Armement : quelles sont les armes de la France pour séduire la Pologne ?

Par Michel Cabirol  |   |  2041  mots
Le système de défense aérienne (MBDA et Thales) est l'un des équipements de haute technologie que la France propose à la Pologne. C'est aussi le cas des hélicoptères Caracal et Tigre (Airbus Helicopters) ainsi que les sous-marins Scorpène (DCNS)
Les industriels français sont en compétition pour quatre grands appels d'offre en Pologne : 70 hélicoptères de transport Caracal et 32 d'attaque Tigre (Airbus Helicopters), trois sous-marins Scorpène (DCNS) et huit systèmes de défense aérienne SAMP/T (MBDA et Thales).

C'est ce lundi que s'ouvre le salon MSPO Expo à Kielce (Pologne) premier rendez-vous de la rentrée pour les industriels de la défense du monde entier après la trêve estivale. Un rendez-vous très important pour les industriels tricolores, qui sont engagés dans trois campagnes commerciales d'envergure : renouvellement de la flotte d'hélicoptères de transport (70 appareils), puis d'attaque (32) des forces armées polonaises, acquisition d'un système de défense aérienne et, enfin, de trois sous-marins à propulsion conventionnelle. Un rendez-vous toutefois compliqué pour la France en raison de la crise ukrainienne qui doublonne avec la livraison des deux Bâtiments de commandement et de projection (BPC) de type Mistral (DCNS) à la Russie.

Pour autant, les industriels de l'armement français ont remis de belles propositions pour convaincre Varsovie de s'offrir enfin des matériels tricolores. Et les Polonais ont vraiment tout à gagner sur le volet industriel à choisir du "Made in France". Car pour les séduire, les industriels français ont joué à fond le jeu de la coopération industrielle. Souvent bien plus que leurs rivaux américains (défense aérienne) et allemands (sous-marins). Aussi bien Airbus Helicopters que DCNS et le GIE Eurosam (MBDA et Thales) ont inclus dans leur offre une participation industrielle substantielle des groupes de défense polonais à condition bien sûr de remporter les contrats. Enfin, il est très improbable que la Pologne ne choisisse pour les trois compétitions que des groupes tricolores, qui se livrent donc entre eux à une rivalité franco-française acharnée.

Face à la crise ukrainienne, le gouvernement polonais a décidé d'accélérer un certain nombre d'opérations d'acquisitions. C'est le cas pour les hélicoptères d'attaque et le système de défense aérienne de moyenne portée. Auparavant, Varsovie avait décidé de lancer un plan très ambitieux de modernisation de son armée (2013-2022) et a prévu de consacrer 33,6 milliards d'euros pour la rééquiper. Contrairement aux autres pays européens, la Pologne, membre de l'Otan depuis 1999 et de l'Union européenne depuis 2004, n'a rien sacrifié de son budget Défense à la crise. En vertu d'une loi de 2001, ce budget reste fixé à 1,95 % du PIB. En 2014, il s'élève à 32 milliards de zlotys (7,7 milliards d'euros), dont plus du quart est consacré à la modernisation. Récemment, le président polonais Bronislaw Komorowski s'est engagé à porter le budget défense de son pays à 2 % du PIB.

Airbus Helicopters a misé gros sur la Pologne

La compétition : l'armée polonaise souhaite acquérir 70 hélicoptères de transport pour un montant estimé entre 2,5 et 3 milliards d'euros. "C'est le contrat de la décennie en Europe", estime-t-on chez Airbus Helicopters. Les trois compétiteurs - l'italien AgustaWestland (AW149), Airbus Helicopters (Caracal ou EC725) et l'américain Sikorsky (S-70) - doivent remettre fin septembre leur proposition. Une décision est attendue fin 2014, voire début 2015. La compétition se jouerait entre le Caracal et le S-70, explique-t-on à La Tribune. Les PDG d'Airbus Helicopters (Guillaume Faury) et de Turbomeca (Olivier Andriès) feront lundi une conférence commune.

Ce que propose Airbus Helicopters : Après avoir pris du retard à l'allumage en Pologne, le constructeur franco-allemand a mis les gaz pour rattraper ses concurrents partis plus vite et déjà bien installés en Pologne. La filiale d'Airbus Helicopters souhaite que la Pologne devienne l'un de ses piliers pays au même titre que la France et l'Allemagne. Ainsi, le PDG d'Airbus Helicopters Guillaume Faury compte jouer la carte européenne et démontrer que cet appel d'offres peut déboucher sur des partenariats plus globaux. "Nous sommes convaincus de la capacité d'Airbus Group de proposer des produits mais aussi d'offrir l'opportunité pour l'industrie polonaise de prendre part à un rôle plus important, de participer à l'avenir à des programmes d'envergure, que ce soit des programmes militaires ou civils, que le groupe Airbus lance et développe par nature", avait expliqué son PDG, Guillaume Faury, lors du salon de Farnborough en juillet.

Dans le cadre de cette campagne stratégique, le constructeur basé à Marignane a signé en 2013 un accord industriel avec le polonais WZL 1. Cette entreprise basée à Lodz et spécialisée dans la maintenance aéronautique assemblera le Caracal si le constructeur franco-allemand gagne la compétition. De son côté, le motoriste et partenaire d'Airbus Helicopters dans cet appel d'offre, Turbomeca (groupe Safran), installera également une chaîne d'assemblage pour les turbines de l'EC725. Safran a pour sa part une usine implantée à Sedziszow Malopolski dans le sud-est de la Pologne (Hispano-Suiza) et qui emploie plus de 500 personnes. Elle produit des pignons et des carters pour les transmissions de puissance et fait le montage. Elle produit des composants pour moteurs d'avions, d'hélicoptères et de nacelles.

En outre, l'armée polonaise a véritablement découvert les qualités de l'EC725 présenté par Airbus Helicopters à Kielce en 2012. Elle s'est montrée très intéressée par cet appareil, qui correspond bien à ses besoins opérationnels et qui a fait ses preuves au combat (combat proven) en Afghanistan, en Libye et au Mali même si dans ce pays du Sahel, les turbines ont souffert. Mais en règle général, l'EC725 s'est très bien comporté sur tous ces théâtres d'opération. Mieux en tout cas que les deux autres appareils en compétition.

Ce que propose la concurrence : AgustaWestland et Sikorsky ont également des accords industriels avec des groupes polonais s'ils remportent la compétition. Le groupe italien a racheté en 2010 l'usine de PZL à Swidnik (sud), qui produit des hélicoptères Sokol utilisés dans les opérations de sauvetage, la lutte contre les incendies et le transport, notamment militaire. Ils sont vendus en Pologne, en République tchèque et en Corée du Sud. Sikorsky Aircraft produit, quant à lui, dans son usine de Mielec (sud) sa nouvelle version de l'hélicoptère Black Hawk, S70i, destinée à l'exportation.

Extraballe : Pour ceux qui ont perdu, une seconde chance d'offre à eux. Le ministère polonais de la Défense polonais a lancé début juillet un programme d'achat d'hélicoptères (une trentaine), estimé à près d'un milliard d'euros. Il pourrait équilibrer leur choix, comme au Qatar (hélicoptères de transport pour la France, d'attaque pour les Etats-Unis); Le lancement de cette opération a été avancé de quelques années à la suite de la crise en Ukraine. Airbus Helicopters concourt avec le Tigre contre l'Apache de l'américain Boeing et l'AW-129 Mangusta d'AgustaWestland. Les constructeurs intéressés avaient jusqu'au 1er août pour manifester leur volonté de participer à une étude du marché. Une demande d'informations (RFI) sera lancée mi-octobre et un appel d'offre (RFP) est attendu en 2015.

MBDA et Thales, l'offre qui ne se refuse pas ?

La compétition : la Pologne prévoirait de consacrer un budget de plus de 6 milliards jusqu'à 2022 à l'acquisition d'un ensemble de systèmes de missiles de courte et moyenne portée (défense aérienne). Le volet moyenne portée (programme Wisla) devrait s'élever à 4 milliards d'euros pour huit batteries. Et le match oppose l'industrie américaine (Raytheon avec le Patriot) à celle d'Europe (MBDA/Thales via le GIE Eurosam avec le système SAMP/T armé de missiles Aster 30).

Thales et Raytheon ont été retenus fin juin par Varsovie comme les deux seuls candidats encore en lice. Les offres du gouvernement israélien et du groupe américain Lockheed Martin n'ont pas été retenues. La Pologne devra donc choisir entre un achat sur étagère (États-Unis) et une coopération industrielle poussée avec l'Europe. Le PDG de MBDA Antoine Bouvier, et le numéro deux de Thales Patrice Caine feront une conférence commune à Kielce pour présenter leur offre, qui sera remise avant la fin du mois de septembre (offre définitive et ferme).

Ce que proposent MBDA et Thales : Bon élève, Eurosam a collé au plus près des demandes de la Pologne. Ainsi, le GIE propose le système SAMP/T, un système européen déjà opérationnel dans les pays de l'OTAN, donc compatible Alliance atlantique. Le SAMP/T bénéficie des dernières technologies, dont la capacité ATBM. En Turquie, faut-il rappeler qu'il est arrivé en deuxième position derrière le système chinois CPMIEC (China Precision Machinery Import-Export Corp.) mais devant les américains Lockheed Martin/Raytheon (PAC-3). Et comme les Polonais ont suivi avec beaucoup d'attentions le déroulement de cette compétition, le système SAMP/T a toutes ses chances en Pologne si l'on évacue le volet politique d'un tel appel d'offre.

D'ailleurs, ce sont les Polonais eux-mêmes qui ont demandé à Eurosam de concourir alors que le GIE n'avait pas été invité à participer en 2013 au dialogue technique. Clairement, les Polonais veulent aujourd'hui un système très vite opérationnel. Ce qui n'était pas le cas au début de la compétition. L'effet Ukraine ?

MBDA et Thales proposent un partenariat de haut niveau à la Pologne via un transfert de technologies (Tot) très élevé qui concerne aussi bien le missile que les fonctions Commande et Controle, les radars, les lanceurs et les communications (développement, production, intégration, tests, maintenance, formation...). Ce qui induira des milliers d'emplois à la clé pour Varsovie selon le degré du ToT négocié in fine. Ils proposent aussi un partenariat sur le long terme avec l'industrie polonaise, notamment la possibilité de rejoindre la feuille de route Aster grâce à la modernisation du système (Aster B1NT).

Si Eurosam gagne le contrat, les industriels français signeront des partenariats avec les groupes polonais Bumar PIT Radwar, Mesko et HSW filiales de la holding Polska Grupa Zbrojeniowa (PGZ). Des déclarations d'intention (Letter of Intent) ont déjà été signées. Thales a déjà une coopération étroite avec Radmor sur les postes de radio PR4G fabriqués en Pologne, ou encore la technologie IFF qui fait l'objet d'une coopération entre Thales et Radwar.

Enfin, les deux partenaires au sein d'Eurosam donnent, contrairement aux Américains, la maîtrise totale du système. Soit une indépendance opérationnelle de l'armée polonaise. Au-delà, la France propose un partenariat stratégique avec un choix d'un système européen pour participer à la construction de l'Europe de la défense et ne pas reposer uniquement sur les Etats-Unis.

Ce que propose Raytheon : Le groupe américain propose le système Patriot tel qu'il est, déjà déployés dans le nord de la Pologne, qui a en revanche spécifié que cet appel d'offre était indépendant du déploiement en 2018 d'un bouclier antimissile par les Etats-Unis. Les deux pays ont signé début juillet un accord sur la mise en place d'un bouclier antimissile révisé, malgré les objections de la Russie. Cet accord permet aux deux pays de stationner des intercepteurs de missile américains en territoire polonais afin de défendre le pays contre d'éventuelles menaces de l'Iran ou d'autres parties du monde.

DCNS, un travail de longue haleine pour convaincre Varsovie

La compétition : Varsovie veut acquérir dans le cadre du programme ORKA trois sous-marins pour un montant de plus de 1,8 milliard d'euros, dont le premier doit être livré en 2019, puis en 2022 et 2030. DCNS postule avec le Scorpène mais ThyssenKrupp Marine Systems AG (TKMS) reste le favori avec les U212A. Navantia (S-80) et les Coréens devraient également participer à la compétition. Longtemps, Varsovie a voulu procéder à une opération de gré à gré avec TKMS mais les Polonais y ont renoncé pour se conformer à la réglementation européenne.

Ce que propose DCNS : Le groupe naval a travaillé sur une offre très compétitive. DCNS propose notamment à la Pologne d'équiper les Scorpène du nouveau missile de croisière naval (MdCN) développé par MBDA. C'est clairement un plus par rapport aux offres concurrentes, notamment allemande. En outre, DCNS a offert à la Pologne, contrairement à TKMS, un transfert de technologies (ToT) ambitieux. C'est dans ce cadre que le groupe a signé en juillet un partenariat avec le groupe polonais MARS-Nauta, portant sur la construction et l'entretien en Pologne de sous-marins.