Et si l'Europe de la Défense passait par des décisions très pragmatiques

Par Michel Cabirol  |   |  738  mots
Le Tigre est le résultat d'une coopération européenne entre l'Allemagne, la France et l'Espagne
Pour construire l’Europe de la Défense, pourquoi ne pas être simplement pragmatique en réalisant une harmonisation des besoins capacitaires des principales armées européennes et des calendriers?

Une simple harmonisation des besoins capacitaires et des calendriers de mise en service des équipements militaires des armées européennes serait déjà un petit pas vers le grand objectif d'une Europe de la défense, dont il faut le rappeler aucun pays européen ne veut, à l'exception notoire de la France. A défaut d'une mobilisation au niveau politique, l'Europe de la défense pourrait paradoxalement prendre un peu de consistance grâce aux contraintes budgétaires qui pèsent sur la plupart des budgets militaires des pays de l'Union européenne, qui avaient pourtant pris l'engagement au sommet de l'Otan à Newport de consacrer 2% du PIB aux dépenses de défense.

"Si les difficultés budgétaires des États font peser des contraintes lourdes sur leurs budgets militaires, elles ont toutefois pour effet de les inciter plus que jamais à mutualiser leurs efforts au niveau européen, expliquait la députée PS de Gironde Marie Récalde dans un rapport consacré à la relance de l'Europe de la défense. La crise pourrait ainsi être le catalyseur de la construction d'une véritable Europe de la défense". Mais jusqu'ici, cette vision très pragmatique de l'Europe de la défense ne s'est pas vraiment réalisée. Ou à la marge. Les budgets de l'Agence européenne de la défense (AED) et de l'Occar, un organisme intergouvernemental qui gère certains programmes européens (A400M, Tigre, frégates FREMM...), n'ont pas été augmentés de façon significative.

Comment faire ?

L'Europe dispose déjà de deux "outils institutionnels solides", comme le souligne le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), Camille Grand, pour renforcer les coopérations capacitaires, et donc à même de mieux utiliser l'argent public qui fait aujourd'hui défaut aux armées. Pour Marie Récalde, l'AED est la mieux placée pour "coordonner et établir les priorités des besoins futurs en matière de capacités civiles et militaires". Un exercice de priorisation, qui permettrait de garantir "la cohérence capacitaire des États de l'Union tout en étant légitime et pragmatique", selon la députée de Gironde. En outre, l'AED devrait être capable de développer des équipements avec une communalité très poussée pour les armées membres, ce qui limiterait les spécifications coûteuses exigées par chacune d'elles.

Cette démarche pourrait être également un facteur de la consolidation des industries de défense. Il existe par exemple en Europe six grands chantiers européens capables de fabriquer des sous-marins et/ou de très grands bâtiments de surface : le britannique BAE Systems, le néerlandais Damen, le français DCNS, l'italien Fincantieri, l'espagnol Navantia et l'allemand TKMS. Voire le suédois Kockums, qui a repris sa liberté après avoir été contrôlé par TKMS. Trop, beaucoup trop. Pour autant, a contrario MBDA réunit déjà quasiment toute l'industrie missilière européenne.

Vers un char franco-allemand

Enfin, dans l'armement terrestre, le processus de rapprochement entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann (KMW), qui devrait aller sans aucun doute à son terme, est également un nouveau pas vers la consolidation du secteur... et de l'harmonisation des besoins capacitaires. Comme l'a expliqué en début d'année à la commission de la défense de l'Assemblée nationale, le PDG de KMW, Frank Haun, "dans cinq ans, nous aurons avancé dans le processus de développement d'un nouveau char lourd - qu'il s'appelle Léopard 3 ou Léoclerc, peu importe : il sera développé en commun, et pourra commencer à équiper nos forces à l'horizon 2025-2030 pour remplacer les chars Leclerc et Léopard 2".

S'il se concrétisait, ce programme aurait une forte valeur symbolique dans l'harmonisation des besoins capacitaires entre l'Allemagne et la France. Ce qui serait déjà un pas de géant pour une Europe de la défense, dont le moteur a été longtemps la coopération entre Berlin et Paris. Une relation qui s'est étiolée avec le temps alors même que les deux capitales ont créé un géant de l'aéronautique et de la défense, Airbus Group (ex-EADS). Enfin, la volonté récemment exprimée de fabriquer à trois pays (Allemagne, France et Italie) un drone MALE de troisième génération "Made in Europe", si elle se confirme, sera également un bon test pour aller vers cette Europe de la défense pragmatique.