Berlin et Paris pilotent ensemble le futur avion de combat européen mais qui va tenir le manche

Par Michel Cabirol  |   |  1526  mots
La France et l'Allemagne vont s'associer pour lancer le futur système de combat aérien qui remplacera le Rafale (photo) et l'Eurofighter (Crédits : Dassault Aviation)
Incroyable mais vrai, la France et l'Allemagne vont lancer ensemble la première étape du futur système de combat aérien. Mais le projet devra surmonter beaucoup, beaucoup d'obstacles. En premier lieu, celui de confier ce programme aux industriels en fonction de leurs compétences et à un maître d'oeuvre ayant fait ses preuves.

C'est donc sur les terres allemandes, précisément au salon aéronautique de Berlin (ILA), que le futur système de combat aérien (SCAF) européen va voir le jour. Tout un symbole pour l'aéronautique militaire européenne dont le cœur battait jusqu'ici à Londres et à Paris. La ministre des Armées Florence Parly sera ce jeudi dans les allées du salon, dont la France est cette année le pays invité, avec son homologue allemande Ursula von der Leyen. Elles se rendront au salon à bord d'un Airbus A400M, symbole d'une coopération franco-allemande et européenne qui n'est... pas toujours réussie. Il est à  espérer que le futur système de combat aérien soit beaucoup mieux maîtrisé que ne l'a été l'A400M par Airbus.

Un document signé

"J'ai l'espoir que fin avril, lors du salon aéronautique de Berlin (ILA) nous pourrons matérialiser une première étape significative", avait confié début avril Florence Parly dans une interview accordée à La Tribune. Chose promise, chose due. Le ministère des Armées a annoncé mercredi que le salon ILA sera l'occasion de "franchir de nouvelles étapes dans la coopération capacitaire franco-allemande, notamment concernant le système de combat aérien du futur (SCAF) et les systèmes de patrouille maritime". Un document marquant l'accord de la France et de l'Allemagne concernant le besoin opérationnel du SCAF sera notamment signé. On y est donc presque. Ainsi, les deux pays pourront proposer une alternative européenne crédible au F-35 américain... à condition de faire un vrai programme opérationnel et non pas un avion de combat qui fasse plaisir à tous les industriels européens... A suivre.

"Il s'agit d'une première historique et d'un pas décisif pour l'Europe de la défense, a estimé le ministère des Armées. La signature de ce document, quelques mois seulement après le conseil franco-allemand de défense et de sécurité de juillet 2017, qui avait initié ce projet est une illustration de la détermination de la France et de l'Allemagne à agir rapidement pour l'Europe de la défense autour de projets concrets et nécessaires".

Selon l'AFP, les deux ministres devraient signer un "contrat commun qui fasse travailler ensemble" les industriels des deux côtés du Rhin. Il s'agit d'un "High level command operations requirements document" (HLCORD), l'équivalent d'une Fiche d'expression de besoins (FEB), précise-t-on au ministère des Armées. La France a proposé "dès la fin de l'année dernière aux Allemands de se joindre à nous pour participer" à une "étude technico-opérationnelle de définition du système de combat aérien du futur", avait expliqué mi-février aux députés le Délégué général pour l'armement Joël Barre. "Nous leur avons indiqué très précisément quel était le contenu de l'étude, la façon dont nous voulions la mener et la manière dont nous pouvions nous associer", avait-il poursuivi.

Un programme en fonction des compétences de chacun?

Pour résumer grossièrement le projet, les compétences pour développer et concevoir  un avion de combat sont maîtrisées par la France mais l'argent pour le financer est en Allemagne, qui a toutefois un certain nombre de savoir-faire dans ce domaine. Ce qui fait dire à un industriel français du secteur que ce programme pourrait être l'occasion d'un "très important transfert de technologies de la France vers l'Allemagne". Pour le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier, plus politiquement correct lors de la présentation des résultats du GIFAS le 12 avril, "la structuration de l'architecture du programme doit se faire en fonction des compétences". Clairement, les industriels auront "du travail en fonction de leurs compétences".

"Il y aura du travail pour tout le monde, avait estimé Florence Parly dans La Tribune. Il n'y aura pas que des questions d'avions ou de conception d'avions de combat en tant que tel mais il y aura beaucoup d'enjeux sur les systèmes, la connectivité... En fonction des pays, il y a des compétences, des savoir-faire technologiques et industriels plus ou moins forts. Notre objectif est que collectivement nous montions tous en gamme. Mais l'idée est de construire un programme sur des compétences existantes".

Dans cet esprit de coopération, Dassault Aviation et Airbus ont annoncé mercredi qu'ils ont décidé "d'unir leurs forces pour assurer le développement et la production du Système de Combat Aérien Futur (SCAF)", un programme qui sera amené "à compléter puis à remplacer" les Eurofighter et les Rafale actuellement en service, entre 2035 et 2040. Ce partenariat, conclu à Berlin par le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier et le PDG d'Airbus Defence and Space Dirk Hoke, est un "accord industriel historique qui permettra de garantir la souveraineté et le leadership technologique de l'Europe dans le secteur de l'aviation militaire au cours des prochaines décennies". Qui sera le leader de ce programme? Interrogé par La Tribune le 12 avril, Eric Trappier avait expliqué que le leadership de ce programme "n'avait pas été décidé par les Etats".

Dassault Aviation ne cache pas qu'il veut prendre la tête du développement du futur avion de combat européen dans le cadre du programme franco-allemand de SCAF, a annoncé le 13 avril Eric Trappier dans un entretien accordé à l'hebdomadaire allemand WirtschaftsWoche. "L'expérience a montré que si on veut qu'un projet de défense réussisse, il faut que quelqu'un en soit le responsable, le leader", a-t-il estimé. "Nous pouvons prendre le rôle principal", a-t-il ajouté. "Le fait est que nous sommes la seule entreprise en Europe à pouvoir construire un avion de combat complet de A à Z et que nous sommes les seuls à avoir 70 ans d'expérience et de compétences", a-t-il fait valoir.

SCAF, un système de systèmes

Le SCAF est un système de systèmes associant un large éventail d'éléments interconnectés et interopérables, comprenant un avion de combat de nouvelle génération, des drones MALE (moyenne altitude, longue endurance), la flotte d'avions existants (qui sera encore en service après 2040), de futurs missiles de croisière et des drones évoluant en essaim, expliquent Dassault Aviation et Airbus. Le système complet sera connecté à un vaste périmètre d'avions de mission, de satellites, de systèmes de l'OTAN et de systèmes de combat terrestres et navals, avec lesquels il pourra opérer.

"Au lieu de raisonner exclusivement sur le développement des plateformes, je préconise, à ce stade de la réflexion, une approche également centrée sur l'architecture du système dans son ensemble, avait expliqué le chef d'état-major de l'armée de l'air, le général André Lanata. Un avion de combat ne produit pas à lui seul les effets nécessaires. Il est dépendant en particulier des informations dont il dispose : cela nécessite de combiner des capteurs, des armements, des moyens de surveillance, des moyens et des normes de communication souvent à très longue distance mais aussi l'appui du ravitaillement en vol, des moyens de détection aéroportés, etc. Il faut donc commencer par évaluer les architectures système et la norme d'échange du système de nature à répondre à nos besoins opérationnels. Nous serons ainsi en mesure de déterminer sur quels secteurs nous devons concentrer nos investissements".

Au sein de la DGA, on confirme que le système aérien du futur devra être "un système de systèmes, avec différentes plateformes en réseau : Il n'y aura plus un avion mais une patrouille mixte avec des avions, des drones - de combat ou de reconnaissance - , des missiles hypervéloces et quelque part un AWACS ou le successeur de l'AWACS". Ainsi ce système complet ne pourra fonctionner que s'il partage complètement toutes les informations et s'il est capable de mettre en place un véritable combat collaboratif. Ce système pourra décider en fonction de la menace ou de l'évolution de la situation quelle plateforme va attaquer (drone, missile) et celle qui reste en arrière.

En termes de performance des capteurs et de détection, la DGA a d'ailleurs commencé à étudier des briques technologiques, qui seront en service d'ici 10 à 15 ans comme la guerre électronique distribuée par exemple. Car ce ne sera plus le système de guerre électronique du Rafale, qui donnera seul l'information mais différents capteurs sur quatre, cinq ou six plateformes. Cette mise en réseau donnera in fine une information beaucoup plus précise. La guerre du futur consistera plus à une bataille "d'un réseau face à un réseau", précise-t-on à la DGA. Une nouvelle façon de faire la guerre à cause des systèmes de défense aériens de plus en plus performants, qui interdisent l'accès de l'espace aérien protégé (déni d'accès). Cette rupture "nous obligent à transformer le combat aérien, qui reste une composante très importante de notre suprématie", fait-on valoir à la DGA.