Pologne : les trois contrats convoités par les industriels de l'armement français

Par Michel Cabirol  |   |  1440  mots
La visite de François Hollande en Pologne devrait faire avancer la relation bilatérale dans le domaine de la défense entre Varsovie et Paris
Accompagné d'une trentaine de chefs d'entreprise, François Hollande est ce vendredi en Pologne pour une visite très politique. Une occasion pour Paris de pousser les dossiers des industriels de la défense qui visent trois contrats majeurs.

Et si c'était enfin le déclic entre la Pologne et la France. La plupart des industriels de l'armement français auront leurs yeux rivés ce vendredi vers la Pologne, où se rend François Hollande pour une visite très politique. Trois à quatre contrats en cours de négociations les intéressent au plus haut point : un système de défense aérienne, des hélicoptères de transport et des sous-marins, voire plus tard des corvettes. Ce sera l'occasion de pousser ces dossiers lors des discussions entre le président français et son homologue polonais, Bronislaw Komorowski.

Selon des sources concordantes, Jean-Yves Le Drian - à condition qu'il parvienne à s'extraire du débat à l'Assemblée nationale - pourrait signer ce vendredi trois LOI (Letter of Intent) avec le ministre polonais de la Défense, Tomasz Siemoniak : naval (sous-marins et corvettes), aéroterrestre (hélicoptères) et, enfin, aérospatiale (spatial, avions ravitailleurs, avions de transport et défense aérienne). Trois LOI qui vont permettre aux industriels français de travailler dans un cadre formalisé, l'objectif étant qu'ils parviennent à travailler étroitement avec les groupes de défense polonais.

Rapprochement franco-polonais dans la défense

La signature de ces LOI découle de la visite le 8 mai dernier à Paris de Bronislaw Komorowski, invité à commémorer le 68e anniversaire de la victoire des alliés sur le nazisme lors de la Seconde Guerre mondiale. François Hollande, en compagnie du président polonais, avait déposé une gerbe au pied de la statue du général de Gaulle. Puis, ils avaient remonté l'avenue des Champs Elysée entourés de la garde républicaine pour ranimer, ensemble, la flamme du Soldat inconnu au pied de l'Arc de triomphe. A cette occasion François Hollande et Bronislaw Komorowski avaient signé une LOI générale fixant le cadre d'une coopération dans la défense entre la Pologne et la France.

Ce rapprochement franco-polonais dans le domaine de la défense pourrait mettre fin à une période de disette pour les industriels français, qui font régulièrement un « bide » commercial à Varsovie. Sur la période 2007 et 2011, la Pologne, qui préfère acheter américain, allemand ou israélien, a ainsi royalement commandé à l'industrie tricolore 54,7 millions d'euros d'équipements militaires, selon le dernier rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France publié en octobre 2012. D'une façon plus générale, Paris souhaiterait opérer un rééquilibrage des relations commerciales avec la Pologne dont l'Allemagne est devenu le premier partenaire avec près de 26 % du marché polonais contre 6 % seulement pour la France.

Modernisation des forces armées polonaises

La Pologne, engagée dans un vaste programme de modernisation de ses forces armées, entend dépenser à cette fin 140 milliards de zlotys (33,3 milliards d'euros) au cours des prochaines années.

Contrairement aux autres pays européens, la Pologne, membre de l'Otan depuis 1999, n'a rien sacrifié de son budget Défense à la crise. En vertu d'une loi de 2001, ce budget reste fixé à 1,95 % du PIB. Cette année, il s'élève à 31,17 milliards de zlotys (7,4 milliards d'euros), dont plus du quart est consacré à la modernisation.

La Pologne proche de l'Allemagne

Les Allemands restent toutefois très présents en Pologne, qui a prévu de consacrer un budget de 2 milliards d'euros jusqu'à 2022 à l'achat de blindés. Ainsi, Varsovie va acheter 119 chars d'assaut Leopard d'occasion vendus par l'armée allemande, une transaction estimée à 180 millions d'euros, a annoncé vendredi dernier le ministère polonais de la Défense dans un communiqué. Les ministres polonais et allemand de la Défense, Tomasz Siemoniak et Thomas de Maizière, ont signé à Poznan (ouest) ce contrat portant sur 105 chars en version 2A5 et 14 chars en version 2A4, ainsi que sur 200 autres véhicules et pièces d'armements de soutien logistique, technique et d'entrainement.

L'armée polonaise dispose déjà de 128 chars Leopard 2A4, fabriqués dans les années 80 et modernisés en Pologne pour l'équivalent de plus de 200 millions d'euros. Après l'acquisition du nouveau matériel, "la Pologne sera parmi les plus importants utilisateurs de cette marque dans le monde", selon le communiqué. La Pologne, ancien pays du Pacte de Varsovie devenu membre de l'Otan en 1999, dispose actuellement d'environ 900 chars d'assaut, dont les 128 Leopard 2A4, et des véhicules de conception soviétique PT-91 et T-72.

Des contrats majeurs

Par ailleurs, Berlin lorgne avec insistance la vente de trois sous-marins à la Pologne (plus de 1,5 milliard d'euros). Le ministère de la Défense polonais est en train de préparer un appel d'offre favorable au groupe naval allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS). Car après une étude, le ministère s'est rendu compte que les U212A ne satisfont pas à toutes les exigences obligatoires de la marine polonaise, dont notamment le système de propulsion du sous-marin et le système de sauvetage.

Outre l'appel d'offre pour l'acquisition de trois sous-marins visé par DCNS avec le Scorpène, la Pologne a prévu de consacrer un budget de plus de 6 milliards jusqu'à 2022 à l'acquisition de systèmes de missiles de courte et moyenne portée (défense aérienne). En concurrence, l'américain Raytheon associé au norvégien Kongsberg, l'israélien Rafael et le missilier européen MBDA, associé au polonais Polish Defense Holding (PHO), ex-Bumar.

Eurocopter vise un contrat de 3 milliards

Eurocopter met les gaz en Pologne. La filiale hélicoptériste d'EADS est en compétition pour remporter un appel d'offre estimé à 3 milliards d'euros environ pour la fourniture de 70 hélicoptères multirôles (versions tactique, navale et de sauvetage). Si Eurocopter gagne ce contrat face à l'italien AgustaWestland et l'américain Sikorsky, le constructeur européen et le motoriste Turbomeca installeront respectivement deux chaînes d'assemblage pour l'EC725 chez l'industriel polonais WZL 1 basé à Lodz.

DCNS surveille également un appel d'offre pour l'acquisition de trois corvettes et de trois OPV (Offshore patrol vessel), qui pourrait être lancé en 2014. Un contrat estimé à 1 milliard d'euros, qui intéresse aussi TKMS associé à son compatriote Lürssen, le néerlandais Damen et l'italein Fincantieri. Enfin, Nexter attend de son côté l'arme au pied la modernisation de l'artillerie polonaise. Varsovie souhaiterait consacrer un budget de plus de 1,5 milliard d'euros mais n'a pas lancé de processus d'acquisition pour des canons de 155 mm, des lanceurs MLRS (lance-roquettes multiple)...

La Pologne prête à coopérer dans les drones

Plusieurs pays européens, dont l'Allemagne, la France et la Pologne, se sont engagés la semaine dernière à lancer des programmes communs sur les drones, avec l'ambition de produire la prochaine génération d'avions sans pilote à partir de 2020 à l'échelle européenne. Réunis à Bruxelles, les ministres de la Défense ont approuvé une série de projets de développement de drones MALE (moyenne altitude, longue endurance), l'une des lacunes les plus criantes de l'industrie européenne de défense.

Le lancement de ces programmes devrait être validé par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE au cours de leur sommet de décembre, consacré en partie à la défense. "Si l'Europe veut garder une capacité stratégique, il faut que les pays mutualisent, de manière pragmatique, leurs capacités et leurs actions", a expliqué le ministre Jean-Yves Le Drian à l'issue de la réunion. Il s'est félicité de la création du "club des pays utilisateurs de drones", qui entendent coopérer dans l'entraînement, la certification, la logistique, la maintenance et le développement des avions pilotés à distance. Ce "club" est formé initialement de sept pays: Allemagne, France, Espagne, Grèce, Italie, Pays-Bas et Pologne.

Israël pris la main dans le sac en Pologne

Le général Waldemar Skrzypczak, vice-ministre polonais de la Défense, responsable des contrats d'armements, a annoncé jeudi avoir présenté sa démission, suite aux accusations d'irrégularités concernant les appels d'offres. "Je fais l'objet d'attaques injustes qui sont devenues un poids trop lourd pour le Premier ministre, son gouvernement et le ministre de la Défense", a affirmé le général Skrzypczak, 57 ans, pour justifier sa démission, dans une déclaration publiée sur le site de son ministère.

Le général fait l'objet depuis septembre d'une enquête du parquet suite à des soupçons de corruption qu'il a toujours rejetés. Le quotidien polonais "Gazeta Wyborcza" a toutefois publié récemment le facsimilé d'une lettre adressée en mars à un haut responsable du ministère israélien de la Défense, où il semblait favoriser une société israélienne dans un appel d'offres pour l'achat de drones par l'armée polonaise.