Armement : la France gèle la livraison des Mistral à la Russie

Par Michel Cabirol  |   |  890  mots
"Les conditions pour que la France autorise la livraison du premier BPC ne sont pas à ce jour réunies", estime l'ElyséeLa France
"Les conditions pour que la France autorise la livraison du premier BPC ne sont pas à ce jour réunies", a estimé l'Elysée.

C'est un très mauvais signal pour les exportations de la France dans le domaine de l'armement, notamment. Pour la première fois, l'Elysée, jusqu'ici inflexible, a émis des doutes sur la livraison des deux porte-hélicoptères (ou Bâtiment de projection et de commandement) de type Mistral à la Russie. "Le président de la République a constaté que, malgré la perspective d'un cessez-le-feu qui reste à confirmer et à être mis en œuvre, les conditions pour que la France autorise la livraison du premier BPC ne sont pas à ce jour réunies", a annoncé l'Elysée mercredi après un conseil de défense. Ce qui ne veut pas dire une annulation. Mais est-ce que c'est le début d'un renoncement ou simplement un gel tactique la veille de l'ouverture du sommet de l'OTAN de Newport, au Pays de Galles ?

Le premier des deux porte-hélicoptères, fabriqués par DCNS et STX Saint-Nazaire et promis à la Russie, devrait être livré en octobre et François Hollande avait jusqu'à présent toujours dit que le contrat serait honoré malgré la crise opposant l'Ukraine et la Russie. Toutefois, selon l'Elysée, "les actions menées récemment par la Russie dans l'est de l'Ukraine contreviennent aux fondements de la sécurité en Europe", peut-on lire dans le communiqué de la présidence française. Cette décision de Paris intervient à la veille du sommet Newport.

Le contrat Mistral, portant sur deux porte-hélicoptères, a été signé en 2011 pour 1,2 milliard d'euros sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le premier navire doit être livré en octobre, une échéance que beaucoup jugent aujourd'hui intenable compte tenu de l'aggravation de la crise ukrainienne.

ExxonMobil continue à faire des affaires en Russie

Alors que le géant pétrolier russe Rosneft et son partenaire américain ExxonMobil ont annoncé mardi le lancement de travaux d'exploration en mer de Laptev (Sibérie), les Etats-Unis ont une nouvelle fois dénoncé mercredi la vente par la France de navires de guerre à la Russie, au moment où les Européens s'apprêtent à renforcer leurs sanctions contre Moscou, accusée de participer directement aux combats dans l'est de l'Ukraine.

"Cette vente n'est pas la bienvenue compte tenu de ce qui se passe dans cette partie du monde", a déclaré l'ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'UE, Anthony Gardner, devant le Parlement européen. Il a admis que "si cette vente était annulée, il y aurait des sanctions importantes" de la part de la Russie contre la France. Ces derniers mois, la livraison du Mistral a été vivement critiquée par les Etats-Unis et en Europe, notamment par la Grande-Bretagne et la Lituanie. Le président américain, Barack Obama, a regretté que Paris n'ait pas choisi de suspendre le contrat controversé. Ces critiques pouvaient être ravivées cette semaine à l'occasion du sommet de l'Otan.

L'Inde observe la France

Les Européens se sont mis d'accord en juillet sur des sanctions économiques à l'encontre de Moscou, notamment une interdiction de vendre du matériel de défense. Cette interdiction ne vaut pas pour les contrats en cours, et ne remet donc pas en cause la livraison des deux Mistral. De nouvelles sanctions des Européens, à la fois individuelles et économiques, sont en préparation et devraient être présentées d'ici la fin de la semaine.

Selon plusieurs observateurs familiers des contrats export dans le domaine de la défense, l'Inde serait très attentive à ce que va faire la France à propos de la livraison des deux bâtiments de guerre. Et pour cause. New Delhi, qui a régulièrement des accrochages à ses frontières avec la Chine et le Pakistan, négocie le contrat du siècle avec Dassault Aviation.

L'Inde est entrée en janvier 2012 en négociations exclusives avec l'avionneur tricolore pour doter son armée de 126 avions Rafale, dont 108 produits localement par le groupe aéronautique Hindustan Aeronautics Ltd. Un contrat estimé au total à 18 milliards d'euros, armements et soutien compris. Il s'agirait du premier succès à l'exportation pour l'avion de combat français engagé avec succès sur les théâtres d'opérations afghan, libyen et malien.

Un contrat Rafale en bonne voie

L'accord va bientôt être conclu, a assuré le chef de l'armée de l'Air indienne au quotidien Hindustan Times mercredi. L'armée de l'Air ne peut pas se permettre de retarder encore la conclusion de cet accord, en phase finale de négociations depuis janvier 2012, a précisé le général Arup Raha. La conclusion de l'accord "va intervenir bientôt", a-t-il dit, tout en refusant de donner une date. Ces propos interviennent alors que l'un des concurrents du Rafale de Dassault Aviation, l'Eurofighter, tente de revenir dans la course pour ce contrat géant. Début juillet, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, avait vanté les atouts du concurrent du Rafale auprès du gouvernement indien.

"Cela ne serait pas approprié de modifier le processus maintenant. Le gouvernement a mis en œuvre un calendrier de travail et les choses avancent assez rapidement sur l'accord de l'avion de chasse", a ajouté le haut responsable militaire indien. En visite fin juin à New Delhi, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s'était déclaré "confiant" quant à une évolution rapide des discussions.