation énergétique...

Clairement, la rénovation est aujourd'hui l'un des principaux moteurs de l'innovation. En outre, c'est un fabuleux gisement d'emplois ! Il faut dire qu'à l'avenir, c'est bien sur l'ancien qu'il va falloir travailler : en France on construit au total au maximum 50 millions de mètres carrés par an, tous types d'immobiliers confondus, mais c'est 60 fois moins que le parc immobilier existant ! Pour assurer la transition énergétique, l'enjeu essentiel est donc d'améliorer la performance énergétique des bâtiments existants.

Au regard de toutes ces évolutions, quel sera, selon vous, le bâtiment du futur ?

On peut espérer qu'il n'y aura pas un bâtiment futur, mais une multitude. Il ne faut pas reproduire les erreurs des années 1960-1970 qui consistaient à construire dans les zones d'urbanisation prioritaires un modèle unique de bâtiment.

Du reste, je pense que les bâtiments du futur auront trois caractéristiques : ils seront communicants, évolutifs et performants pour l'environnement. Ils seront communicants, car ils intégreront toutes les technologies de l'information qui communiqueront entre elles, et permettront de renseigner en temps réel sur l'état de vie du bâtiment.Ensuite, je pense que les bâtiments du futur seront évolutifs.

En effet, nous constatons désormais que le parcours résidentiel des ménages n'est plus aussi linéaire qu'il y a quarante ou cinquante ans, tant dans la vie personnelle que dans la vie professionnelle : il y a davantage de changements professionnels, plus de couples séparés, de regroupements familiaux, etc.

À cela s'ajoute le souhait des personnes âgées de rester le plus longtemps possible chez elles, ce que permettent les technologies nouvelles, mais en imposant une adaptation du logement. Tout ceci fait évoluer les besoins. Je pense qu'en conséquence, nous ne serons plus dans une logique d'espaces figés à l'intérieur d'un bâtiment. La possibilité de modifier l'usage des pièces dans le temps sera prévue dès la conception du bâtiment. Il y aura davantage d'espaces polyvalents et adaptables aux évolutions de la vie des occupants, qu'il s'agisse des ménages ou des entreprises.

Enfin, il semble indispensable que le bâtiment, voire le quartier, soit, à l'avenir, conçu à l'aune d'une analyse globale respectant l'environnement. Et ce pour l'ensemble des domaines que sont la performance énergétique, la consommation d'eau, la baisse des émissions de gaz à effet de serre, la préservation de la biodiversité, etc.

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